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Reste à deviner les différentes possibilité, il y en a huit à découvrir. 1ère chose que je fais le matin 37% Aller aux toilettes 7% 94% - Première chose que je fais le matin - Niveau 2 Réponses 94 pour-cent % Niveau 1-20 Français 1 Subscribe my channel Solutions pour 94 pour-cent % en française pour Android. 94 pour-cent % Français niveau 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 réponses Solution 94 pour-cent % Français niveau 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20 Niveau 1 Fruits avec pépins ou noyaux Choses que l’on trouve dans une trousse Véhicule de pompiers Niveau 2 Il faut un ticket Première chose que je fais le matin Tableau et craies Niveau 3 Outil de jardinage Ça fait du bien quand on est malade Homme ronflement Niveau 4 Objet du salon Moyens de paiement Pique-nique Niveau 5 Choses associées à I’Egypte Choses qui créent une dépendance Statue de Jésus Niveau 6 Pays ayant participé à la 2nde Guerre Mondiale Ça plait aux enfants Un homme en colère Niveau 7 Animaux qui naissent dans un oeuf James Bond Conseil avec des formules mathématiques Niveau 8 Camping Objets qui possédent un écran Trois oeufs Niveau 9 Parties d’une voiture On y a tous déjà joué Verre de vin rouge Niveau 10 Choses associées au Brésil C’est sucré SPA Niveau 11 Espèces de reptiles On y joue dehors Légumes Niveau 12 Outil de cuisine Parties d’un cheval Fleur et abeille Niveau 13 Poker Pays d’Amérique du sud Des arbres Niveau 14 Une marque de luxe Fruit exotique Frite Niveau 15 Homme chauve célèbre Sujets qui font râler les français Cubes Niveau 16 On manque de temps pour le faire Saint-Valentin Famille Niveau 17 Outil de bricolage Pays que vous souhaitez visiter Monte-charge Niveau 18 Un métier dangereux Types de blessures Chat Niveau 19 Villes italiennes Un félin Tasse de café Niveau 20 Accessoires d’un policier Légumes verts Camion Fruits avec pépins ou noyaux 94 pour-cent % réponses Choses que l’on trouve dans une trousse 94 pour-cent % réponses Véhicule de pompiers 94 pour-cent % réponses Il faut un ticket 94 pour-cent % réponses Première chose que je fais le matin 94 pour-cent % réponses Tableau et craies 94 pour-cent % réponses Outil de jardinage 94 pour-cent % réponses Ça fait du bien quand on est malade 94 pour-cent % réponses Homme ronflement 94 pour-cent % réponses Objet du salon 94 pour-cent % réponses Moyens de paiement 94 pour-cent % réponses Pique-nique 94 pour-cent % réponses Choses associées à I’Egypte 94 pour-cent % réponses Choses qui créent une dépendance 94 pour-cent % réponses Statue de Jésus 94 pour-cent % réponses Pays ayant participé à la 2nde Guerre Mondiale 94 pour-cent % réponses Ça plait aux enfants 94 pour-cent % réponses Un homme en colère 94 pour-cent % réponses Animaux qui naissent dans un oeuf 94 pour-cent % réponses James Bond 94 pour-cent % réponses Conseil avec des formules mathématiques 94 pour-cent % réponses Camping 94 pour-cent % réponses Objets qui possédent un écran 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Chez l’auteur, rue de Seine, 45. Sous presse. Essai sur la Médecine des somnambules, ln-18. Des Sorciers, des Possédés et des Convulsionnaires, ou du Magnétisme en France avant Mesmer, a vol. in-8. DE LIMPR1ME1UE DE CHAPELET, 9, RUE DE VÀUG1RARD. IJK MAGNÉTISME ANIMAL EXPLIQUÉ OU LEÇONS ANALYTIQUES SUR LA NATURE ESSENTIELLE DU MAGNETISME , SUR SES EFFETS SON HISTOIRE , SES APPLICATIONS LES DIVERSES MANIÈRES DE LE PRATIQUER, ETC. Par Alph. TESTE DOCTEUR EN MEDECINE DE LA FACULTE DE PARIS MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIETES SAVANTES Us imposeront les mains sur les malades et les malades seront guéris. Evangile selon suint Luc, ch. vut. Tout est prodige pour l’ignorance qui dans le cercle étroit de ses habitudes voit le cercle où se meut l’univers. Eus. Salyerte , des Science s ^occultes. A PARIS CHEZ BAILLIÈRE LIBRAIRE DE L’ACADÉMIE ROYALE DE MÉDECINE 17 , RUE DE L’ÉCOLE-D E - MËDEC INE A LONDRES, CHEZ H. BAILLIÈRE, 219, REGENT-STREET 18A5 S’il était permis à un auteur d’exprimer son opinion sur ses propres ouvrages, je dirais sans hésiter que celui-ci me paraît de beaucoup supérieur à tout ce que j’ai publié jusqu’à présent. Mais je sens qu’en pareille cause je n’ai pas voix délibérative. D’ailleurs, si mon livre a quelque mérite, je n’ai pas besoin d’en prévenir les lecteurs pour qu’ils s’en aperçoivent, et, s’il n’en a aucun, je n’aurais que mieux préparé sa chute en essayant de prouver le contraire. Je ne dirai donc rien de ce volume, sauf qu’il contient en substance mes leçons orales de l’hiver dernier. Ces leçons étaient alors suivies par des savants, des philosophes, des magistrats, des médecins et des gens de lettres. L’extrême assiduité de cet auditoire d’élite me prouva qu’elles n’étaient pas dépourvues d’intérêt, et telle fut la raison qui me décida à les publier. — 'j — Mou excellent ami, M. Mialle, l’homme de France qui peut-être a le mieux étudié le magnétisme , a bien voulu prendre la peine de revoir avec moi toutes les épreuves. Ses sages observations m’ont épargné beaucoup d’erreurs rien au monde ne m’est plus doux que de l’en remercier publiquement 1 . Ce livre s’adresse indistinctement à toutes les classes de lecteurs, car le sujet les intéresse tous il s’agit de l’homme, étudié physiquement et moralement d’un point de vue nouveau. Plai se à Dieu que ces incrédules à moitié convertis , qui commencent à dire du magnétisme Il y a quelque chose là-dessous, » ajoutent après avoir lu mes pages Il y a quelque chose là dedans. » Quant aux incrédules systématiques qui, après s’être inconsidérément prononcés contre le magnétisme , n’ont pas assez de courage pour revenir sur leurs pas et se contentent de fermer les yeux en criant au charlatanisme, je ne leur demande qu’une chose, c’est de me laisser tranquille. — Esprits 1 M. Mialle, aux opinions duquel je n’ai pu toujours sacrifier les miennes, ne saurait partager avec moi la responsabilité de celles-ci. A l’égard de Mesmer, par exemple, M. Mialle et moi nous sommes restés en plein désaccord. — V1 J — vains, bornés et faux , qu’ont-ils à démêler avec nos vérités? Elles n’ont que faire de leur appui pour grandir dans le monde, et lorsqu’ils affichent la prétention d’en arrêter le cours, ils me rappellent ce paysan qui, mettant un pied sur la source du Danube, se persuadait qu’il allait priver d’eau toutes les contrées que ce fleuve arrose. 1 \ \ \ I LE MAGNÉTISME ANIMAL EXPLIQUÉ. PREMIÈRE LEÇON. GÉNÉRAI.. — NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. Messieurs , Je vais vous entretenir d’une chose à la fois fort ancienne ou fort nouvelle, suivant la manière dont il vous conviendra de l’envisager. Si par ces mots, magnétisme animal , vous désignez seulement l’ensemble des différents phénomènes que l’opinion publique, que la voix populaire, embrassent ordinairement sous cette dénomination, la chose est aussi ancienne que le monde, car elle est du domaine de ces vérités physiologiques qui sont inhérentes, essentielles à la nature de l'homme, et partant, aussi vieilles que l’espèce humaine. Mais si, au contraire, vous entendez par ces mêmes expressions de magnétisme animal un système raisonné 1 2 PREMIÈRE LEÇON, des phénomènes dont je parle, oh! alors, la chose est nouvelle, si nouvelle, que je serais tenté de vous dire qu’elle n’existe point encore. Cependant, des hommes enthousiastes ou peu éclair rés, des néophites ardents, en proie à cette sorte de vertige que donne aux esprits faillies la vue inopinée des faits extraordinaires, des fanatiques enfin car toutes les vérités ont eu les leurs, pensent et proclament que le magnétisme est une science accomplie. Que dis-je! c’est à leurs yeux la science par excellence, l’arhre du fruit défendu qui donne toutes les connaissances ou qui du moins dispense d’en posséder aucune. Convaincus d’ailleurs que cette science ne s’apprend pas, qu’elle est l’apanage inné de tout être vivant, les hommes que je vous signale joignent l’exemple au précepte, et, pratiquant avec confiance une doctrine inconnue, ils érigent en principes les effets incohérents qu’ils produisent, et dont ils n’ont jamais songé à se demander la cause. Parsuite de circonstances que, plus tard, il vous sera facile d’apprécier, l’art obscur de guérir est la première carrière qu’ils envahissent. Pour eux, dès lors, plus d’autre système médical que celui qu’ils professent; plus d’autres remèdes à nos maladies que le fluide magnétique , et c’est pourquoi les médecins, froissés à la fois dans leurs croyances et peut-être aussi dans des intérêts plus temporels , repoussent aveuglément une découverte qu’ils flétrissent au lieu de l’étudier. De là ce conflit ridicule entre la sottise et la mauvaise foi, entre l’ignorance qui prétend tout savoir et la science qui ne veut rien ignorer. 3 A’ATÜRE ET fMÊFIKITIOiV DU MAGNÉTISME. Quant à moi, je ne serai ici ni magnétiseur ni médecin. Entre le crépuscule d’une écolequi s’éteint et l’aurore d’une école nouvelle, c’est dans les ténèbres du doute cpi’il faut se résigner à attendre la lumière; j’attends donc..., telle est ma profession de foi. Oui, en matière de magnétisme, comme en beaucoup d’autres choses, j’avoue que je suis sceptique , c’est-à-dire, ainsi que vous tous, chercheur de vérités. Sans cesse en garde contre les préjugés d’autrui et contre mes propres préventions, c’est avec de la glace sur le front que je m’efforce de voir et de juger. Mais une fois la cer* titude acquise que mes sens ne m’ont pas trompé, je rassemble mes souvenirs, je les rapproche , je les coin? pare, et j’enregistre,quels qu’ils soient, les résultats que j’ai obtenus. — Ce sont ces résultats que je me suis proposé de vous soumettre. Le magnétisme est-il une réalité? Oui, j’en suis aussi sûr que de mon existence, parce que j’en ai des irréfragables, et ces preuves, je vous fournirai en temps et lieu les moyens de les acquérir. Mais le magnétisme est-il une science, on est-il susceptible d’en devenir une? Comment le définirons-nous? Quelle est enfin sa place dans le cercle de nos connaissances? — Tels sont les premiers points qu’il nous importe d’éclaircir. Le magnétisme est-il une science? Il est de toute évidence que, pour résoudre cette première question, il faut préalablement s’entendre sur le sens du mot science. Or, par une singularité sans exemple dans les fastes de l'entendement humain, cette expression n’a jamais cté définie d’une manière rigoureuse. Aristote, dans l’antiquité, Bacon, à la fin du moyeu âge, Am- K PREMIÈRE LEÇON, père, clans les temps modernes, ces trois beaux génies qui nous représentent comme les jalons de la saine philosophie, se sont tous trois occupés du classement de nos connaissances, sans définir le mot qui en généralise l’idée. Aussi, les auteurs du Dictionnaire de /’Académie, qui définissent la théorie une spéculation et la spéculation une théorie, n’ont-ils rien trouvé de mieux à nous dire au mot Science, que ceci Une science est la connaissance que nous avons d’une chose; définition pleine de candeur et qui prouve incontestablement que le Dictionnaire de VAcadémie n’a pas plus été fait pour les magnétiseurs que pour les grammairiens ou les philosophes. Toute science en effet, loin de porter seulement sur une seule chose, sur un seul fait, embrasse toujours une multitude d’éléments l’un à l’autre coordonnés, c’est-à-dire suppose toujours un certain enchaînement de propositions dérivées les unes des autres et pouvant se réduire, par le raisonnement, à un petit nombre de propositions fondamentales qui , dans les mathématiques, ont reçu le nom d 'axiomes. Toute science, en un mot, est la connaissance d’un système , plus la théorie qui en lie les principes, plus les corollaires pratiques qui en découlent. Or, d’après la définition des philosophes, ou plutôt, d’après celle que j’ai donnée moi-même dans un travail spécial récemment publié 1 , un système est un ensemble d’êtres ou de faits, comparés entre eux par celles de leurs propriétés qui leur sont communes, et disposés soit dans un ordre 1 Encyclopédie dit xjx siècle, art. Sistème. 5 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. invariable que leur assigne la nature, soit de manière, aformer les termes d'une progression dont le raisonnement peut suivre la marche au delà des limites ou Vobservation s'arrête. Ceci posé, il nous est logiquement permis de transformer celte question le magnétisme est-il une science ? en cette autre question le magnétisme est-il un système? Eh bien, sans faire aucune pétition de principes, c’est-à-dire sans emprunter mes documents à un ordre de faits que vous ne connaissez pas ou que du moins vous n’êtes pas censés connaître, je puis dès à présent vous répondre affirmativement, et, tout en ne vous présentant qu’un aperçu général du magnétisme, vous prouver qu’il n’est point inaccessible à nos procédés habituels de systématisation. Toutefois, je vous l’ai déjà fait pressentir,ce système, s’il existe , n’est encore qu’une ébauche. Le magnétisme, en un mot, est une science de formation nouvelle qui peut-être n’est pas susceptible d’acquérir un haut degré de certitude; mais qui néanmoins a dès aujourd’hui sa place entre les plus belles acquisitions de l’intelligence humaine. Je vais essayer de vous montrer dans son essence le fait-principe dont il est le développement. Tout le monde sait que les philosophes spiritualistes n’admettent dans l’homme que deux substances, l’esprit et la matière, l’âme et le corps. A leur avis, ces deux agents suffisent pour expliquer tous les phénomènes de la vie l’âme commande et le corps agit; à la mort, la première rentre au sein du Créateur, tandis que l’autre périt par dissolution. 11 est d’autres philosophes, au contraire, Spinosa, par exemple, au 6 PREMIÈRE LECOîb • xvii' siècle, le célèbre Broussais 1 parmi les modernes, qui, tenant compte de certaines propriétés inhérentes à la matière, ont eu la prétention d’expliquer par la seule intervention de ces propriétés tout ce que les premiers attribuent à l’Ame dont ceux-là nient l’existence. Vous dirai-je, enfin, qu’entre ces deux écoles contradictoires, il'fut un temps où l’on vit surgir une troisième secte de prétendus philosophes, qui, à l’inverse des matérialistes, niaient, en dépit de leur sens et du sens commun, la réalité des corps, et prouvaient imperturbablement que l’esprit est la substance unique dont l’univers est formé ceci n’est réellement à mentionner que pour mémoire, car l’examen critique de toutes les folies humaines n’entre pas, Dieu merci, dans la lâche que j’ai entreprise. Mais, une chose qui, plus d’une fois, embarrassa sérieusement les spiritualistes raisonnables, fut Y instinct des animaux, instinct qui, dans certaines espèces, semble s’élever jusqu’à l’intelligence. Les bêtes avaient- elles une âme? Cette âme ctait-elle analogue à celle des hommes? Etait-ce comme celle-ci une substance immatérielle, indivisible, immortelle, etc.? Quels sujets de conjectures et de controverse pour les représentants de la vieille Sorbonne! Tandis que des arguments spécieux semblaient militer pour l’affirmative, le problème, ainsi résolu, renversait toutes les croyances et conduisait au panthéisme, la plus désespérante des doctrines philosophiques. L’Eglise eut la prudence de ne pas se prononcer dans cette question difficile 1 Voyez De l’Irritation et de la Folie, Paris, i83g. 2 vol. în-8°. NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 7 seulement, elle rejeta, sous peine d'anathème, toute espèce d'assimilation entre l’âme incontestable des animaux et l ame incontestée des hommes. Peut-être était-ce pour répondre à ses vœux, d’ailleurs mal exprimés, que d’illustres rêveurs du xvn e siècle repoussèrent jusqu’à l’ombre de l’analogie entre les actes instinctifs des animaux et les actes intellectuels des hommes , et s’obstinèrent à ne voir dans les premiers que de simples automates. On devine quelles réclamations dut provoquer une semblable hypothèse. Les bêtes, à la vérité, ne songèrent point à s’en plaindre, mais elles curent, sans en chercher, d’éloquents défenseurs. Le bon la Fontaine, entre autres, qui avait donné tant d’esprit aux siennes, protesta contre Descaries et Fénelon dans une admirable épître à madame de la Sablière. Qui de nous n’a lu souvent la jolie fable des Deux Bats, cette satire innocente et si pleine de raison où le fabuliste démontre que les bêtes quelquefois raisonnent, et, qui plus est, raisonnent bien, à l’inverse des philosophes, qui souvent divaguent. L’opinion d’un poète, bien même que ce poète fût la Fontaine, ne pouvait être d’un grand poids dans une question de cette nature. Mais la science ne tarda pas à venir en aide à l’allégorie, et la plume de Buffon tomba dans la balance; c’était l’épée de Bren- nus. Alors, au milieu de la mêlée, où le pour et le contre se débattaient sur un ton d’aigreur.... fort peu philosophique, alors, dis-je, des hommes sensés, convaincus par les raisons du grand naturaliste, proposèrent un moyen terme qui concilia tous les partis. La sublimité de notre intellect, s’écrièrent - ils 8 PREMIÈRE LEÇON. prouve assez qu’il existe eu nous quelque parcelle de la Divinité; mais, indépendamment de cette aine immortelle que le Créateur n’a dévolue qu’à la seule espèce humaine, il y a chez l'homme comme chez tous les animaux une autre âme, d’essence plus terrestre, sorte d’intermédiaire entre les deux substances, et qui préside aux sensations comme elle règle les mouvements.» Voilà donc comment les animaux, depuis le ciron à l’éléphant, depuis l’infusoire au singe, furent tous gratifiés d’une âme qu’on appela âme sensitive '. Cette opinion d’ailleurs était loin d’être nouvelle les disciples de Platon l’avaient émise bien des siècles auparavant, et depuis, l’apôtre saint Paul l’avait développée dans son Epître aux habitants de Thessalonique. Mais cette hypothèse , une fois admise, devait ouvrir une nouvelle carrière aux spéculations des métaphysiciens. En effet, ils ne tardèrent pas à s’apercevoir qu’en expliquant par l’intervention d’une âme les actes vitaux des bêtes, ils s’étaient interdit tout autre moyen d’expliquer la vitalité des plantes. Cependant le fait était flagrant si naître et mourir caractérisaient la vie, il n’y avait point à douter que les plantes ne vécussent. Puis où était, après tout, l’inconvénient d 'animer les végétaux? Les chênes ni les bruyères ne démentiraient personne. Donc, comme de coutume, l’expression courant avant l’idée, le vocabulaire s’enrichit d’une nouvelle association do mots on venait d’inventer sans trop d’efforts une âme végétative. Remarquez, au surplus, que je ne blâme point celte 1 On peut consulter à ce sujet le T mile.' de t Ame sensitive de 1,,-iunov. 9 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, conception, et qu’il n’entre pas dans mon intention d’en ridiculiser les auteurs. Loin de là, je la trouve ingénieuse et parfaitement logique. Tout le mallieur est qu’après avoir adopté le principe on n’en ait pas épuisé les conséquences. Après l’âme sensitive, il eût fallu trouver une âme gravitative, car vous verrez plus loin que les minéraux y avaient droit ; ou plutôt, de toutes ces âmes il n’en fallait imaginer qu’une, qui les eût remplacées toutes. J’aurai bientôt à vous présenter les développements que comporte cette proposition fondamentale d’une âme universelle ; mais je devais, auparavant, vous signaler le pressentiment qu’en eurent la plupart des philosophes, pressentiment qui se révèle dans cette tendance inquiète à généraliser dans une expression commune les manifestations métaphysiques de la vie chez tous les êtres L Cette âme de l’univers, cause unique et primordiale d’effets multiples et divers, qui deviennent causes à leur tour, est, suivant notre croyance, le souffle du Créateur, ou, suivant quelques rêveurs, l’essence incrééc des que soient, au surplus, sa nature et son origine, nos sens ou notre raison la rencontrent partout; dans le mouvement des globes célestes comme dans le mouvement de la pierre qui tombe; dans la circulation de la sève comme dans la circulation du sang; dans l’attraction de l’aimant comme dans l’attraction magnétique 2 . Ces rapprochements 1 Les stoïciens et plusieurs péripatéliciens soutenaient la doctrine de l’âme universelle , doctrine que, très-probablement, ils tenaient des Indiens et des Persans, puisque les mêmes notions se retrouvent dans les antiques croyances de ces peuples. 2 Nous ne savons pas si le principe de la vie est le même qce celui de la pensée ; mais il est évident que le principe de la vie n’est 10 PREMIÈRE leçon. d’ailleurs sont loin d’être nouveaux ; mais ce qu’il im* porte que vous sachiez et que vous reteniez à tout jamais, c’est que le magnétisme animal, celte vieille vérité perdue que nous entreprenons de réhabiliter, est aussi bien que le mouvement des astres, aussi bien que l'attraction terrestre ou que l’attraction atomique, aussi bien, en un inot, que toutes les puissances abstraites de la nature, une manifestation déterminée quoique méconnue de Pâme universelle. Disons seulement par anticipation que Cette propriété singulière des corps qui constitue le fond du magnétisme, n’existe ou du moins ne se manifeste que dans la matière organisée. Peut- être même est-elle, comme l’instinct et l’intelligence, un des privilèges exclusifs de la vie animale. Quoi qu’il en soit, vous voilà fixés sur le sens actuel de ces deux mots, magnétisme animal mais nous allons bien mieux encore préciser Fobet de nos études, en parcourant d’un coup d’œil rapide la succession des phénomènes qui conduisent insensiblement de la force gravitative des minéraux à ce que nous appellerons bientôt la puissance magnétique de l’homme. Entre l'homme et l’atome, ces deux extrémités de l’échelle ontologique, règne un admirable enchaînement d’êtres et de faits successifs, chacun desquels semble le développement de celui qui le précède, et point matériel. Il est probable cpic , Je même que le Créateur a imprimé à la matière des formes diverses qui constituent les différents corps, il a doué la substance spirituelle de divers degrés de perfection , depuis Celui qui produit la vie des polypes, peut-être même celle des plantes, jusqu’à celui qui donne à l’homme la raison, l’imagination et la mémoire. » f Déleuze, Annales du Magn. ttnim., p. 026. il NATURE ET DÉFINITION tÜ MAGNÉTISME, l'élément générateur de celui qui le suit. C’est sur les divers degrés de cette échelle immense que toutes iîos sciences sont assises. Chacune d’elles embrasse un ensemble d’êtres ou de faits distincts en apparence, mais, au fond* tous enchaînés par quelque loi commune. Plus les sciences sont haut placées sur l’échelle dont nous parlons, moins elles sont positives, parce qu’à mesure qu’elles s’élèvent, leurs éléments se compliquent en se multipliant. Le magnétisme, hâtons- nous de le dire, occupe peut-être le dernier échelon du sommet aussi sera-t-il probablement toujours la plus vague et la plus incertaine de nos connaissances. Cependant, que la chaîne de la nature soit pour nous le fil d’Ariane, et, s’il nous est interdit de découvrir jamais l’essence du magnétisme, peut-être, au moins, parviendrons-nous à pénétrer quelques- unes de ses lois. Alors la science du magnétisme sera chose accomplie, ou tout au moins bien commencée. Mais, une réflexion encore, avant de passer outre Je vous ai dit tout à l'heure que la définition académique du mot science pèche par insuffisance, c’est- à-dire parce qu’elle n’exprime pas assez; il me serait facile maintenant de vous démontrer, en vous la présentant sous un autre aspect, qu’elle ne vaut rien encore parce qu’elle exprime beaucoup trop. Le mot science, en effet, vient du verbe latin scire, qui signifie savoir, ce que l’Académie nous traduit par connaître. Or, en admettant cette définition dans toute sa rigueur, il n’y aurait pas de science possible, car, il n’est pas une seule chose, pas une seule, entendez-vous, qu’il nous soit donné de connaître d’une manière absolue; et c’est 12 PREMIÈRE LEÇON, justement de cette imperfection de nos moyens de connaître que provient le plus souvent l’impossibilité où nous sommes de saisir les rapports qui existent entre tel fait réputé connu et tel autre que l’on avoue ne l’être point encore. De là des faits sans analogie apparente, et qui ne semblent avoir d’autre raison de leur existence que cette existence même; de là les miracles si communs autrefois, si rares aujourd’hui, et dont le nombre diminua progressivement à mesure que la raison les dépouilla de leur prestige en les expliquant. On comprend, d’ailleurs, que ees conquêtes successives de l’intelligence aient enfanté tour à tour et cet orgueil insensé dont Voltaire, an siècle dernier, fut la personnification , et cette incrédulité nonchalante qui n’est guère, chez nos contemporains, que l’impuissance de pénétrer plus avant dans les secrets de l'univers. Ajoutons, enfin, que l'orgueil et l’incrédulité se sont réunis pour nous inculquer la manie des raisonnements, bons ou mauvais, manie si générale aujourd’hui, surtout en France, que, pour y accréditer l’existence d’une chose, il est plus sûr d’y prouver que cette chose peut exister que de démontrer qu’elle existe. Contradictoires en apparence à toutes les lois connues de la physiologie, les faits magnétiques qui passaient autrefois pour des miracles sont simplement aujourd’hui niés par les savants *. Faisons donc à leur profit l’application d’une méthode devenue néces- 1 Généralement serait peut-être beaucoup dire à l’heure qu’il est les jésuites viennent de donner le mot d’ordre à leurs adeptes afin que le magnétisme soit accepté. 13 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, saire, en prouvant que non - seulement ils existent, mais qu’ils peuvent exister, qu’ils offrent des rapports d’analogie frappants avec les faits les plus simples, enfin qu’ils n’ont rien dans leur essence de plus étrange que ces derniers. Ce que je vais vous dire a donc pour objet d’éclaircir la proposition que nous avons établie, à savoir que le magnétisme est, comme la gravitation, comme l’affinité, comme tous les mouvements, comme toutes les forces organiques et inorganiques, une des manifestations naturelles de la vie. Je procéderai, pour être logique, du simple au composé, et c’est dans les minéraux que nous rechercherons les premières analogies qui justifient mon assertion. Parmi tous les êtres de la nature que nous nommons inanimés, il serait impossible d’en trouver un qui, mieux qu’un bloc de marbre, réalisât l’idée de repos et d’inertie. Cependant j’ose avancer qu’en dépit de toute apparence, ce bloc de marbre est un corps vivant, un corps animé. Je devine qu’à ces paroles votre bon sens révolté suspecte le mien. Cependant, réprimez vos préventions et raisonnons avec sang-froid. Que signifient ces mots, corps vivant, corps animé, sinon l’association d’une substance inerte tombant sous les sens, et d’une substance métaphysique que les sens ne saisissent pas? Voyons donc s’il n’y aurait pas dans le marbre quelque trace de cette association, quelques-unes des propriétés qui caractérisent l’une et l’autre des deux substances. Les propriétés physiques du marbre n’ont pas besoin de démonstration je le vois, je le touche, donc 14 PREMIÈRE IBÇQ?». il existe proposition qui, je l’avoue, me semble aussi rationnelle que le fameux principe de la philosophie cartésienne je pense , donc j’existe. Mais l’existence matérielle d’un objet n’implique nullement dans cet objet la présence d’une substance immatérielle; celle- ci n’a guère d’autre critérium que le mouvement, et le marbre en est dépourvu.— Peut-être, répondrai-je, et j’espère que sur ce point yotre raison va bientôt démentir vos sens. En effet, approchons-nous de ce marbre si parfaitement immobile, essayons de le soulever, de le séparer du sol, et nos efforts sont impuissants pour vaincre sa résistance. Jusque-là néanmoins il n’y a rien qui vous étonne le marbre résiste parce qu’il est pesant, et la pesanteur, bien que relative aux différents corps, est à notre connaissance un fait constant chez tous. Rien de mieux; mais la reproduction constante d’un même fait ne suffit pas à beaucoup près pour en faire ressortir la cause, et je suis dans mon droit lorsque je demande qu’est-ce que la pesanteur? Les physiciens aussitôt me répondent La pesanteur est l’attraction exercée par le globe sur chacun des différents corps qui reposent à sa surface étrange définition qui recule un peu la difficulté, mais qui ne la résout point. Gardons-nous, en effet, de nous payer de vaines paroles, et déclarons franchement que ce mot ééattraction ne nous fait pas mieux comprendre que celui de pesanteur la nature de ce lien invisible qui unit entre eux tous les corps de l’univers, de pet agent iinmatc-r riel qui émane de la nature, comme la pensée d’un homme émane de son cerveau. NATDBE ET DÉFINITION DD MAGNÉTISME. 1 5 Nous voilà donc, dès nos premiers pas dans la carrière de l’observation,en présence d’un fait, au premier abord aussi simple que vulgaire, et pourtant, en définitive, tout aussi inexplicable que les miracles du magnétisme. Et, sur ce fait, vous demanderiez eu vain des éclaircissements à la science ou aux génies qui la représentent la science et les savants sont muets. Interrogez Newton, ou Lalande, ou Laplace; ces grands hommes vous enseigneront les lois découvertes par le premier d’entre eux, lois qui sont devenues entre leurs mains les clefs de la mécanique céleste, et leur ont suggéré une explication plausible des grandes harmonies de l’univers; mais aucun d’eux ne vous éclairera sur la nature essentielle du phénomène de la pesanteur. Au surplus, poursuivons; car ce fait lui- même, malgré la valeur très-significative que vous ne manquerez pas de lui trouver en métaphysique, si vous prenez la peine d’y réfléchir assez longtemps, ce fait, dis-je, ne vous déterminerait guère à admettre chez les corps du règne minéral qu’une sorte de résistance passive et très-distincte d’une véritable viabilité, et comme j’ai à ma portée des moyens de dér- monstration plus explicites et plus concluants, j’ai hâte de m'en servir. Puisque nous avons pris le marbre pour exemple, qu’il serve cette fois encore à notre démonstration. Répandons à sa surface un liquide doué comme lui en apparence d’une inertie complète, de 1 'acide sulfurique. Aussitôt, une secrète activité se révèle, la scène s’anime, et des puissances inconnues se mettent en jeu. Les molécules du marbre s’agitent et se décomposent, 16 PREMIÈRE LEÇON, un des éléments qui le constituaient se dégage dans l’atmosphère, tandis que sur le sol un corps nouveau s’est formé le marbre est devenu du sulfate de chaux. Comment donc s’est effectuée cette étrange métamorphose? Quel génie mystérieux a opéré ce miracle, et par quelle vertu magique la matière morte a-t-elle ainsi contracté subitement la faculté de se mouvoir ? Rien au monde de plus simple ; voici ce qui s’est passé Le marbre, comme la plupart des corps qui tombent sous nos sens, est un composé de matières diverses; il est formé de chaux et d’acide carbonique. Un de scs éléments, la chaux, avait pour l’acide sulfurique plus d’affinité que pour l’acide carbonique avec lequel elle était combinée d’abord, et c’est en raison de ce plus d’affinité, de cette attraction élective, que le mouvement a eu lieu et que la chaux et l’acide sulfurique se sont unis en se rapprochant. Ainsi, vous le voyez, les minéraux ont comme les hommes leurs sympathies et leurs antipathies. Tous recèlent dans leur sein des tendances particulières, qui n’attendent, pour ainsi dire, que l’occasion de se mettre en jeu. Qui de vous eût soupçonné, avant que l’expérimentation chimique le lui eût appris, que ces pierres immobiles et glacées sur lesquelles nous marchons, sont cependant toutes animées de forces diverses, n’ayant besoin que d’être mises en présence pour agir, c’est-à-dire pour constituer le mouvement, ce fait culminant de la vie? Certes, je ne suis ni athée ni matérialiste un magnétiseur ne saurait être ni l’un ni l’autre. Je recon- NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 17 nais donc avec respect le génie du Créateur dans les admirables transformations que nous présente incessamment la nature, mais je ne vois ni la nécessité ni même l’utilité de faire intervenir, sans interruption, la volonté divine dans des phénomènes dont le principe émane évidemment de sa toute-puissance, mais dont la succession n’est que le développement naturel du même principe. Or, ce principe, cette cause primordiale, essentielle, de toute activité, c’est l’âme universelle, dont l’existence n’est rien moins que chimérique et dont chaque série de manifestations est, ainsi que je vous l’ai dit déjà, l’objet spécial d’une de nos sciences. Ainsi, les physiciens ont circonscrit le domaine de celle qu’ils cultivent aux influences que les corps inertes exercent à des distances plus ou moins considérables; tandis que les chimistes étudient les mêmes phénomènes dans des conditions plus limitées, et poursuivent jusque dans les éléments irréductibles de la matière les affinités particulières dont est pourvu chacun d’eux. Les uns et les autres, les chimistes et les physiciens, ont en outre porté leur attention sur divers phénomènes accessoires auxquels donnent lieu certains faits du règne inorganique; je veux parler de la lumière, de la chaleur et de l’électricité. Et voyez déjà quelle complication de mouvement, d’activité, dans les manifestations de cette matière qu’on nous dit inanimée' Regardez autour de vous, Messieurs, sur cette terre qu’on a crue si longtemps immobile et qui se meut si violemment dans l’espace; sur les deux rivages de cet océan, dont le flux et le reflux sem- 2 18 PREMIÈRE LEÇON, blent la respiration ; entre ces deux pôles qui s’élèvent et s’abaissent tour à tour, comme le balancier de l’éternité, comme les deux ailes du temps, que de force, que de vie! Mais ce n’est pas tout encore; laissez la nature suivre son cours et se charger du soin de rassembler elle-même les éléments épars des millions d’existences qu’elle enfante chaque jour. Ces éléments, qu’un mystérieux pouvoir rapproche et réunit, se coordonnent par groupes autour de germes qui semblent être en quelque sorte la vie posthume d’êtres analogues à ceux qu’ils doivent fournir, et bientôt surgissent ces individualités dont le mécanisme échappe aux investigations de nos sens comme à celles de notre esprit, ici sous la forme d’un homme, là sous l’aspect plus humble d’une mousse ou d’un lichen. Arrêtons- nous un instant au plus simple de ces êtres que nous nommons organiques c’est là peut-être, à cette végétation équivoque que nous voyons naître à la surface d’un liquide en putréfaction; c’est là, dis-je, que pour les savants commence seulement la vie. Mais n’est-il pas évident que celte première individualisation de l’existence, tout en se caractérisant par des phénomènes qui lui sont propres, ne suppose pas nécessairement des éléments vitaux d’un nouveau genre, et peut très-rationnellement s’expliquer par une combinaison, dans certaines proportions, des forces inhérentes à la matière inorganique. En d’autres termes l’activité vitale des végétaux, comme celle des animaux, n’est vraisemblablement qu’une modification particulière de la pesanteur, de l’affinité, etc. Quoi qu’il en soit, cette merveilleuse transforma- NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME. 19 tion, cette sorte de condensation de la vie dans des êtres distincts, définis, donnant lieu à une série de manifestations, ayant entre elles plus ou moins d’analogie, devait être le sujet d’une science spéciale. Cette science, en effet, existe; c’est la physiologie , ou la science de la vie \ Mais la physiologie, d’après ce qui précède, devait aussi bien comprendre l’étude de la vie chez les êtres organiques que l’étude de la vie chez les êtres organisés, et , personne de vous n’ignore qu’il n’en est point ainsi. Cela tient à ce que la nature est grande, et l’esprit de l’homme petit; car si l’admirable système de l’univers ne constitue réellement pour le Créateur qu’une seule et même vérité, les lambeaux épars de cette vérité la multiplient à nos yeux. Voilà donc pourquoi nous avons tant de peine à comprendre comment le magnétisme, ou la puissance magnétique appartenant exclusivement, au moins en apparence, aux espèces animales, peut avoir quelques rapports avec les propriétés abstraites de la matière inerte. Telle est pourtant la vérité que j’espère vous faire comprendre. Établissons, en attendant, que le magnétisme est, ainsi que vous le soupçonnez déjà, une des branches les plus curieuses de la physiologie générale ce qu’il me reste à vous dire aujourd’hui vous fournira les éléments d’une définition plus précise. On l’a dit depuis longtemps rien n’est plus difficile que de définir la vie. Suivant Locke, c’est le mouvement et suivant Bicliat l ’ensemble des phénomènes 1 Voyez J. Manuel de Physiologie. Paris, 1 845. In-8°, avec figures. 20 PREMIÈRE LEÇON. qui résistent a la mort y définition qui, pour avoir été répétée à satiété depuis ce célèbre anatomiste, n’en est pas moins, selon nous, un pur et simple paralogisme. Mais Locke exprimait-il une opinion plus raisonnable, en considérant le mouvement comme essence de la vie ? J’ose affirmer, quant à moi, que cette assertion était défectueuse, et vous allez le comprendre La vie, loin d’être constituée par un fait unique, indivisible, émane, chez tous les êtres, de deux éléments distincts, de deux facultés corrélatives la faculté iïagir et la faculté de sentir. Mais, prenez-y garde ces deux mots, sentir et agir, ont, dans mon esprit, un sens fort étendu. Tout sent dans la nature; mais cette faculté universelle se modifie dans chacun des êtres, suivant son mode particulier d’existence. L’homme ne sent pas comme la bête, celle-ci comme le végétal, et les végétaux, à leur tour,ne sentent pas comme les minéraux, qui ont aussi, je vous l’ai prouvé, leurs excitants, leurs modificateurs. Tout, pareillement, agit dans la nature la pierre qui gravite, la plante qui croît, la bête qui se meut, l’homme qui pense. U est évident d’ailleurs que, sous le rapport de leur perfection, ces deux facultés de sentir et d’agir subissent un développement parallèle, depuis le minéral où elles commencent,jusqu’à l’homme où elles sont à leur apogée. Rien ne nous serait plus facile que de suivre les traces de ce développement dans toute la série des êtres. N’est-il pas vrai, par exemple, que, dans la propriété double dont sont doués les minéraux d’exercer et de subir l’attraction, nous 21 NATÜKE ET DÉFINITION DD MAGNÉTISME, pourrions sans un grand effort d’esprit reconnaître le double principe de l’activité et de la sensibilité chez les êtres des ordres supérieurs. Je sais que les physiologistes ne consentiront jamais à nous accorder ce point; mais pour leur faire la partie plus belle, plaçons-nous sur leur domaine et prenons avec eux pour premier sujet d’examen un être organisé. La truffe, par exemple, qui se reproduit au sein de la terre, sans organes apparents de reproduction, la truffe vCagil-eWc point sur les sucs du sol en se les appropriant, et n’est-elle pas à son tour modifiée dans son existence par les différentes qualités du milieu oii elle croît? L’action et l’impression sont ici, comme dans la pierre, les deux pôles de la vie. Montons de quelques degrés encore dans la hiérarchie ontologique, et ces deux conditions vitales se caractérisent de plus en plus. Ici, c’est l’herbe qui respire activité, et qui a besoin pour vivre de chaleur et de lumière Un- pressionabililè ; là, c’est la belle-de-nuit qui ouvre ses pétales à la fraîcheur du crépuscule, et plus loin, la sensitive qui contracte ses feuilles au plus léger contact. Puis se présentent, enfin , ces racines intelligentes, ou que du moins une sorte d’instinct semble diriger, lorsqu’elles tournent si habilement les rochers et les murailles, pour aller s’immerger dans le sol qui les doit nourrir. Ce dernier exemple suffit pour faire comprendre par quelles transitions insensibles, l’observateur qui suit fidèlement la nature, passe d’un règne à un autre règne. Disons, toutefois, qu’à partir de ce point indéterminable où l’animalité commence, la vie se centra- 22 PREMIÈRE LEÇON. * lise de plus en plus dans des appareils spéciaux qui semblent en être les foyers, mais qui vraisemblablement n’en sont que les réceptacles. Enfin, des sens apparaissent, se perfectionnent en se multipliant, et diversifient, suivant leur nombre, les impressions qui arrivent à l’être, dont l’individualité est alors si distincte et si tranchée que nous serions tentés de voir en lui, ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, l’expression d’une vie à part et complètement affranchie des lois de la matière inerte. Quoi qu’il en soit, c’est par suite de cette concentration de la vie que la faculté de sentir, chez l’animal, semble déplus en plus se rapporter à un certain point central qui serait en même temps le principal foyer des voûtions, c’est-à-dire de l’activité. Ces voûtions, d’abord purement instinctives comme dans les plantes ou les mollusques, deviennent, à mesure qu'on s’élève d’espèces en espèces, une véritable volonté. Chez l’homme, le plus parfait des êtres organisés, la volonté n’est plus à mettre en doute ; et chez l’homme de génie, la même faculté, dirigée par une âme d’essence divine, est devenue l’indépendance absolue de la pensée et des actes *. La volonté humaine, cette sorte de subtilisation de 1 De là, sans doute, ces incessantes aspirations vers la liberté morale , politique, religieuse, etc., qui, dans toutes les histoires, caractérisent les nations intelligentes ; car ce besoin d’indépendance qui tourmente et soulève les peuples n’est que l’exprtssion synthétique du même besoin dans chaque individu. — Le libre arbitre, admis par la plupart des philosophes , est véritablement, à mes veux, le critérium de l’humanité. 23 NATURE ET DÉFINITION DU MAGNÉTISME, l'activité vitale, jointe à la sensibilité, si délicate et si variée dans ses moyens, qui nous est dévolue, nous représentent donc les deux faces de la vie individuelle dans toute sa perfection, et c’est dans ces deux admirables facultés que nous allons trouver enfin les éléments du magnétisme. D’une part, en effet, cette volonté qui constitue, dans le monde moral comme dans le monde physique, la suprématie de l'homme, qui règle tous nos actes de relations et h laquelle sont subordonnées toutes les parties de notre être, cette volonté, dis-je, est susceptible de faire expansion hors de nous et d’embrasser plus ou moins, dans sa sphère d’activité, les êtres qui nous environnent. D’un autre côté, la faculté de sentir, ou la sensibilité, nous livre continuellement aux influences du monde ambiant. De là une perpétuelle réciprocité d’action entre tous les êtres de la nature, et voilà le Magnétisme. Vous verrez d’ailleurs comment l’habitude et certaines conditions physiques peuvent augmenter indéfiniment l’influence extérieure de la volonté *. Vous verrez également comment, par suite d’une concentration artificielle de la vitalité, la sensibilité s’exalte et acquiert un tel degré de perfection et de délicatesse que l’homme, dans son état ordinaire, ne saurait s’en * Tout le monde sait que cette action expansive de la volonté n’appartient pas exclusivement à l’homme. Plusieurs animaux en donnent des preuves relativement à des êtres plus faibles qu’eux. L’oiseau fascine par le serpent peut servir d’exemple. Le serpent est, à son tour, un des animaux qui ressentent le mieux l’influence de la volonté humaine. 24 PREMIÈRE LEÇON, faire une idëe précisé, et ne se décide même à croire aux phénomènes qui eu résultent qu’à l’instant ou il voit les faits. Quoiqu’on en ait pu dire, le magnétisme ainsi présenté n’a rien de miraculeux, c’est-à-dire rien de contradictoire aux autres vérités connues il ne faut qu’un peu de réflexion pour le concevoir, qu’un peu d’esprit pour le comprendre. Mais si le magnétisme consiste uniquement dans cette incessante réciprocité d’action de toutes les volontés, nous vous ferons voir par la suite que l’intermédiaire de ces influences est aussi le principal agent qui préside aux actes intimes de tous les êtres organisés. Cela posé, j’ai donc le droit d’appeler la science qui a pour objet l’ensemble de phénomènes aussi importants la science de la vie par excellence, ou la physiologie transcendante , et telle est, en effet, la définition que je donne du magnétisme. Mes leçons vous révéleront une partie du rôle immense qu’il joue nécessairement dans nos relations sociales ; mais je dois consacrer les plus prochaines à son histoire, c’est-à-dire aux notions successives que les hommes en ont eues. DEUXIÈME LEÇON. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. Messieurs, Si vous avez eu la patience de nie suivre attentivement dans les considérations générales qui ont fait le sujet de ma première leçon , vous comprendrez facilement aujourd’hui que l’histoire du magnétisme ait pour objet de rechercher et de constater, dans les événements accomplis, la succession des effets produits par le jeu simultané des deux facultés corrélatives sur lesquelles j’ai appelé votre attention la faculté dont sont doués les êtres organisés d’influencer, au moyen d’un intermédiaire invisible, tous les êtres qui les environnent, et la faculté qu’ils possèdent tous de subir cette influence. J’avoue qu’au premier coup d’œil la question, ainsi posée, ouvre à nos investigations une carrière tellement vaste, tellement illimitée, que l’esprit le plus résolu peut s’effrayer à l’idée de la parcourir; mais ce n’est pas ma faute si l’histoire du magnétisme, ainsi que je la conçois se lie intimement à l’histoire philosophique du genre humain tout entier. J’ai d’ailleurs la cer- 26 DEUXIÈME LEÇON, titude que, malgré son étrangeté, ma pensée, à cet égard, obtiendra votre adhésion quand l’analyse raisonnée des faits en aura justifié l’expression. Lorsque Rabelais imaginait sa fable des moutons de Panurge, il était loin, sans doute, de soupçonner tous les genres d’enseignements que renfermait celte plaisante allégorie. Frappé comme tant d’autres penseurs de ce servilisme intellectuel qui semble spontanément inféoder les hommes, l’ingénieux auteur de Pantagruel n’avait d’autre intention que de personnifier dans un type ridicule ce sot instinct d’imitation dont Horace s’était moqué bien des siècles avant lui. Mais quelle surprise ne lui eût-on pas causée en lui apprenant que ce besoin d’imiter, qui le choquait si fort, dépendait de certaines conditions physiologiques essentielles et communes à tous les êtres organisés! L’observation la plus vulgaire multiplie continuellement sous nos yeux les preuves qui justifient cette assertion, contre laquelle cependant s’élèvent, au premier abord, notre raison et nos sens, également blasés par l’habitude. Si le raisonnement règle la plupart de nos actes physiques, personne n’oserait prétendre qu’il en soit toujours ainsi; personne, du moins, ne serait en droit d’affirmer que cette surveillance de l’âme sur le corps n’est jamais interrompue; en un mot, que nous n’agissons jamais sans nous être préalablement consultés sur la nécessité d’agir. Loin de là, tout le monde convient que les mouvements automatiques, ou, si l’on veut, instinctifs, ne sont guère moins fréquents chez l’homme que les mouvements raisonnés. Cette 27 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, proposition qui est fondée relativement aux hommes, relativement surtout aux enfants, acquiert le plus haut degré d’évidence si ou l’applique aux animaux. Or, une distinction qu’il nous importe infiniment d’établir, puisqu’elle est la base de notre système, c’est que, si les mouvements raisonnés émanent nécessairement de l’esprit, si, en d’autres termes, ces mouvements ont leur principe dans l’organisation même de l’individu qui les exécute, il n’en est pas ainsi des mouvements automatiques, dont la cause peut être étrangère à l’organisme qui se meut. instinct, dans ce dernier cas, est, suivant tous les philosophes, le mot explicatif du phénomène qui a lieu. Mais ce mot instinct a-t-il un sens dans la bouche des philosophes? Au moins faut-il convenir que, dans l’idée confuse qu’ils en expriment, il est impossible de découvrir autre chose qu’une pure entité de convention encore plus insaisissable que le sentiment ou la pensée. Cependant il me semble qu’en complétant d’une certaine façon le sensorium des métaphysiciens, je parviens à concevoir l’instinct d’une manière satisfaisante. Selon moi, c’est une espèce de centre vital, de foyer d’animation vers lequel convergent toutes les effluves du monde ambiant et d’où rayonnent continuellement les diverses manifestations de la vie individuelle. Dans un degré supérieur, ou plutôt dans un autre compartiment de la substance nerveuse, la pensée réside ou s’organise d’après des lois inconnues. L’instinct, sorte d’intermédiaire entre le phénomène intellectuel et le phénomène de gravitation, entre l’âme et la matière, entre la vie individuelle et la vie universelle, l’instinct reçoit, de 28 DEUXIÈME LEÇON, deux sources différentes, les excitations qu’il transmet à l’économie. Les influences de la raison et les influences du monde extérieur y aboutissent tour à tour ou simultanément. Ces deux forces opposées s’y combinent sans se neutraliser l’état normal consiste dans leur parfait équilibre, et de la prédominance de la raison ou de la prédominance de l’impressionabilité résultent deux états contradictoires diversement qualifiés dans le langage ordinaire. La foi-ce cl'cime et la faiblesse d’espril n’existent jamais d’ailleurs d’une manière absolue , et dépendent indirectement, comme personne ne l’ignore, de certaines conditions physiologiques qu’il serait ici hors de propos d’énumérer. Cette hypothèse , hasardée peut-être, sur les lois de la vie organique me paraît néanmoins fournir une explication assez plausible de la tendance instinctive à imiter qu’on observe chez tous les animaux, et sur nous-mêmes, lorsqu’une préoccupation intellectuelle nous abandonne, pour ainsi dire, dans notre partie physique, aux influences extérieures. C’est alors une puissance étrangère à notre propre individualité qui règle nos voûtions, et secondairement nos actes. Qui d’entre vous quelquefois n’a ri en voyant rire? qui n’a répété machinalement le geste d’un comédien ’ ? 1 Les deux anecdotes suivantes prouvent jusqu’à quel point les impressions peuvent se transmettre, même lorsqu’elles ne sont qu’imaginaires et même lorsqu’elles sont feintes Eu l’an 1686, pendant les mois de juin et de juillet, dit un chroniqueur, bien des gens encore vivants peuvent rendre témoignage que, dans les environs de Crossford-Boat, à deux milles au- dessous de Lanark, et particulièrement à Mains, sur la Clyde, un grand nombre de personnes se rassemblèrent pendant plusieurs HISTOIRE DE MAGNÉTISME. 29 Quelle bouche n’a redit, sans la moindre participation de la pensée, les mots incohérents que l’oreille avait soirées, et il y avait une pluie de bonnets, de chapeaux, de fusils et de sabres qui couvraient les arbres et la terre; des compagnies d’hommes armés marchant en bon ordre sur le bord de l’eau; des compagnies rencontrant des compagnies, se traversant les unes les autres, puis tombant à terre et disparaissant ; d’autres compagnies paraissaient aussitôt et marchaient de la même manière. Je m’y rendis trois soirées consécutives, et je remarquai qu’il y avait les deux tiers des spectateurs qui voyaient ce prodige et un tiers qui ne le voyait pas; et quoique je ne pusse rien voir, il y avait une telle frayeur et un tel tremblement parmi ceux qui voyaient que ceux même qui ne voyaient pas pouvaient s’en apercevoir. Il y avait debout, à côté de moi, un homme qui parlait comme parlent trop de gens et qui disait et Une troupe de maudits sorciers et sor- cières qui ont la seconde vue! Du diable, si je vois quelque chose ! » Et au même instant il se fit sur sa physionomie un changement remarquable. Avec autant de crainte et de tremblement qu’aucune des femmes que je voyais là , il s’écria n Vous tous qui ne voyez pas, ne dites rien, car c’est un fait, et chacun peut le n voir, à moins qu’il ne soit complètement aveugle ! » Et ceux qui voyaient disaient quels chiens avaient les fusils, et leur longueur et leur calibre, et quelles poignées avaient les sabres, si elles étaient petites ou à trois barres, ou à la manière des montagnards, et quels nœuds terminaient les bonnets, et s’ils étaient noirs ou bleus ; et ceux qui virent ce prodige, quand ils faisaient un voyage, voyaient des bonnets et des sabres tomber sur leur chemin. Ce phénomène singulier, auquel crut tout une multitude, quoique les deux tiers seulement eussent vu ce qui, si le prodige eût été réel, devait être également visible pour tous, peut se comparer à l’exploit d’un plaisant qui, s’étant planté dans une attitude d’étonnement, les yeux fixés sur le lion de bronze bien connu qui orne la façade de Northumberland-Honse, dans le Strand, et ayant attiré l’attention de ceux qui le regardaient, en murmurant » De par le ciel, il remue la queue! il la remue encore! » réussit, en quelques minutes, à bloquer le passage dans cette rue par un attroupement immense, quelques-uns s’imaginant avoir réellement vu le lion de Percy remuer sa queue, les autres s’attendant à voir le même phénomène. » Scott, De la De'monalogie. 30 DEUXIÈME LEÇON, saisis. Ces distractions, j’en conviens, ne sont ordinairement que des éventualités éphémères, et dont le peu de durée prouve suffisamment l’anomalie. Mais imaginez qu’elles se prolongent indéfiniment,et vous aurez fait des hommes de véritables automates dont les actes auront pour principes les fantaisies de votre cette imitation automatique, cette activité d’emprunt, qui constitue chez l’homme une faculté accidentelle, mais susceptible de développement, comme vous le verrez par la suite, est un des traits dominants et caractéristiques de l’animalité dans les espèces inférieures. Regardez, par exemple, paître un troupeau de moutons. Ne dirait-on pas qu’un réseau invisible unit entre eux tous ces animaux et les entretient continuellement dans une parfaite communauté de mouvements et d’instincts? Ils marchent ou s’arrêtent avec le berger qui les conduit. Tous le suivent ou se suivent à la file sans que jamais personne ait songé à leur faire une vertu de ce genre de fidélité. Qu’un pied d’herbe fraîche suspende la marche d’un d’entre eux, tous s’arrêtent à son exemple; que le chien, au contraire, harcèle le délinquant, la frayeur que celui-ci en éprouve se communique de proche en proche, et l’émotion est générale. Tous les moutons, enfin , sont les moutons de Panurge.... Eh bien! changeons la scène; élargissons un peu ces cerveaux incomplets ; qu’une étincelle de raison éclaire l’instinct qui les anime; remontons enfin vers le Créateur, et arrêtons-nous à son image. Un million d’hommes est actuellement à la place du troupeau. Avons-nous donc la certitude que les âmes immortelles, logées par la Providence dans ces têtes 31 HISTOIRE DÜ MAGNÉTISME, privilégiées , résisteront en tontes circonstances au terrible contre-poids d’impulsions analogues à celles que je viens de décrire? Mais quoi! nous serait-il démontré que la pure raison, la froide et impassible raison, a seule présidé jusqu’à présent aux destinées humaines? que ces effrayantes convulsions qui, d’intervalle en intervalle, ont bouleversé les sociétés, ne furent que les solutions nécessaires et logiques de problèmes froidement posés et froidement résolus? Les passions elles-mêmes, s’il était dans leur essence de rester individuelles, n’expliqueraient pas mieux que les génies inventés par les poètes, ou que les démons décrits par Tertullien dans Y Apologétique ', ces accès de délire furieux, dont furent si souvent atteintes les nations les plus intelligentes et les plus éclairées. Mais voici le mot de l’énigtne Les passions sont contagieuses. Ouvrez l’une après l’autre les histoires de tous les peuples; évoquez toutes les traditions; appréciez dans leur cause, dans leur marche et dans leur objet les révolutions des temps antiques et les révolutions des temps modernes, et toujours vous reconnaîtrez, eu remontant jusqu’à leur source ces courants irrésistibles qui emportèrent dans leurs flots des générations entières, la puissance surnaturelle qui en a fixé la direction. Cette puissance, quelle est-elle? un seul homme, quelquefois aussi un grand génie, mais, le plus souvent, un homme de plus surprenant , de plus incompréhensible que les innovations subites dans les croyances ou dans les mœurs, * Traduction de Yassoult, p. i58 et suiv. 32 DEUXIÈME LEÇON, que nous voyons de loin en loin renouveler la face du monde. Au souffle puissant des Moïse, des César, des Mahomet, des Charlemagne, l’humanité s’agite, s’échauffe, s’embrase et se refond. Mais est-ce à l’intelligence seule de ces hommes extraordinaires qu’il faut rapporter exclusivement l’honneur des régénérations accomplies sous leur empire? en vérité, je ne le crois pas. Si la force physique ne convainc personne , la raison ne séduit que les sages lorsqu’elle n’est point corroborée par un pouvoir indestructible, plus fort que la pensée, plus fort que le génie, plus puissant que la force elle-même. Je parle de cet agent invisible qui trouble avant de convaincre et rayonne de certaines têtes comme une auréole de feu ; je parle de cette vertu magique que l’histoire et la fable ont tour à tour divinisée, l’une dans la verge de Moïse, l’autre dans le thyrse de Bacchus; je parle, enfin , de cette puissance qui fascine sans raisonner, qui subjugue sans se faire connaître, de ce prestige qui fanatisait la France pour l’empereur Napoléon, etconfie aujourd’hui les destinées de l’Irlande à la volonté capricieuse d’un illustre démagogue *. Qu’en jugeant les œuvres des chefs de sectes ou des chefs de partis, Mahomet, Calvin, Cromwel, Owen ou Saint-Simon, on fasse une large part à la pensée qui conçoit, à la vigueur qui exécute, et même à l’admiration que l’une et l’autre excitent, tout cela ne suffit point pour expliquer la succession rapide cl la spontanéité de ccr- * J’admire autant que qui que ce soit le caractère et le talent de M. O’Connell; mais cela ne m’empêche pas de dire que l’Irlande est fanatisée pour sa personne, et n’en est plus à discuter ses opinions pour les adopter et les soutenir. 33 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, tains événements qui impliquent le fanatisme. Essentiellement incompatible avec les inductions méthodiques de l’intelligence, le fanatisme, cette conviction quand même , ce sentiment désordonné qui entraîne fatalement vers un but incompris, est évidemment la négation de tout raisonnement, de tonte logique, et caractérise en psychologie un ordre de faits spécial. Susceptible d’ailleurs d’affecter toutes les formes comme d’envahir toutes les organisations, le fanatisme peut engendrer les résultats les plus divers, et même, en apparence , les plus contradictoires il a pour type l’amour, mais l’amour dans toute la vérité du mot, celui qui s’attache indifféremment à la vierge la plus pure comme à la plus infâme des prostituées. Loi suprême des bonzes, des fakirs, des marabouts, etc., le fanatisme inspira l’abnégation sublime des pères de la Merci, dans le même pays où il alluma les bûchers de l’inquisition. Cent fois plus contagieux que le typhus ou la variole, il se propage de proche en proche, s’étend comme un incendie, et souvent, tous tant que nous sommes, nous atteint à notre insu. Que sont, je vous le demande, nos convictions politiques? La certitude en cette matière aurait-elle son critérium? Eh mon dieu! qui s’en soucie? La tête pleine des impressions que nous ont transmises nos amis ou nos pères, nous nous lions par le cœur au parti qui nous adopte ou dans lequel nous sommes nés, et, voilà comment le fanatisme devient sous une main habile et puissante le levier avec lequel on soulève les nations, lorsqu’il s’agit d’ériger ou de renverser un trône. Le fanatisme, enfin, est l’instinct collectif, l’âme sensitive des socié- 3 34 DEUXIÈME LEÇON, tés que presque dans aucun cas la raison ne domine. Quelquefois néanmoins la raison et lui s’accordent pour concourir à un même but ; mais l’opposition flagrante qui presque toujours règne entre eux me paraît une preuvesans réplique qu’il existe positivement d’homme à homme, et surtout au profit de certains hommes, un moyen puissant d’agir sur leurs semblables tout aussi indépendant de rinlelligence que de la force physique, et ce moyen est le magnétisme. Les abus qu’on en a faits ajoutent à sa certitude ; elle me paraît irréfragable dans une foule d’événements dont l’histoire n’a pas toujours déterminé la vraie cause. C’est surtout dans les affaires de sentiments, c’est- à-dire à l’occasion des croyances qui, au lieu de s’appuyer sur des documents positifs, ne reposent que sur l’interprétation équivoque de faits douteux ou con- trouvés; c’esl dans l’histoire des religions, en un mot, que les exemples d’entraînement magnétique sont aussi nombreux que déplorables. Que, par exemple, on lise sans préjugés les annales du christianisme 1 , et en examinant, avec sang-froid, la manière dont se sont formées les sectes innombrables qui ont troublé la paix du monde depuis les apôtres jusqu’à nos jours, on reconnaîtra dans chacune d’elles le développement d’une véritable épidémie, dont le point de départ est 1 On peut consulter, à cet égard, le Dictionnaire des Cultes, par Delacroix, le Dictionnaire de Théologie de Bergier, et pardessus tout VHistoire de l'Eglise de M. l'abbé Receveur, incontestablement supérieure à celle de Fleury comme à celle de Bérault- Bercastel. — U Histoire de l’Eglise par M. l’aLbé Receveur est un livre de fonds qui doit se trouver dans toute bibliothèque bien composée. 35 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, le cerveau d’un fou, quelquefois même d’un fou furieux. Quelques exemples pris au hasard vont prouver ce que j’avance. Saint Irénée, saint Epiphane, Tertullien , Théodoret et saint Augustin, placent au 11' siècle la secte des Caïniles, mais ils ne nomment pas le démon incarné qui en inventa la doctrine. Les caïnites vénéraient la mémoire de Caïn, des sodomites , d’Esaü, de Coré, de Judas, etc. Ils reconnaissaient un principe supérieur a Dieu, et prétendaient que Caïn en provenait, tandis qu’Abel, disaient-ils, n’était que le fils du Créateur, et ils exaltaient la trahison de Judas comme une œuvre méritoire, attendu que sa haute sagesse lui avait fait voir tout le bien que Jésus-Christ ferait aux hommes, ce qui était en opposition directe avec leurs maximes. Ils admettaient qu’une certaine classe d’anges présidait aux péchés et aidait à les commettre; en conséquence, ils enseignaient, d’après le contenu d’un livre à leur usage, intitulé Ascension de saint Paul, qu’il fallait renverser et détruire les ouvrages du Créateur, et qu’à cet effet, il était licite, même obligatoire de se livrer à tous les vices, à tous les crimes, si Von 'Voulait faire son salut. Que de pareilles monstruosités germent et s’élaborent dans une tête en délire; que même, quelque infernal génie, tel que le marquis de Sade, coordonne en préceptes la morale inqualifiable que je viens d’exposer, on conçoit jusqu’à un certain point que les bagnes ou les maisons d’aliénés présentent, de loin en loin, de ces terribles anomalies. Mais que cette morale trouve des apôtres de bonne foi, parmi des gens qui ne sont ni des 36 DEUXIÈME LEÇON. monstres, ni des fous reconnus pour tels, c’est ce qui dépasse toute conception, et c’est pourtant ce qui eut lieu. Une femme nommée Quintilla, dit Tertullien, porta le caïnisme en Afrique, et, comme elle y introduisit à son tour de nouvelles abominations, ses adhérents furent appelés quint illianites. » Ainsi, les quin- tillianites volaient, violaient, assassinaient pour le salut de leur âme et pour la plus grande gloire du principe éternel. Quelle plus affreuse contagion a jamais désolé le monde, et comment parviendrait-on à en expliquer les progrès, sans l’intervention fatale d’un aveugle instinct d’imitation et d’un pouvoir fascinateur qui annihile l’intelligence. Cependant, je veux bien encore vous accorder qu’un horrible égoïsme, qu’une infâme sensualité aient suffi pour propager le dogme des caïnites ' ; mais combien n’est-il pas d’autres sectes à l’égard desquelles il n’est plus possible d’évoquer l’intérêt personnel sacrifié dans leurs principes presque autant que la raison. La secte des valésicns peut en fournir la preuve 11 faut, dit l’apôtre saint Paul, pour être à Jésus- Christ, qu’on crucifie sa chair avec ses vices et ses convoitises 2 . » Chacun sait quelle application firent de ces paroles les ascètes des premiers siècles le grand fakir de l’Inde ne les a pas tous surpassés. L’Arabe Valésius m' siècle, se mutilant pour combattre le démon de la concupiscence, ne me surprend donc pas plus qu’Ori- 1 Les caïnites, dans celte hypothèse, eussent fort, mal raisonné, puisque enfin la pratique de leurs vertus devait conduire au dernier supplice avant de mener au ciel. * 37 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, gène opposant le même acte de résignation sauvage à la calomnie qui lui faisait un crime d’ouvrir son école à de jeunes filles. Mais que Yalésius érige son martyre en doctrine ’, qu’il prêche et qu’il ait des apôtres, enfin, que des milliers d’eunuques volontaires se réfugient à sa suite dans un désert de l’Arabie; voilà certes ce qu’on ne peut expliquer sans l’intervention d’un agent psychique, plus entraînant que la raison. Les m* et iv e siècles furent féconds en épidémies du même genre. C’était l’âge d’or de Y hérésie, sous toutes les formes imaginables; mais pour ne point m’écarter inutilement de mon sujet, je vous renvoie aux livres spéciaux, si vous êtes jaloux de vous édifier sur toutes les pitoyables rébellions contre l’Eglise et le sens commun qui, dans l’espace de dix-huit cents ans, ont * Après s’être mutilé, il soutint hautement que la qualité d’eunuque, bien loin d’être un obstacle pour arriver an sacerdoce, devait être regardée, au contraire, comme le plus sûr garant de la chasteté qu’un prêtre doit garder. En conséquence, il demanda d’être élevé à la prêtrise; mais, au lieu de lui accorder cette faveur, on le chassa de l’ retiré dans un canton de l’Arabie avec ses partisans, dont le tempérament était conforme au sien, et qui en avaient apaisé la fougue par le même remède, travailla , autant qu’il put, à grossir le nombre des eunuques. Il ne tint pas à lui que la terre ne fût bientôt dépeuplée d’habitants; car il enseignait publiquement que tout homme était obligé, en conscience, de se mutiler, et que, sans cette opération nécessaire, il n’y avait point de salut à espérer. Son zèle ne s’en tint pas aux simples exhortations tous ceux qui, malheureusement, tombaient entre ses mains, ou dans celles de ses disciples, étaient Ips victimes de son fanatisme. Valésius les mettait, malgré eux, à l’abri des tentations. Aussi jamais retraite de brigands ne fut évitée avec plus de soin que le canton habité par Yalésius. » Delacüoix, Dictionnaire des Cultes religieux, art. Yalésius. 38 DEUXIÈME LEÇON, si souvent donné lieu à des collisions sanglantes. Je ne vous dirai donc rien, ni d’Arius, ni d’Apollinaire, ni d’Eutiehes, ni de Sévère 1 , ni bien moins encore de ces sectaires obscurs dont le rôle, de Jésus-Christ à Mahomet et de Mahomet à Luther, fut d’infecter de leur folie quelque petit coin du globe. Mais à Luther je m’arrête, et je vous demande la permission de jeter avec vous un coup d’œil rapide sur l’ensemble et la succession des événements de la réforme, dont la plupart me semblent porter le cachet de l’entraînement magnétique. La réforme fut en Europe la contre-partie des croisades; c’est-à-dire que cet engouement irraisonné, ce zèle ardent et fanatique que les prédications de saint Bernard et de Pierre l’Hermite avaient autrefois suscité contre les infidèles, se tourna tout à coup contre l’Église catholique, et surtout contre la papauté. Martin Luther fut le boute-feu de cette révolution, dont Zwingle et Jean Calvin régularisèrent les effets. De ces trois hommes, dont l’apparition fut le grand événement du xvi e siècle, et dont les doctrines,, après avoir coûté * Les sévériens, pourtant, mériteraient bien une mention. Sévère, un des plus légitimes aïeux du manichéisme, enseignait que le corps humain, depuis la tête jusqu’au nombril, avait été créé par le bon principe , et le reste du corps par le mauvais. Passanten- suite à tout ce qui environne l’homme, il enseignait que l’être bienfaisant avait placé autour de lui des objets propres à entretenir l’organisation du corps sans exciter les passions, et que l’être malfaisant, au contraire, avait mis autour de lui tout ce qui pouvait éteindre la raison et allumer les passions. Ainsi, l’eau, qui calme et désaltère, était l’œuvre de Dieu ; le vin et les femmes, les oeuvres du diable. » Bérault-Beucastel , Histoire de l’Eglise. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. ?.9 tant de sang à l’Europe , se partagent encore aujourd’hui la moitié delà chrétienté, le premier était un simple professeur de Wurtemberg, qui, s’avisant un jour de f prêcher contre les indulgences, se fit en quelques années ! un parti si nombreux qu’il put défier impunément j Charles-Quint et Léon X. Le second était un contro- versiste habile, mais moins influent que ses collègues, parce qu’il se montrait plus modéré; le troisième enfin, j. fanatique enragé, qui brûlait ses adversaires quand il \ ne pouvait les convaincre se distinguait bien plus encore par la violence de son caractère que par son talent d’écrivain. Je suis loin d’ailleurs d’en disconvenir, Luther, Zwingle et Calvin étaient tous trois hommes d’intelligence, sinon même hommes de génie; mais qu’eussent-ils fait de cette intelligence, sans l’art de mettre en jeu le grand levier dont j’ai parlé, sans le secret d’émouvoir les cœurs en bouleversant la raison, sans le secours du fanatisme? En effet, c’est par fanatisme que le peuple tient à la religion qu’il pratique j. sans la comprendre, comme c’est par fanatisme qu’il ï l’abjure lorsqu’il se prend à en changer. Je crois parce l que c’est absurde, » disait saint Augustin à propos des t miracles; mais cette proposition supposait une subtilité , de dialectique dont le peuple est incapable; il croit parce qu’il croit, c’est-à-dire sans jamais se demander compte des motifs de sa foi. Les inductions de l’histoire sembleraient même prouver que la foi est d’autant plus vive qu’elle est moins raisonnée, de même que, dans 1 Témoin l’infortuné Servet, brûlé en 1 553 pour avoir nié le mystère de la Sainte-Trinité. 40 DEUXIÈME LEÇON, l’amour vrai, l’esprit n’entre pour rien Je veux donc bien supposer puisqu’on assure que les théologiens se comprennent que les arguments allégués par Luther, Zwingle et Calvin, en faveur de la nouvelle doctrine, étaient de nature à séduire les ennemis éclairés de la cour de Rome; mais j’ajoute avec conviction que le fond de cette doctrine était lettre close pour la majeure partie des masses qui se passionnaient pour elle. Yoilà pourquoi Bossuet prenait une peine inutile en réfutant Calvin; car le livre des Variations n’empêchait nullement le bon peuple d’Allemagne d’abjurer le catholicisme avec la même passion, avec la même frénésie que, quelques siècles auparavant, il se faisait égorger pour lui. On peut d’ailleurs suivre jusque dans ses derniers rameaux la marche de la réforme le porte-étendard de la foi nouvelle est presque toujours un homme du peuple. Tandisque Carlostadt,OEcolampade, etc., modifient les idées de leur maître en se les appropriant, un car- deur de laine 3 devient en France le principal apôtre du calvinisme, et prêche en qualité de ministre dans la première association protestante formée dans notre pays. Que vous dirai-je enfin? Des triumvirs de la réforme, l’erreur ou la vérité rayonnait sur toute l’Europe, et la fièvre qui les dévorait avait passé dans toutes les têtes. A la main de chacun d’eux aboutissaient en faisceau les fils conducteurs qui les mettaient en rapport avec les millions d’organismes subjugués par leur puissance. ' Voilà pourquoi les femmes, qui généralement raisonnent moins que les hommes, sont plus qu’eux susceptibles de piété et d’amour. a Cet homme s’appelait Jean Leclerc. Il finit, comme tant d’autres, par se faire brûler à Met?. par excès de dévotion. 41 HISTOIRE BU MAGNÉTISME. Quelques fils à la fin se rompirent dans l’espace,et voilà comment des enfants perdus du luthéranisme ou du calvinisme, réfléchissant à leur tour, mais en la réfractant, la prétendue lumière qu’ils avaient reçue de leurs maîtres, fondèrent ces sectes sans nombre, dont deux seulement vont nous occuper, celles des quakers et des camisards. Voici comment Voltaire fait l’histoire du quakerisme Ce fut dans le temps que trois ou quatre sectes déchiraient la Grande-Bretagne par des guerres civiles entreprises au nom de Dieu qu’un nommé George Fox, du comté de Leicester, fils d’un ouvrier en soie, s’avisa de prêcher en vrai apôtre, à ce qu’il prétendait, c’est- à-dire sans savoir ni lire ni écrire; c’était un jeune homme de vingt-cinq ans, de mœurs irréprochables, et seulement fou. Il était vêtu de cuir depuis les pieds jusqu’à la tête ; il allait de village en village, criant contre la guerre et contre le clergé. S’il n’avait prêché que contre les gens de guerre, il n’aurait eu rien à craindre; mais il attaquait les gens d’église, il fut bientôt mis en prison on le mena à Derby devant le juge de paix; Fox sé présenta au juge avec son bonnet de cuir sur la tête; un sergent lui donna un grand soufflet en lui disant Gueux , ne sais-tu pas qu’il faut paraître tête nue devant monsieur le juge? » Fox tendit l’autre joue, et pria le sergent de vouloir bien lui donner un autre soufflet pour l’amour de Dieu. Le juge de Derby voulut lui faire prêter serment avant de l’interroger Mon ami, sache, dit-il au juge, que je ne prends jamais le nom de Dieu en vain.» Le juge, en colère d’être tutoyé, et voulant qu’on jurât, l’envoya 42 DEUXIÈME EEÇON. aux Petites-Maisons de Derby pour y être fouetté. Fox alla en louant Dieu à l’hôpital des fous, ou l’on ne manqua pas d’exécuter la sentence à la rigueur. Ceux qui lui infligèrent la pénitence du fouet furent bien surpris quand il les pria de lui appliquer encore quelques coups de verges pour le bien de son âme. Ces messieurs ne se firent pas prier Fox eut sa double dose, dont il les remercia très-cordialement ; puis il se mit à les prêcher; d’abord on rit, ensuite on l’écouta, et comme l’enthousiasme est une maladie qui se gagne, plusieurs furent persuadés, et ceux qui l’avaient fouetté devinrent ses premiers disciples. Délivré de la prison , il courut les champs avec une douzaine de prosélytes, prêchant toujours contre le clergé et fouetté de temps en temps. On jour, étant mis au pilori, il harangua tout le peuple avec tant de force qu’il convertit une cinquantaine d’auditeurs, et mit le reste tellement dans ses intérêts qu’on le tira en tumulte du trou où il était; on alla chercher le curé anglican dont le crédit avait fait condamner Fox à ce supplice, et on le piloria à sa place. 11 osa bien convertir quelques soldats de Crom- wel, qui renoncèrent au métier de tuer, et refusèrent de prêter le serment. Cromwel ne voulait pas d’une secte où l’on ne se battait point, de même que Sixte Y augurait mal d’une secte dove non si chiavciva il se servit de son pouvoir pour persécuter ces nouveaux venus. On en remplissait les prisons; mais les persécutions ne servent presque jamais qu’à faire des prosélytes ils sortaient de leurs prisons affermis dans leur créance, et suivis de leurs geôliers qu’ils avaient convertis. 43 HISTOIRE DU MAGNÉTISME. Mais voici ce qui contribua le plus à étendre la secte Fox se croyait inspiré; il crut par conséquent devoir parler d’une manière différente des autres hommes. Il se mit à trembler,à faire des contorsions et des grimaces, à retenir son haleine, à la pousser avec violence la prêtresse de Delphes n’eût pas mieux fait. En peu de temps il acquit une grande habitude d’inspiration, et bientôt après il no fut guère en son pouvoir de parler autrement. Ce fut le premier don qu’il communiqua à ses disciples. Ils firent de ferme foi toutes les grimaces de leur maître; ils tremblaient de toutes leurs forces au moment de l’inspiration. Delà ils eurent le nom de quakers , qui signifie trembleurs. Le petit peuple s’amusait à les contrefaire; on tremblait, on parlait du nez, on avait des convulsions, et on croyait avoir le Saint-Esprit '. » Ce récit, en vérité, n’a pas besoin de commentaire. Mais voulez-vous à présent que je finisse en quatre mots l’histoire du quakerisme? Ce Fox qu’on traitait d’illuminé, cet énergumène qui ne savait pas lire 2 , gagna pourtant à sa doctrine le célèbre Guil laume Penn 3 , qui établit la puissance des quakers en Amérique, et qui les aurait rendus respectables en Europe si les hommes pouvaient respecter la vertu sous des apparences ridicules. Guillaume Penn, à son ’ Voltaire , Mélanges de Litl. , t. I, p. 4 1 et suiv. * Mahomet avait été dans le même cas voilà pourquoi il n’ écrivit pas le Coran, mais le dicta à ses disciples. s Guillaume Penn, ou William Penn, un deshommes les plus intelligents de la Grande-Bretagne, était le fils unique du chevalier Penn, vice-amiral d’Angleterre et favori du duc d’York, depuis Jacques II. U BBÜXIÈMB LEÇON, tour, convertit le philosophe Barclay, qui eût fait un quaker du roi Charles II si la conversion d’un roi eût été chose possible. Remarquez, au reste, que dans tout ceci il n’entre pas dans ma pensée de me moquer des quakers. Loin de là, je les tiens pour les plus honnêtes gens du monde, et je ne leur trouve que deux torts celui de se croire les seuls vrais catholiques, et celui, beaucoup plus grave peut-être, de ne point porter de boutons sur leurs habits, car ce fut là ce qui les perdit leurs enfants, dit Voltaire, se faisaient protestants pour être à la mode. En définitive, l’histoire du quakérisme nous prouve que, heureusement, la vertu est contagieuse comme le vice, et que'le bien sait voler, comme le mal, sur les ailes du magnétisme. Parlons maintenant des camisards. En i685, après la révocation de l’édit de Nantes, cet acte impolitique et déloyal du grand Roi, trompé par son confesseur et ses maîtresses, les protestants desCévenues et du Gévaudan, ancien foyer de l’hérésie manichéenne des Albigeois, privés de leurs ministres, dont la plupart avaient pris la fuite, de leurs temples qu’on avait abattus, se réunissaient dans la solitude des forêts pour y vaquer aux pratiques de leur culte. En butte à toutes les vexations imaginables, poursuivis, traqués comme des bêtes fauves par les vrais catholiques et par les agents de l’autorité, l’état de crainte et d’anxiété perpétuelles dans lequel ces malheureux se virent condamnés à vivre ne tarda point à altérer la raison d’un grand nombre d’entre eux, et à provoquer chez quelques-uns des accès d 'extase et diverses aber- HISTOIRE DU MAGNETISME. 45 râlions nerveuses qui se communiquèrent aux autres. L’extase, en effet, peut, à l’aide de certaines conditions particulières, devenir rapidementcontagieuse dans une réunion d’hommes elle les gagne de proche en proche comme le bâillement sympathique qui circule dans une société dont quelques membres s’ennuient. Cette contagion du bâillement est un fait magnétique connue celle de toutes les névroses. Dans les conjonctures dont il s’agit, le rapprochement forcé des infortunés camisards 1 favorisait donc la propagation des phénomènes insolites qu’un petit nombre présenta dans le principe, et qui, plus tard, se multiplièrent d’une façon si prodigieuse. Mais ce qui est digne de remarque, c’est que ces phénomènes n’eurent point la spontanéité que leur attribuent, en général, des historiens mal informés. Ici comme toujours, l’épidémie eut son point de départ, l’infection eut son foyer. Les camisards avaient des chefs dont l’esprit les dominait, et dont l’exaltation les poussa bientôt aux derniers termes du fanatisme. Affaiblis par les privations et par les jeûnes qu’on leur imposait, l’exubérance d’une sensibilité factice les livrait à la merci de quelques fous furieux. Afin que pas un de vous ne suppose que, pour mettre ces faits en harmonie avec mou système et mes idées, je les altère et les dénature en vous les racontant, la narration que je vais vous soumettre est celle d’un théologien qui ne songeait guère au magnétisme 1 Ils étalent ainsi nommés d’une sorte de blouse blanche en languedocien, camise que portaient les habitants desCévennes et qu’ils avaient adoptée. 46 DEUXIÈME LEÇON. Un vieux calviniste, nommé Du Serre, choisit dans son voisinage quinze jeunes garçons, que leurs parents lui confièrent volontiers, et il fit donnera sa femme, qu’il associa à son emploi, pareil nombre de filles. Ces enfants n’avaient reçu pour première leçon du christianisme que des sentiments d’horreur et d’aversion pour l’Eglise romaine. Ils avaient donc une disposition naturelle au fanatisme; d’ailleurs ils étaient fort ignorants; ils étaient placés au milieu des montagnes du Dauphiné, dans un lieu couvert d’épaisses forêts, environné de rochers et de précipices, éloigné de tout commerce, et pleins de respect pour Du Serre, que tous les protestants du canton révéraient comme un des héros du parti protestant. » Du Serre, leur dit que Dieu lui avait donné son esprit, qu’il avait le pouvoir de le communiquer à qui bon lui semblait, et qu’il les avait choisis pour les rendre prophètes et prophétesses, pourvu qu’ils voulussent se préparer à recevoir un si grand don de la manière que Dieu lui avait prescrite. Les enfants, enchantés dç leur destination, se soumirent à tout ce que Du Serre leur ordonna. La première préparation à la prophétie fut un jeûne de trois jours, après lequel Du Serre les entretint d’apparitions, de visions, d’inspirations. Il remplit leur imagination des images les plus effrayantes et des espérances les plus magnifiques, il leur fit apprendre par cœur les endroits de l’Apocalypse où il est parlé de l’anteehrist, de la destruction de son empire et de la délivrance de l’Église; il leur disait que le pape était cet antechrist, que l’empire qui devait être détruit était HISTOÏKE DU MAGNÉTISME. 47 le papisme, et que la délivrance de l'Eglise était le rétablissement de la prétendue réforme. Du Serre apprenait en même temps à ses prophètes à accompagner leurs discours de postures propres à en imposer aux simples 1 ; ils tombaient à la renverse, fermaient les yeux, gonflaient leur estomac et leur gosier, tombaient dans un assoupissement profond, se réveillaient tout à coup, et débitaient avec un ton audacieux tout ce qui s’offrait à leur imagination. Lorsque quelqu’un des aspirants au don de prophétie était en état de bien jouer son rôle, le maître-prophète assemblait le petit troupeau, plaçait au milieu le prétendant, lui disait que le temps de son inspiration était venu; après quoi, d’un air grave et mystérieux, il le baisait, lui soufflait dans la bouche, et lui déclarait qu’il avait reçu l’esprit de prophétie ; tandis que les autres, saisis d’étonnement, attendaient avec respect la naissance du nouveau prophète, et soupiraient en secret après le moment de leur installation. Bientôt Du Serre ne put contenir l’ardeur dont il avait embrasé ses disciples; il les congédia, et les envoya dans les lieux où il croyait qu’ils jetteraient un plus grand éclat. Au moment de leur départ, il les exhorta à communiquer le don de prophétie à tous ceux qui s’en * Il est probable que l’historien fait une supposition purement ' gratuite en avançant que du Serre apprenait à ses prophètes à accompagner leurs discours de postures propres à en imposer aux simples. Ces postures n’étaient pas plus étudiées que ne l’étaient autrefois les contorsions de la Pythie de Delphes, ou celles des convul iannaires de Saint-Médard. Mais nous devons pardonner cette critique, si naturelle de la part d’un homme sensé, condamné à raconter des choses auxquelles il ne comprend rien. 48 DEUXIÈME LEOOX. trouveraient digues, après les y avoir préparés de la même manière dont ils avaient été disposés eux- mêmes, et leur réitéra les assurances qu’il leur avait données que tout ce qu’ils prédiraient arriverait infailliblement. Deux des disciples de Du Serre se signalèrent entre les autres, la bergère de Crest, surnommée la belle Isabeau, et Gabriel Astier, du village de Clien, en Dauphiné. La bergère de Crest alla à Grenoble, où, après avoir joué son rôle quelque temps, elle fut arrêtée, et quelque temps après convertie; mais sa défection n’éteignit pas l’esprit de prophétie. Les autres disciples de Du Serre se répandirent dans le Dauphiné et dans le Vivarez,où l’esprit prophétique se multiplia si prodigieusement qu’il y avait des villages qui n’avaient plus que des prophètes pour habitants. On voyait des troupes de deux ou trois cents petits prophètes se former dans une nuit, prêcher et prophétiser sans cesse, en public, au milieu des villages, et écoutés par une multitude d’auditeurs à genoux pour recevoir leurs oracles. Si dans l’assemblée il y avait de plus grands pécheurs que les autres^ les prédicateurs les appelaient à eux; ils tombaient dans des tourments terribles, dans des convulsions, jusqu’à ce que les pécheurs se fussent approchés d’eux. Ils mettaient les mains sur eux, et criaient sur leurs têtes, miséricorde et grâce, exhortant les pécheurs à la repentance et le public à prier Dieu qu’il leur pardonnât. Si les pécheurs se repentaient sincèrement , ils tombaient eux- 49 HISTOIRE 1U MAGNÉTISME, mêmes par terre, comme morts; rendus à eux, ils sentaient line félicité inexprimable. Cette espèce de ministère n’était pas exercé seulement par des personnes d’un âge mûr et d’un caractère respectable, mais par des bergers de quinze ou seize ans, quelquefois de huit ou de neuf, qui s’assemblaient, tenaient consistoire, et y faisaient faire à cinquante ou soixante pénitents réparation de leur apostasie, c’est-à-dire de leur retour à l’Eglise romaine; ces enfants s’acquittaient de ces fonctions avec une autorité de maîtres, questionnaient avec sévérité les pécheurs, leur dictaient eux-mêmes la prière par laquelle ils devaient témoigner leur repentance, et la finissaient par une absolution exprimée par ces paroles Dieu vous en fasse la grâce ! Les accès de prophétie variaient dans leur forme, la règle ordinaire était de tomber, de s’endormir, ou d’être surpris d’un assoupissement, auquel se joignaient des mouvements convulsifs; les exceptions à la règle furent de s’agiter et de prophétiser en veillant, quelquefois dans une extase simple, souvent avec quelques convulsions. Ces prophètes avaient formé des attroupements dans le Dauphiné et dans le Vivarais, qui furent dissipés par M. de Broglie, lieutenant général, et par M. de Barville, intendant de la province. Lefeu du fanatisme ne fut cependant pas éteint,et l’esprit prophétique se perpétua secrètement et entretint dans les calvinistes l’espérance du rétablissc- 4 50 DEUXIÈME LEÇON, ment de leur secte. Les habitants de ces provinces étaient presque tous des protestants élevés et nourris grossièrement. Ils roulèrent toujours dans leurs têtes ces idées d’inspiration que la solitude, leur manière de vivre, et peut-être le zèle indiscret et dur des catholiques fortifiaient en sorte que dans ces contrées l’enthousiasme et le fanatisme n’attendaient pour agir qu’une occasion. L’impuissance prétextée ou réelle de payer la capitation fut ou la cause ou l’occasion qui fit éclater le fanatisme et le mécontentement de ces peuples. Ils se révoltèrent, les prophètes parurent aussitôt sur la scène, les puissances qui étaient en guerre avec la France les secondèrent, et le Languedoc fut le théâtre d’une des plus cruelles et des plus horribles guerres civiles qu’on ait vues, etc., etc. 1 » L’ouvrage auquel nous empruntons ces détails fut imprimé à Paris en i 762,c’est-à-dire environ quinze ans avant l’arrivée de Mesmer en France. L’auteur n’avait donc pu emprunter à la théorie mesmérienne la couleur très-caractéristique répandue sur son récit. Interprète fidèle et désintéressé des témoins oculaires, il raconte avec impartialité les événements tels qu’il les a trouvés dans les chroniques contemporaines , et tout nous porte à croire que les choses se sont passées de la manière dont il les rapporte. Or, consultez sans prévention les ouvrages spéciaux publiés depuis sur le magnétisme par les disciples de Mesmer. Arrêtez-vous * PtUQUET, Mémoires pour servir à l’Histoire des égarements de l’esprit humain, t. I, p. 3g'2 et suiv. HISTOIRE DU MAGNÉTISME. 51 dans ces ouvrages à la description des procédés en usage parmi les magnétiseurs modernes, ainsi qu’à la description des phénomènes physiologiques qui résultent de leur application, et vous reconnaîtrez avec nous qu’il existe entre l’insufflation cabalistique de Du Serre et l’art actuel de magnétiser la plus frappante analogie, de même qu’entre l’état symptomatologique de nos somnambules et les étranges manifestations de l 'esprit prophétique parmi les inspirés des Cévennes. Nos leçons ultérieures vous apprendront même qu’il y a entre les deux faits plus que de l’analogie, et qu’une étude plus approfondie en démontre l’identitc. Le calviniste Du Serre pratiquait donc, à la fin du xvn° siècle, ce que Mesmer ou de Puységur découvraient cent ans plus tard. On conçoit au reste à merveille comment, à l’époque des eami- sards, personne ne se soit avisé de donner une explication scientifique des prodiges qui s’accomplissaient dans les retraites de ces malheureux. Le fanatisme jetait un voile sacré sur tout ce qui, de près ou de loin, touchait à la religion. La France était en feu, l’esprit de vertige gagnait les plus sensés; on se battait pour sauver son âme, et tous les intérêts d’ici-bas s’effacaient en présence des intérêts de l’autre vie. Dans le Midi, par exemple, il n’y avait plus de Français, mais des élus et des damnés les damnés étaient les calvinistes qu’on égorgeait au nom du Christ, et leurs bourreaux étaient les élus. Chacun, au reste, avait son tour, et les représailles étaient terribles. Victimes ou bourreaux, tous étaient en démence ; et avec la croyance 52 DEUXIÈME LEÇON'• stupide où l’on était que dans cette horrible mêlée le Créateur lui-même était aux prises avec l’esprit du mal, il était juste qu’on rapportât directement à l’une ou à l’autre de ces deux puissances tous les événements extraordinaires que faisait naître un pareil désordre. Tout dans ces temps maudits venait du ciel ou de l’enfer, et les miracles, en conséquence, n’étonnaient plus personne. C’était, au dire des protestants, le Saint-Esprit que Jean Du Serre soufflait à scs prophètes, et le même Du Serre, pour les catholiques, était l’agent du diable. Cela convenu, tout était dit, et malheur au calviniste qui eût nié le Saint-Esprit, aussi bieii qu’au catholique qui n’eût pas cru au diable ! l’un ou l’autre eût payé de sa vie cet imprudent anachronisme. C’est avec ce système d’intimidation que l’aveugle moyen âge a perpétué son ignorance; car si l’ignorance engendre le fanatisme, le fanatisme, à son tour, la protège et l’entretient. Voilà donc comment les xv% xvt' et xvu e siècles ne nous ont laissé sur leurs sorciers, leurs possédés, leurs convulsionnaires, etc., que des légendes défigurées par l’esprit de superstition et totalement dénuées de critique. Une époque intéressante de l’histoire du magnétisme est pourtant dans ces légendes; malheureusement, le peu de certitude et de garanties quelles présentent ôtera toujours aux érudits le courage de les dépouiller. Je vous dirai pourtant tout à l’heure quelques mots des magiciens et des sorciers du moyen âge; mais je veux, avant tout, attirer votre attention sur une particularité 53 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, commune aux quakers, aux camisards et à une foule d’autres sectaires je veux parler du tremblement qui accompagnait Xinspiration, ou qui plutôt marquait l’instant où l’inspiration était donnée. Le tremblement et la convulsion sont deux faits de même nature ; l’un et l’autre consistent dans un mouvement involontaire et désordonné, qui suppose ou quelque lésion physique des centres nerveux, ou quelque autre cause entraînant éventuellement après elle une sorte de désassociation momentanée ou persistante entre le corps et l’intellect; l’expérience vous prouvera par la suite que le magnétisme produit quelquefois cette espèce de désordre. C’est alors que l’agent extérieur, qu’une puissance mystérieuse et étrangère à l’organisme, prend possession du corps et soustrait momentanément ses actes à l’empire de la raison. Le tremblement et les convulsions sont donc, à mon avis, des symptômes de la domination magnétique. Ces symptômes, qui se manifestaient fréquemment autour des baquets de Mesmer, résultent peut-être d’une lutte tacite entre l’intelligence qui défend ses droits et la volonté du magnétiseur qui cherche à s’en emparer. Au moins nous est-il démontré, par de nombreuses observations, que le mouvement convulsif provient fréquemment d’une action magnétique incomplète 1 ,ou provoquant, par un excès d’activité, une ré- ' Voilà pourquoi les personnes magnétisées malgi’é leur volonté sont si exposées à éprouver des convulsions qui ne cessent qu’à l’instant où leur volonté vaincue les abandonne à leur magnétiseur. 54 DEUXIÈME LEÇON. sistance involontaire du magnétisé. Le tremblement des quakers et les convulsions des earnisards 4 ont 1 Le fait suivant, rapporté récemment par les journaux, peut servir de complément à l’histoire des quakers et des earnisards 11 vient de se fonder tout récemment à Kuenheiin, petite commune située à i a kilomètres de Colmar, une secte religieuse, une société de convulsionnaires, sur laquelle nous avons recueilli des détails assez curieux. Cette société, qui procède Au piétisme, comme le piétisme procède du protestantisme, se compose de trente à quarante membres, hommes, felnmes, enfants, presque tous journaliers et assez misérables. Elle se réunit trois fois par semaine dans la maison de son chef, qui est un cultivateur peu aisé, jeune encore, et qui s’est toujours fait remarquer par son exaltation religieuse. Sur la table se trouve une Bible ouverte, dans laquelle le chef lit à haute voix aux sectaires assis sur des bancs ou se tenant debout autour de lui. Cette lecture se fait d’un ton solennel, d’abord en allemand, seule langue que comprennent les assistants, puis arrive un jargon incompréhensible pour tout le monde, et même pour l’orateur lui- même Si, après la séance, vous demandez au chef dans quelle langue il a parlé, il vous répondra que c’était, tantôt en latin, tantôt en hébreu; qu’il ne connaît ni le latin ni l’hébreu, mais que, dans ces moments-là, il est inspiré par Dieu, qui lui fait parler la langue qu’il veut. A mesure que le jargon de l’orateur devient plus rapide, plus fort et plus inintelligible, l’assemblée murmure, s’agite, parle haut, et enfin tous se mettent à rugir, à hurler d’une manière si terrible qu’on les entend jusque dans la forêt voisine, à plus d’un kilomètre de là. Au milieu de cette agitation, les femmes se lèvent ce sont presque toujours les plus jeunes, agitent les bras au-dessus de la tête, tournant sur les talons en jetant des cris perçants qui dominent ce bruit sauvage; puis un mouvement convulsif s’empare de tout leur corps, et elles tombent comme épuisées de fatigue. Des filles de douze à quinze ans sont atteintes aussi de ce paroxysme d’exaltation. Lorsque ces femmes se relèvent, après un intervalle de dix minutes, elles se remettent à danser, à chanter et à rire, mais d’un rire nerveux comme celui de l’ivresse ou de la folie ; leurs danses et leurs chants sont incohérents, dévergondés ; leurs yéux sont brillants, et les larmes coulent sur les joues de ces malheureuses. Ce spectacle a quelque chose de triste et de poignant. Pendant cet hor- 55 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, donc en physiologie une valeur significative. L’histoire des uns et des autres devait nous conduire, par une transition naturelle, des faits magnétiques purement moraux , dont je vous ai entretenus d’abord, aux faits magnétiques purement physiques , dont je vais à présent vous parler. Dans certaines circonstances , sur lesquelles j’aurai plus d’une fois, par la suite, l’occasion de revenir, le magnétiseur ayant la conscience de son pouvoir, et agissant sciemment, s’empare d’une manière tellement absolue de l’organisation du magnétisé que celui-ci ne s’appartient plus et fait involontairement au premier l’abandon le plus explicite de toutes les parties de son être. Son corps n’est plus alors qu’un instrument passif dont l’âme semble être séparée, dont il ne reçoit plus d’impressions,enfin,dont les mouvements ou l’immobilité ne dépendent plus de lui. Le magnétiseur, au contraire, en dispose à son gré; les convulsions ou la roideur tétatique s’y forment à sa voix *, il est l’ame , rible vacarme, l’orateur conserve le calme d’un chef inspiré. Il s’avance au milieu de ses disciples au moment où l’agitation va se calmer; alors ceux qui sont un peu attiédis par la fatigue s’approchent de lui ; ils se penchent en avant et le touchent au corps, qui de la tête, qui de la main ; quelques-uns parviennent seulement à le toucher du hout du doigt. Ainsi entouré, le chef recommence son jargon et ses gesticulations emphatiques, en tournant et en faisant tourner autour de lui tous ces individus. Cinq minutes ne sont pas écoulées que le paroxysme redouble et que de nouvelles convulsions s’emparent des femmes, pour se prolonger pendant neuf ou dix heures, et fort avant dans la nuit, etc. » Estafette du 4 octobre . 844 - * M. Marcillet, que je suis heureux de remercier publiquement de l’aimable concours qu’il a bien voulu me prêter à mes leçons, 56 DKÜXIÈMB LFCON. en un mot, de celte imicliiue inerte dont le véritable maître est actuellement dépossédé. Faisons d’ailleurs remarquer, par anticipation, que ces sortes d’actions magnétiques n’ont pas lieu seulement d’homme à homme, mais bien de certains hommes à certains animaux, et enfin qu’elles s’exercent sur les objets inanimés, auxquels du moins elles semblent communiquer des propriétés particulières. Quoi qu’il en soit, ces faits sont rares, et, si l’on en juge par l’analogie, ils ont dû l’être dans tous les temps. 11 n’est donc pas étonnant que, dans l’antiquité, on les ait pris pour des miracles, et qu’il se soit trouvé des imposteurs, des ambitieux, et peut-être aussi des sages qui s’en soient fait un moyen d’accréditer leur doctrine ou leur puissance, en se donnant aux yeux des peuples, pour les interprètes de la Divinité *. Si l’on juge encore de ce qui dut se passer autrefois d’après ce qui se passe aujourd’hui, les actions physiques du magnétisme furent dès le principe, comme à ne manque jamais d’ouvrir ses séances par des expériences de cette nature. Lejeune Alexis, qu’il magnétise, est assis dans un fauteuil que plusieurs personnes vigoureuses sont chargées de maintenir, tandis qu’un et même deux des assistants montent brusquement sur ses jambes étendues, que ce poids énorme ne fait pas fléchir. Cette expérience, faite publiquement chez moi à plusieurs reprises, a pu être vérifiée par la moitié de Paris. ' Dès les temps les plus anciens, les hommes supérieurs qui voulaient imposer à leurs semblables le frein fie la religion présentèrent les miracles et les prodiges comme des signes certains de leur mission, comme des œuvres inimitables de la Divinité, dont ils étaient les interprètes. Saisie d’effroi, la multitude se courba sous le joug, et l’homme le plus superbe frappa les marches de l’autel de son front humilié. » E. , Des Sciences occultes, Paris. i8j5, p. 2 . 57 HISTOIRE IU MAGNÉTISME, présent, les seuls éléments embrassés par l'étude dogmatique du sujet qui nous occupe. entraînement moral, en effet, considéré isolément, ne présenta jamais rien d’assez distinct des autres actes psychologiques pour devenir, a priori, l’objet d’une doctrine spéciale. Quant aux faits mixtes, ils furent de tout temps abandonnés aux investigations des physiologistes, qui n’y virent que des anomalies, de bizarres exceptions à l’ordre naturel, et qui n’en tirèrent, en conséquence , aucune induction générale. Ainsi compris et circonscrit dans ces limites étroites, le magnétisme fut pratiqué sous différents noms, depuis les premiers hommes des temps historiques jusqu’aux temps où nous vivons. L’histoire de la magie est évidemment son histoire, et les œuvres des magiciens, répétées de nos jours pour la plupart par les disciples de Mesmer, ne laissent plus à cet égard subsister l’ombre du doute. Longtemps, dit E. Salverte *, la magie a gouverné le monde. Art sublime d’abord, elle parut une participation au pouvoir de la Divinité admirée encore au commencement de notre ère par des philosophes religieux, comme la science qui découvre sans voile les œuvres de la nature 2 , et conduit à contempler les puissances célestes 3 , » cent cinquante ans plus tard, le nombre et surtout la bassesse des charlatans qui en faisaient un métieravait livré son nom au mépris des hommes éclairés; tellement que le biographe d’Apollonius de Tyane, Philostrate, s’empresse d’assurer que 1 Ouvrage cité, p. 87. * Plui. Jud,, lib. De specialibus Legibus, 5 Idem, lib. Qtiod omnin probus liber. 58 DEUXIÈME LEÇON, son héros n’était pas un magicien *. Dans les ténèbres du moyen âge, la magie, en reprenant de l’importance, devint un objet d’horreur et d’effroi. Depuis un siècle, le progrès des lumières en a fait un objet de risée. a Les Grecs imposèrent à la science qui leur avait été enseignée par les mages 1 2 * le nom de magie, et lui donnèrent pour inventeur le fondateur de la religion des mages; mais, selon Annnien Marcellin s , Zoroastre ne fit qu’ajouter beaucoup à l’art magique des Chaldéens, Da ns les combats soutenus contre Ninus par Zoroastre, roi de la Baclriane, Arnobe 4 assure que de part et d’autre on employa les secrets magiques, non moins que les armes ordinaires. Suivant les traditions conservées par ses sectateurs, le prophète de l 'Ariéma fut, dès le berceau, en butte aux persécutions des magiciens; et la terre était couverte de magiciens avant sa naissance 5 . Saint Epiphane 6 raconte que Nembrod, en fondant Bactres, y porta les sciences magiques, dont l’invention fut depuis attribuée à Zoroastre. Cassien parle d’un traité de magie 7 qui existait au v e siècle, et qu’on attribuait à Cliatn, fils de Noé. Le père de l’Eglise que nous avons cité tout à l’heure fait remonter au temps 1 Philostrat , Vit. Apollon, lib. i, cap. i et 2. 4 Les mobeds, prêtres des Guèkres, ou Parsis, se nomment encore, en langage pelilvy, magoi. Zend-Avesta , t. Il, p. 5o6. 5 Amian. Marcell., lib. xxvi, cap. 6. * Arnob., lib. i. Zend-Avesta , Vie de Zoroastre, t.. I, 2° partie, p. io, 18 et suiv. * S. Epiphane, Adver. heeres., t. I, lib. i. 7 Cassien, Confer., lib. i, cap. 21. 59 HISTOIRE Dü MAGNÉTISME. deJarad, quatrième descendant de Seth, fils d’Adam, le commencement des enchantements et de la magie. La magie joue un grand rôle dans les traditions hébraïques. Les anciens habitants de la terre de Chanaan avaient encouru l’indignation divine, parce qu’ils usaient d’enchantements '. A la magie recourent, pour se défendre, et les Amalécites combattant les Hébreux à leur sortie d’Égypte 2 , et Balaam assiégé dans sa ville par le roi des Éthiopiens, et ensuite par Moïse 3 . Les prêtres d’Égypte étaient regardés dans l’indoustan même 4 comme les plus habiles magiciens de Funivers. Non moins versée qu’eux dans leurs sciences secrètes 5 , l’épouse de Pharaon put en communiquer les mystères à l’enfant célèbre que sa fille avait sauvé des eaux , et qui^ instruit dans toute la sagesse des Égyptiens , devint puissant en paroles et en œuvres 6 .» Justin, d’après Trogue-Pompée, raconte que Joseph, amené comme esclave en Égypte, y apprit les arts magiques, qui le mirent en état d’expliquer les prodiges et de prévoir longtemps d’avatice l’horrible famine qui, sans son secours, aurait dépeuplé ce beau royaume 7 . Et, à une époque bien plus rapprochée de nous, les hommes qui attribuaient à la magic les miracles du fondateur du christianisme l’accusèrent d’en avoir dérobé les secrets ' Sapient., cap. 12, vers. 4 - s De Fita et Moite Mosis, etc., p. 55 . 5 Ibid., p. 18-21. 4 Les Mille et Une Nuits, t.. VU, p. 58 trad. d’ÉnoüAna Gauthier . * De Fita et Morte Mosis, etc., note, p. 199. * Act. apost., cap. 7, vers. 22. 7 Justin, lib. xxxvi, cap. 2. 60 DEUXIÈME merveilleux dans les sanctuaires égyptiens 1 . »— Celse, le premier philosophe païen qui ait attaqué la religion chrétienne, reproche également à Jésus-Christ d’avoir opéré ses miracles au moyen de procédés magiques empruntés aux prêtres égyptiens; et, si l’on tient compte du caractère de Celse, cette circonstance jette sur la nature de l’art magique une lumière éclatante. En effet, il ne nous reste de ce philosophe que les fragments rapportés par Origène et par Tertullien, qui tous deux l’ont réfuté; mais ces fragments suffisent pour nous le faire connaître. C’était un écrivain habile, joignant à une érudition aussi vaste que variée un esprit sceptique et railleur qui, se défiant des hommes et des choses, rejetait volontiers l’extraordinaire comme invraisemblable et l’invraisemblable comme impossible. Cependant cet incrédule croyait à la magie, puisqu’il s’en faisait un argument contre la religion nouvelle. Jésus-Christ, au dire de Celse , n’était qu’un magicien ; ses miracles n’étaient que des œuvres de magie, et il avait dérobé aux prêtres d’Egypte le secret de les opérer. Mais pour que ces assertions fussent trouvées raisonnables, pour que le public en tînt compte, pour que les plus illustres pères de l’Eglise daignassent les réfuter, il fallait bien qu’à cette époque, c’est-à-dire au 11 e siècle , la vérité de la magie fût chose accréditée ; il fallait de plus que Celse possédât sur elle des documents précis, il fallait enfin qu’il y eût. entre les miracles évangéliques et les opérations magiques des anciens prêtres d’Orient quelque 1 Magusest clandestinis artibus omnia ilia perfecit Ægyp- iiorum ex adyiis, angclorum pntentium nomina et romains fura tus est disciplinas. » Arnob., Disp. adv. gcntes, lib. i. 61 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, apparence d’identité. Si Jésus-Christ, en un inot, guérissant les malades 4 en leur imposant les mains ou en les touchant de sa salive, pouvait passer pour un magicien, il était donc admis et prouvé que, bien des siècles avant lui, les magiciens faisaient ces prodiges ou des prodiges analogues. Qu’avec Origène et Tertullien on rejette les conclusions que Celse tirait de ce rapprochement à l’égard de Jésus-Christ, j’y souscris sans hésiter; mais il n’en reste pas moins démontré que l’ancienne magie consistait principalement à guérir les maladies par l’imposition des mains. L’art divin de Zoroastre et de ses successeurs n’était donc que le magnétisme. Aussi le magnétisme nous fournit-il une explication plausible des miracles racontés dans l’Ancien Testament. Je n’en veux examiner qu’un c’est le miracle des verges transformées en dragons 2 . Voici la traduction de la Vulgate d’après Le Maistre de Saci * Retirez-vous; car cette fille n’est pas morte, mais elle n’est qu 'endormie. Et ils se moquaient de lui. Après donc qu’on eut fait sortir tout le monde, il entra et lui prit la main, et cette petite fille se leva. » Evangile selon saint Mathieu, ch. 9, vers. 242. Et quelques-uns lui ayant présenté un homme qui était sourd et muet, le suppliaient de lui imposer les mains. Alors Jésus, le tirant de la foule et le prenant à part, lui mit ses doigts dans les oreilles et de sa salive sur la langue. {Evangile selon saint Marc, ch. 7, vers. 32-53. Et Jésus, voyant que le peuple accourait en foule , parla avec menace à l’esprit impur et lui dit Esprit sourd et muet, sors de cet enfant ! je le le commande, et n’y rentre plus. » Alors cet esprit ayant jeté un grand cri, et l’ayant agité par de violentes convulsions, sortit, et l’enfant demeura comme mort, de sorte que plusieurs disaient qu’il était mort. » Id., ch. 8, vers. 24-20, etc. * Salverte, dans son Traite des Sciences occultes, explique tous 62 DEUXIÈME LEÇON- Moïse et Aaron étant donc allés trouver Pharaon firent ce que le Seigneur leur avait commandé. Aaron jeta sa verge devant Pharaon et ses serviteurs, et elle fut changée en serpent. Pharaon ayant fait venir les sages d 'Egypte et les magiciens, ils firent aussi la même chose par les enchantements du pays et par les secrets de leur art. Et chacun d’eux ayant jeté sa verge, elles furent changées en serpents, etc. 4 » Voilà donc Moïse et les magiciens qui luttent de puissance, Moïse faisant des miracles et les magiciens de la magie. Mais, si les chrétiens ont établi cette distinction quelque peu subtile entre des faits absolument semblables, il paraîtrait que ni Pharaon ni les sages ne reconnurent aussi facilement la puissance surnaturelle que le chef des Israélites se flattait de posséder, car Alors le coeur de Pharaon s’endurcit, et il n’écouta point Moïse et Aaron, selon que le Seigneur l’avait ordonné 2 . » Le miracle des verges métamorphosées en serpents fut d’ailleurs répété depuis par de nombreux profanes. Les bateleurs du Caire et d’Alexandrie en donnent actuellement des représentations quotidiennes sur les places publiques de ces deux villes, et les rares demeurants de la sorcellerie dans nos provinces de l’Ouest endorment ençore aujourd’hui les serpents de les autres de la façon la plus satisfaisante celui-là seul paraît l’avoir embarrassé. C’est que Salverte était étranger au magnétisme. 4 Exode, ch. y, vers, io, ii, 12 . * Ibid., vers. i3. 63 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, ces contrées 1 . Voici la raison scientifique de tous ces faits sous l’influence du contact humain et d’une volonté ferme, le serpent, animal essentiellement magnétique, contracte une roideur générale qui le fait ressembler à un bâton, roideur qui cesse aussitôt que le reptile est lâché. Il est à présumer qu’en opérant ce prodiqe, les bateleurs d’Alexandrie n’en connaissent pas plus la cause que les paysans de l’Anjou; mais très-certainement il n’en était pas de même des magiciens d’Egypte. Ces derniers cultivaient la science, et particulièrement la science magique , c’est-à-dire le magnétisme. Si maintenant vous me demandez comment il a pu se faire que cette science ne soit pas tout d’abord tombée dans le domaine public, et que, par la suite, elle se soit perdue, je vous répondrai qu’à l’époque des Pharaons il y avait en Egypte, comme dans tout l’Orient, des castes scientifiques qui, formées surtout par les prêtres, étaient intéressées à ne pas laisser sortir des temples les vérités secrètes auxquelles elles devaient leur puissance; qu’il existait à l’usage de ces castes une langue de convention inconnue du vulgaire, et qui les mettait en possession exclusive de toutes les traditions, qui passaient ainsi mystérieusement de génération en génération sous l’ombre des hiéroglyphes 2 . Je vous dirai encore qu’en l’année 640, de précieux documents sur l’art magique périrent * Voj. Elien, de Animalium natura , 1 , 5 y, de Cerastis ; vi, 33 , de Ægypiiorum in aves et serpentes incantatione; xvi, de Psyllis .— Sonnini, t. II, p. 43 et suiv. 4 Michaïus, de VInfluence des opinions sur la langue, etc., p. 164. 64 DEUXIÈME LEÇON, probablement avec la bibliothèque d’Alexandrie, lorsque le lieutenant du calife Omar * fit chauffer pendant six mois avec les livres qu’elle renfermait les quatre mille bains de cette capitale. Enfin , je vous répondrais, si je n’étais point chrétien, que les traditions du magnétisme ne se sont jamais perdues, que tous les préceptes en sont résumés dans un livre divin devant lequel s’arrêtera toujours la fureur des biblio- lythes; que ce livre vous est connu, qu’il est entre vos mains à tous. Chrétien, ou non chrétien, je puis, en définitive, vous le nommer sans blasphème ce livre, c’est Y Evangile. Oui, messieurs, l’Évangile; et que cette allégation ne vous surprenne ni ne vous scandalise; car, s’il arrive que le magnétisme soit un jour à vos yeux comme aux miens une grande et belle vérité et de toutes les vérités la plus utile aux hommes, vous n’aurez plus le droit de vous étonner que le Fils de Dieu lui-même en ait joint les notions à toutes les notions du juste, du vrai et du beau, qu’il a entassées dans son livre. Jésus-Christ met en deux versets tout le code du magnétisme Ils imposeront' les mains sur les malades, et les malades seront guéris 2 . » 1 Le calife Omar, consulté par Amrou sur ce que celui-ci devait faire des livres, lui écrivit Si ce que ces livres contiennent s’accorde avec le livre de Dieu , le livre de Dieu nous suffit ; s’ils contiennent quelque chose qui y soit contraire, nous n’en avons pas besoin ainsi, il faut s’en défaire.» Aboulfar , Hisl. univers. — Amacin, Hist. sarac. 3 Evangile selon saint Luc , ch. 16. — Il y a dans le même verset Us prendront les serpents avec les mains, et, s’ils boivent quelques breuvages mortels, ces breuvages ne leur feront aucun mal. » HISTOIRE DO MAGNÉTISME. 65 Si vous aviez de la foi, gros comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne transporte-toi d’ici là, et elle s’y transporterait,et rien ne vous serait impossible '. » Je n’ignore pas qu’en prenant à la lettre ces deux passages de l’Ecriture, je suis en contradiction avec l’Eglise,qui les interprète tout différemment. Mais une question d’orthodoxie est-elle de nature à nous interdire la discussion philosophique d’un sujet sur lequel l’Église elle-même, éclairée par des documents nouveaux, se fut, à n’en pas douter, prononcée autrement? Je le pense d’autant moins que les règles de l’orthodoxie ont varié avec les progrès des sciences, et que les savants ont forcé plus d’une fois les conciles à revenir sur leurs décisions. Je n’en veux d’autres preuves que l’exemple de Galilée, condamné au feu pour avoir avancé que la terre tournait. Ee texte de la Genèse, d’abord si inflexible, a fini par concilier la tradition avec l’évidence , et je doute qu’il se trouvât de nos jours, je n’ose dire en Europe, mais en France, un évêque qui de nouveau condamnerait Galilée. D’ailleurs n’est-il pas évident que la religion, autrement entendue, serait le foyer de l’ignorance et l’obstacle le plus invincible à toute espèce de progrès? Dans tous les temps, cette manière de voir fut celle des hommes sensés; Pascal lui-même, le plus fervent des philosophes chrétiens, oubliait volontairement sa foi lorsqu’il voulait appliquer sa seule raison à la recherche de la vérité Je frappe à la porte de l’éternité, disait-il, et il me ’ livangile selon saint Mathieu, ch. 17 , vers. icj. 5 66 DEUXIÈME LEÇON, semble que le vide seul me répond 1 . » Jamais doute plus désespérant fut-il exprimé par l’athéisme? Remarquez, au reste, que l’interprétation littérale des deux versets cités plus haut n’implique en rien contradiction à l’essence divine de Jésus-Christ; elle suppose tout au plus que le fils de Dieu, en se faisant homme, se serait contenté d’être l’emblème irréprochable de de toutes les vertus, qu’il nous donnait pour modèles, comme le type de toutes les puissances dont il nous a permis l’usage. Je ne dis donc point, avec Arnobe et Celse, que tous les miracles de Jésus-Christ furent des œuvres de magie; mais je crois pouvoir avancer, avec toute la réserve et tout le repect que m’impose la plus pure des religions, que le fondateur du christianisme n’aurait point failli à sa mission divine en nous léguant, iat., lib. xxx, cap. 1. 3 Ibid, lib. xvi, cap. 14.; lib. xxiv, cap. 11; lib. xxv, cap. 9; lib. xxix, cap. 5 . 4 Monter , De la plus ancienne Religion du Nord, avant le temps d'Odin. 68 DEUXIÈME LEÇON, fît chez les autres peuples du Nord , s’accordent merveilleusement sur la chose que ce mot désigne, et que cette chose, on n’en peut douter, est toujours le magnétisme. Ainsi, au dire de Plutarque 1 , Pyrrhus, roi d’Epire, pratiquait la magie lorsqu’il guérissait les personnes qui souffraient de la rate, en les touchant lentement et longtemps sur Vendroit douloureux; de même que, d’après Celse, Asclépiade faisait aussi de la magie lorsqu’il endormait au moyen de frictions ceux qui étaient atteints de frénésie 2 . Ainsi, l’existence des faits magnétiques est aussi incontestable dans l’antiquité que de nos jours. Quant à l’interprétation dogmatique qu’ils reçurent des initiés, aux différentes époques des temps historiques, elle n’a pu nous parvenir directement; nous avons dit pourquoi. Les ministres des religions, qui, dans les premiers temps, en furent les dépositaires, étaient trop intéressés à en garder le secret pour qu’aucun deux le divulgât. Aussi, lorsqu’en Asie le culte de Zoroastre succéda au sabisme, à l’adoration deShiva,deWishnouetde Brahma, les prêtres hindous et les Chaldéens emportèrent-ils dans l’exil leur silence inviolable. Mais enfin, après la chute de Smerdis, les mages se dispersèrent, et plusieurs d’entre eux portèrent en Grèce le secret des sciences occultes. La guerre du Péloponèse, pendant laquelle Cyrus le le jeune devint l’arbitre de la Grèce, multiplia les relations des habitants de cette contrée avec les savants de la Perse, et voilà comment, 'eut cinquante ans plus 1 Plut., in Pyrrho. 2 , ih Re merlicn , lib. m. HIST01BE 1U MAGNÉTISME. >!» tard, la magie avait dans l’Attique ses apôtres et ses croyants Quelques siècles plus lard, des thaumaturges, contemporains de Cicéron et de César, opéraient publiquement leurs prodiges dans la capitale du monde 2 ; ils guérissaient les malades par des moyens magiques. Vers le milieu du vi e siècle, les Francs et les Visi- goths portent des lois sévères contre la magie, et ces lois sont renouvelées dans les Capitulaires de Charlemagne. Mais est-ce à la suite des années romaines que les théurgistes de l’Orient avaient franchi les Alpes et s’étaient répandus dans les Gaules? Cette hypothèse n’est pas soutenable; car si, avant l’invasion de César, les druides n’étaieut pas initiés à toutes les sciences occultes de la Chaldée et de l’Egypte, il est certain pour nous qu’ils pratiquaient le magnétisme 8 . Au surplus, l’Orient demeura toujours le foyer où se réchauffèrent ' Démostii. , in Aristoget. — Tiiéocrite, dans sa 2 e idylle, parle d’une magicienne nommée Agamide,qui guérissait les maladies. * Origeke, Contra Gels., lib. i. — Si l’on ne consultait que les poètes, on admettrait sans examen cette multitude d’enchantements opérés par les Circé, les Médée et autres semblables prodiges par lesquels ils ont prétendu répandre du merveilleux dans leurs ouvrages Mais il paraît difficile de récuser le témoignage de plusieurs historiens, d’ailleurs véridiques, de Tacite, de Suétone, d’Ammien Marcellin , qu’on n’accusera pas d’avoir adopté aveuglément et faute de bon sens ce qu’ils racontent des opérations magiques. D’ailleurs pourquoi tant de lois sévères de la part du sénat et des empereurs contre les magiciens, si ce n’eussent été que des imposteurs et des charlatans propres tout au plus à duper la mullitude, mais incapables de causer aucun mal réel et physique? Encyct. de Diderot et d’Alembert, art. Sorciers 5 Nous reviendrons sur ce point à l’occasion du somnambulisme. 70 DEUXIÈME LEÇON, de temps en temps des croyances que la religion , les mœurs et les lois tendaient continuellement à éteindre dans l’Occident. Dès le vm e siècle, dit Salverte 1 , tranquilles au sein de leurs conquêtes, les Arabes s’adonnèrent avec passion à l’étude de la magie. Au xi* siècle, lorsque les musulmans, civilisés, redoutèrent à leur tour le fanatisme de leurs nouveaux frères, les rapports des Européens avec les Arabes et les Maures avaient pris une grande activité; et l’on observe qu’alors le commerce de ceux-ci infecta de superstitions magiques 2 les sciences qu’ils avaient apportées en Occident. De diverses contrées de l'Europe, les étudiants accouraient pour fréquenter les écoles de sciences occultes ouvertes à Tolède, à Ségovie, à Salamanque 3 . L’école de Tolède était la plus célèbre; l’enseignement s’y perpétua du xu c siècle jusqu’à la fin du xv e *. Les sociétés occultes de l’Europe prirent une part active à ces communications c’est par les adeptes dont elles se composaient que nous avons connu la plupart des inventions physiques et chimiques des Arabes. » — C’est à César de Neisterbach, écrivain du xm* siècle, que Salverte a emprunté le passage que je viens de citer, et dont voici en partie le texte original Com- plures ex diversis regionibus scholares apud Toletum student in arie necromantica. C’était donc la nécromancie que les Arabes enseignaient en Espagne, c’est- * Ouvrage cité. a Thiedmann , De Questione, etc., p, 97. ' Fromakn, Tract, de Fascinalione, p. 7a. * llhatr. mira. et. Uni. mie., lib. v, cap. 4- HISTOIRE DU MAGNÉTISME. 71 à-dire l’ensemble des sciences occultes. Mais les sciences occultes elles-mêmes comprenaient l’astronomie, la physique, l’alchimie et la magie, et chacune de ces branches devait naturellement être cultivée par des hommes spéciaux. Aussi cette distinction est-elle établie clairement dans les auteurs contemporains tandis que, la magie, ou le magnétisme car ces deux mots désormais doivent avoir le même sens pour vous, a, dans Albert le Grand, un apôtre zélé, elle rencontre dans Roger bacon un ardent détracteur* .Roger Bacon, aussi bien qu’Albert le Grand, cherchait la pierre philosophale, et tous deux devaient aux Arabes les connaissances et la philosophie qu’ils enseignaient à leurs disciples. La dissidence que nous signalons entre ces deux hommes éminents du xm e siècle prouve donc évidemment l’importance qu’on attachait alors au point de doctrine qui en fait le sujet; c’est-à-dire que, dès cette époque, le magnétisme était déjà, parmi les savants , l’objet de ces controverses violentes qui sc sont depuis si souvent renouvelées. A partir du xin" siècle jusqu’à la fin du xvi% c’est- à-dire depuis Albert le Grand à Robert Flud exclusivement, il est à peu près impossible de suivre l’histoire dogmatique du magnétisme, à travers les ténèbres épaisses de ces temps d’ignorance et de superstition. Il est hors de doute qu’il occupait une place importante dans les études des philosophes hermétiques; mais l’impossibilité absolue de les comprendre ne nous permet aucune conjecture fondée sur l’idée qu’ils s’eu fai- 4 R. Epis loin de secretis operibus et nullitatn magica. 72 DEUXIÈME LEÇON, saient. Je présume cependant qu’il existait, à cet égard, un ensemble de préceptes, un corps de doctrine dont les éléments étaient conservés et transmis d’âge en âge par les membres des sociétés occultes. Au dire de tous les chroniqueurs, ces sociétés étaient fort nombreuses ' en France et surtout en Allemagne. La plus célèbre de toutes fut celle de rose-croix , fondée , dit- on , à la fin du xiv° siècle, par un gentilhomme allemand, nommé Rosenkreutz Rose-Croix, qui, si l’on en croit ses disciples, avait rapporté d’un voyage en Turquie les secrets merveilleux auxquels il les initia. Quelques auteurs ne font remonter qu’au commencement du xvn e siècle, l’origine de l’association de rose-croix, à laquelle ils donnent pour fondateur Valentin Andrea, qui rendit publique, en r5i6, une partie des choses dont s’occupaient ses adeptes 1 2 . La société de Rosenkreutz, qui paraît s’être liée par des affiliations intimes avec les premières associations maçonniques, eut pour dernier représentant le fameux comte de Cagliostro, dont la vie et la mort sont également connues. A l’exemple des anciens mages, les membres des sociétés occultes gardaient le silence le plus inviolable sur toutes les connaissances dont ils étaient les dépositaires. Ces connaissances, malgré l’esprit de mystère qui en entravait les progrès, étaient vastes et variées. Un des plus beaux génies dont se puisse honorer l’Europe et le genre humain , Leibnitz, pénétra à Nuremberg, dans une des sociétés dont nous parlons, et, 1 II en est plusieurs fois question dans la seconde partie du Roman de la Rose. 2 Valejntin. Anduæ, C-onfessio Rosœ-Crucis. Paris, 1 5 1 5. 73 [histoire du magnétisme. tic l'aveu de son panégyriste 1 , il y puisa une instruction qu’en vain peut-être il eut cherchée ailleurs. On s’y livrait à l’étude de la magie, de l’alchimie, de l’astronomie, de la théologie et des sciences exactes. Robert Flud,dont Kepler et Gassendi ont réfuté les opinions, fut un des membres de ces sociétés qui eurent le plus de crédit et de considération. Malheureusement ses écrits sur la magie sont aussi inintelligibles que tous ceux des autres philosophes hermétiques. Les savants du moyen âge avaient, comme les savants de l’antiquité, leurs hiéroglyphes, c’est-à-dire une langue de convention, pour laquelle il n’est plus aujourd’hui d’interprète. Les prétendus signes cabalistiques que l’on voit dans les traités d’alchimie ne sont vraisemblablement que des symboles généralisant, comme nos formules algébriques, des proportions, des quantités abstraites ou même des procédés 2 . Quant aux invocations magiques, ellés ont une origine qu’il est aise de découvrir, et sur laquelle la lecture des traités de philosophie occulte m’a parfaitement éclairé. ' , Eloge de Leibnitz. 2 L’aiialvse de quelques-unes de ces formules fournil une nouvelle preuve à l’appui de l’origine orientale des sciences occultes. On sait, par exemple, quel pouvoir sublime est attaché à la syllabe om oum qui désigne la trimurti hindoue , composée de Shiva, Wislmou et Bramlia. En la prononçant, l’homme pieux s’élevait à Y intention intellectuelle des trois divinités nom divin et son image mystérieuse sont rappelés dans deux livres de magie publiés en Allemagne au commencement du xvi' siècle. Ils ont été cités dans la Bibliothèque magique de Horst. N’est-ce point là un dernier anneau de la chaîne qui, malgré l’éloignement des contrées et des âges, malgré la différence des idiomes et des religions, rattache aux doctrines transcendantes de l’ilindoustan les débris qu’en avaient conservés les adeptes modernes? 74 DEUXIÈME LEÇON. Tout fait magnétique consiste dans un acte de la volonté , qui n’est jamais plus ferme et plus énergique qu’à l’instant où elle croit avoir pour appui quelque puissance céleste ou infernale. Le prophèteËlie s’écrie, en s’étendant sur le fils de la veuve de Sarepta Seigneur, mon Dieu, faites, je vous prie, que l’âme de cet enfant rentre dans son corps 1 . » Et l’enfant fut rendu à la vie. Or, n’est-il pas infiniment probable que si quelque Israélite se fût avisé de répéter sur d’autres moribonds le miracle du prophète, l’invocation faite par Elie se fût présentée à son esprit, et que peut-être même il y eût trouvé le secret de sa puissance? Ce seul exemple suffit pour nous faire comprendre l’histoire des formules magiques dont les guérisseurs de nos campagnes conservent encore le secret comme un don du Tout-Puissant. Ces formules étaient jadis variées à l’infini, et cela devait être pour satisfaire aux croyances mystiques du moyen âge. Si j’en juge par le Traité de philosophie occulte 2 de Corneille Agrippa, la doctrine des magiciens consistait dans une sorte de polythéisme ridicule, monstrueux , et qui personnifiait sous la forme d’anges ou de démons toutes les puissances de la nature. Les sorciers ou magiciens subalternes, qui pratiquaient la science sans trop se douter qu’elle existât, partageaient néanmoins ces crovances. C’est par quelques réflexions sur cette sorte de gens que je terminerai ma leçon. 1 Rois, liv. iii , ch. 17. a II est très-intelligible, à l’exception de quelques passages hiéroglyphiques, mais il n’offre , à mon avis, rien qui soit digne d’intérêt. 75 HISTOIRE DU MAGNÉTISME. En appelant les sorciers des magiciens subalternes et ignorants, je crois bien les définir. Il y en eut dans tous les temps, comme il en est encore de nos jours; la superstition les multipliait à l’infini dans les siècles d’ignorance la terreur qu’ils inspiraient alors, et la foi qu’ils avaient en eux-mêmes, faisaient toute leur puissance ;cette puissance, ils l’aliénèrent du jour où ils commencèrent à en douter. Ceci vous explique comment la sorcellerie s’éteignit avec l’esprit religieux. L’homme, qui croyait volontiers aux miracles opérés par le démon , n’osa pas ajouter foi à ses propres miracles, quand il fallut en prendre pour soi la responsabilité. Le pouvoir des magnétiseurs, subordonné aux mêmes lois que le pouvoir des sorciers, exclut, comme lui, le scepticisme et cesse d’être dès l’instant où il croit n’être plus. Le vrai magnétiseur ne doute de rien qu’il soit fort, nerveux, ignorant et fanatique, et vous avez en lui le vrai sorcier du moyen âge, placé toutefois dans un autre milieu moins favorable à son empire. — Cependant, que le magnétisme se propage, et, dans toutes les classes de la société, se reproduiront bientôt, plus ou moins, sur un fond scientifique, tous les prétendus actes impossibles attribués aux sorciers. Au surplus, les documents historiques desquels ressort l’existence de ces derniers dans tous les temps et dans tous les pays sont aussi précis que nombreux; en voici d’irréfragables Une des lois de Moïse condamne à mort ceux qui font des maléfices '. Est-ce des magiciens ou des sor- Maleficos non palicris vivere. Exode, cap. au, vers. 18. 76 DEUXIÈME LKÇOX. tiers qu’il s’agit clans ce passage de l’Exode? le texte n’établit point cette distinction, apparemment aussi indifférente pour le législateur que pour nous. — Sorciers ou magiciens étaient également magnétiseurs, car voici pour leurs somnambules Qu’il n’y ait personne parmi vous qui fasse des maléfices, qui soit enchanteur, etc.; ou qui consulte ceux qui ont des pythons, etc. K . 11 est impossible de ne pas reconnaître dans ces deux passages le double élément du magnétisme. Le même système se reproduit dans la sorcellerie des Grecs l ’enchanteur et l 'enchanté ont un nom particulier, le mot eitccvidoc désigue le premier et le mot ftotvnç le second. Les Romains établissent encore des distinctions plus nombreuses, parce qu’ils spécifient dans leur langage toutes les branches des sciences occultes. Ils ont leur venenarii ou venefici qui préparent les poisons, les genethliaci qui tirent les horoscopes, les augures et les aruspices dont on sait les fonctions; les Thessali et les Chaldœi , légitimes héritiers des mages; puis enfin, les sortiarii et les sortiariœ qui n’ont pas de doctrine acquise comme les fils de la Chaldée, mais qui n’en font pas moins des maléfices, et sont condamnés à mort par les lois lombardes, sous le nom de Marcce. Les sortiarii des Romains étaient donc les mêmes ' üeute’ron., ch. 27, v. 10. — M. Victor Manequin a commenté ces leux versets de la Bible dans son Introduction à VHistoire de la Législation française p. 587, ouvrage qui renferme sur le peuple juif des considérations d’un intérêt majeur et que nous recommandons à nos lecteurs comme une des productions les plus originales et les plus remarquables de l’époque. 77 HISTOIRE DU MAGNÉTISME, que nos sorciers du moyen âge, si impitoyablement condamnés au feu par les ordonnances de nos rois Mais en quoi consistaient, en définitive, les maléfices des sorciers? Gardez-vous bien de vous en rapporter sur ce point aux actes d’accusations dirigées contre ces malheureux, non plus même qu’aux aveux que leur arrachait la torture. 11 n’est pas de fable absurde, pas de monstruosités , que , dans ces temps d’ignorance, n’aient inventées la calomnie, la sottise ou la cupidité. Qu’on en juge par le fait suivant, auquel l’auteur qui le raconte a joint ses réflexions En cette année i/j5g, dit Monstrelet, en la ville d’Arras, au pays d’Artois, advint un terrible cas et pytoyable, que l’on nommoit Vaudoisie, ne sai pourquoi mais l’on disoit que c’étoient aucunes gens, hommes et femmes, qui de nuit, se transportoient, par vertu du diable, des places où ils étoient, et soudainement se trouvoient en aucuns lieux arrière de gens, ès bois ou ès déserts, là où ils se trouvoient entre grand nombre d’hommes et de femmes, et trouvoient illec un diable en forme d’homme, duquel ils ne vesitent jamais le visage ; et ce diable leur lisoit ou disoit ses commandements et ordonnances, et comment et par quelle manière ils le dévoient avrer et servir, puis fai— soit par chacun d’eux baiser son derrière, et puis il bailloit à chacun un peu d’argent, et finalement leur administroit vins et viandes, en grande largesse, dont ils se repaissoient; et puis, tout à coup chacun prenoit ' Celles, entre autres, de Charles VIII en 1490 et de Charles IX en i 56 o.— Ce ne fut qu’en 1672 que Louis XIV défendit à tous les tribunaux d’admettre les simples accusations de snrcelhrit, 78 DEUXIÈME LEÇON. sa chacune, et en ce point s’estaindoit la lumière, et connaissoient l’un l’autre charnellement, et ce fait, soudainement se retrouvoit chacun en sa place dont ils étoient partis premièrement. Pour cette folie furent prins et emprisonnés plusieurs notables gens de la dite ville d’Arras, et autres moindres gens, femmes folieuses et autres, et furent tellement gehinés et si terriblement tormentés que les uns confessèrent le cas leur être tout ainsi advenu, comme dit est; et outre plus confessèrent avoir veu et cogneu en leur assemblée plusieurs gens notables, prélats, seigneurs et autres gouverneurs de bailliages et villes voire tels, selon commune renommée, que les examinateurs et les juges leur nommoient etmettoient en bouche si que par force de peines et torments ils les accusoient et disoient que voirement ils les y a voient veus; et les accusés, ainsi nommés, étoient tantôt après prins et emprisonnés et mis à torture, et tant et si longuement et par tant de fois que confesser le leur convenoit; et furent ceux-ci qui étoient de moindres gens, exécutés et brûlés inhumainement. Aucuns autres plus riches et plus puissants se rachetèrent par force d’argent, pour éviter les peines et les hontes qu’on leur faisoit. Plusieurs gens de bien cogneurentassez que cette manière d’accusation fut une chose controuvée par aucunes mauvaises personnes, pour grèver et destruire, ou deshonorer, ou par ardeur de convoitise, aucunes notables personnes, que ceux bayaient de vieille haine, 79 HISTOIRE BU MAGNÉTISME, et que malicieusement ils feirent prendre ineschantes gens tous premièrement, auxquels ils faisoient par forces de peines et de torments, nommer aucuns notables gens tels que l’on leur mettoil à la bouche, lesquels ainsi accusés étaient prins et tormentés, comme dit est *. » Ainsi, les tribunaux français du xv* siècle en usaient avec les sorciers comme les inquisiteurs d’Espagne à l’égard des hérétiques ils inventaient le délit pour avoir à dépouiller le coupable. Cependant, à côté de ces machinations diaboliques, qui suffisent pour caractériser l’époque où elles étaient possibles, l’histoire de la sorcellerie nous présente quelques épisodes qui, pour être plus incroyables encore, n’ont pourtant pas été inventés à plaisir; mais la science a depuis longtemps déchiffré cette autre énigme. Les sorciers avaient comme leurs maîtres , les magiciens, leurs sociétés secrètes, dont l’institution portait l’empreinte évidente des traditions druidiques. Il serait d’ailleurs hors de propos de rechercher si ces sociétés se formèrent dans le principe , comme je le suppose, des débris du culte gaulois, et si le sabbat était véritablement l’image défigurée des danses et des festins nocturnes que jadis célébraient les druides en l’honneur de Nera. Mais ce qu’il m’importe de vous faire savoir, c’est qu’à chaque assemblée nouvelle, de nombreux et ardents néophytes subissaient • Chroniques, 3* vol., p. 8L édition de Paris, 1072, in-fol. 80 DEUXIÈME LEÇON, l’initiation dans une ceremonie bizarre, dont il vous sera facile d’apprécier les conséquences. Après les avoir mis tout nus, en présence du bouc et du chat noir, on les frottait de la tête aux pieds avec le suc d’une plante à laquelle on attribuait plusieurs vertus magiques, et qui avait réellement celle de plonger les patients dans un sommeil profond et agité, dont ils ne se rappelaient, au réveil, que les rêves effrayants. En effet, la plante dont il s’agit n’était autre, suivant Gassendi, que le datura-stramonium, narcotieo-âcre dont on a depuis constaté l’excessive énergie. Telle était la véritable cause des visions extravagantes que les stupides initiés eux-mêmes transmettaient à leurs amis comme autant de réalités, et dont la légende perpétuait le souvenir. — Ainsi, vous lé voyez, en vous rapportant les faits et gestes des sorciers, je fais largement la part des circonstances controuvées et des circonstances imaginaires. Mais si, dans tous les temps, il y eut des fous et des esprits faibles pour les imiter, faudrait-il en conclure qu’il n’y eut jamais de sorciers? Au moins est-il, à l’appui de l’existence de ces derniers, certains faits qu’on ne peut récuser sans s’élever contre l’assentiment unanime des historiens qui les racontent. Si d’ailleurs l’expérience vient à vous démontrer un jour que, par le seul moyen d’une volonté forte et soutenue, il est possible d’agir physiquement en bien ou en mal sur les individus, comme de modifier relativement l’aspect et les propriétés des êtres inanimés, l’analogie vous forcera bien de voir autre chose que des visionnaires ou des monstres dans les juges qui condamnèrent le HISTOIRE DÜ MAGNÉTISME. 81 duc de Glocester Pierre de Latilly, Raoul de Presles 2 , Guichard 3 , Enguerrand de Marigny 4 , Côme de Rug- gieri 5 , la maréchale d’Ancre, etc., etc. On se souviendra avec étonnement, dit Voltaire dans son Essai sur le siècle de Louis XIV, jusqu’à la dernière postérité, que la maréchale d’Ancre fut brûlée en place de Grève comme sorcière , et que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée, lui demanda de quel sortilège elle s’était servie pour gouverner l’esprit de Marie de Médicis; que la maréchale lui répondit Je me suis servie du pouvoir qu'ont les âmes fortes sur les esprits faibles, et qu’enfin celte réponse ne servit qu’à précipiter l’arrêt de sa mort. » C’est qu’apparemment les juges de la maréchale avaient deviné le magnétisme, oublié ou méconnu au temps où écrivait Voltaire. * Accusé par lord Hastiugs de lui avoir desséché le bras par sortilège. 2 Pierre de Latilly et Raoul de Presle furent emprisonnés tous les deux sous la double prévention d’avoir fait mourir Philippe le Bel et Philippe le Hardi. 5 Accusé d’avoir abrégé par sorcellerie les jours de la reine femme de Philippe le Bel . 4 Enguerrand de Marigny, surintendant des finances de Louis le Ilutin. Il avait, dit son historien , piqué le monarque, messire Charles et autres barons, de manière que, si on n’y apportait remède, ils ne feraient chaque jour que amenuiser, sécher, déchirer, et, en brief, mourroienl de maleworl. 5 Accusé de s’être servi de magie pour faire périr Charles IX. 6 TROISIÈME LEÇON. O SlITtE DE L’HISTOIRE MJ MAGNÉTISME. — OPINIONS DES ANCIENS SUR LE FLIJIOE. — PREMIÈRES THÉORIES MAGNÉTIQUES. — RENAISSANCE DE CES THÉORIES AU XV e SIÈCLE. Messieurs, S’il est vrai qu’en commençant mon cours, j’aie eonçtl la pensée hardie d’autres diront téméraire d’ériger le magnétisme en système, je dois m’attacher par-dessus tout à fixer votre attention sur l’enchaînement de mes idées, de manière à ce que vous ne perdiez jamais de vue ni notre point de départ, ni le Lut vers lequel nous marchons. Je vais, en conséquence, vous rappeler sommairement les considérations que je vous ai soumises dans mes deux leçons précédentes. Dans la première, je vous ai présenté comme éléments primordiaux du magnétisme les deux facultés qui, dans tous les êtres, paraissent constituer la vie, la faculté de sentir et la faculté d’agir. Je les ai prises toutes deux à leur point initial, dans leur germe, pour ainsi dire, et je vous ai fait voir comment, par une suite de transformations insensibles, elles finissent par devenir en se perfectionnant la sensibilité et la volonté humaines. Je vous ai dit également comment, THÉORIES ANCIENNES DÜ MAGNÉTISME. 83 entre cos deux facultés, l'ampliation de la vie développe progressivement, d’êtres en êtres, ou d’espèces en espèces, un foyer central, qui paraît manquer dans les minéraux, et dont l’importance dans les animaux semble se proportionner à la prépondérance physique et exclusive des centres nerveux. Peut-être eussé-je dû ajouter que ce foyer central de l’existence rompt en quelque sorte dans les êtres supérieurs l’harmonie primitive des deux facultés qui nous occupent, et dont chacune dans l’atome pourrait être considérée comme la conséquence immédiate de l’autre. Tel est donc le point dont nous sommes partis la double manifestation de la vie, considérée dans l’atonie, à son état rudimentaire, a été pour nous l’unité génésique d’un système régulier dont je vous ai marqué déjà les principaux développements, en vous signalant les divers degrés auxquels peuvent atteindre chez l’homme la faculté de sentir et la faculté de vouloir. Enfermées toutes deux dans le cercle étroit de l’organisation individuelle, la volonté et la sensibilité n’ont eu presque jusqu’à présent pour le sensualisme grossier de nos écoles d’autre champ d’action que le corps vivant que fait mouvoir la première, et dont la seconde perçoit les actes. Mais, indépendamment des cas anormaux où l’une et l’autre acquièrent à défaut d’extension visible une perfection incontestable, nous avons établi, d’une part, sur des notions physiques généralement adoptées, d’autre part, sur des documents historiques non moins inattaquables, que les deux facultés dont il s’agit sont au moins, dans certains cas, susceptibles d’entretenir entre les êtres des relations lointaines, tout 84 TROISIÈME LEÇON. aussi positives que les relations plus évidentes qui proviennent des sens. Ainsi, après avoir appelé votre attention sur l’analogie frappante qui existe entre les phénomènes de gravitation et les actes magnétiques proprement dits, j’ai emprunté à des faits connus, quoique jusqu’à présent mal interprétés , les preuves de l’action qu’un homme peut exercer sur d’autres hommes sans l’intervention visible d’aucun de ses organes. Ces faits ont été par moi divisés en trois ordres. J’ai fait consister ceux du premier ordre dans ces sortes d’entraînements purement moraux, mais irrésistibles, que certains esprits effervescents ont souvent provoqués en dépit de la raison, de l’intérêt individuel comme de l’intérêt public. Ceux du second ordre , ou faits mixtes, sont, vous ai-je dit, caractérisés par les symptômes physiques qui accompagnent l’effet moral, produit seul dans les précédents. Enfin, dans ceux du troisième ordre, faits si rares qu’entre les mains des anciens prêtres, des magiciens et des thaumaturges ils ont passé pour des miracles, je vous ai fait voir l’annihilation absolue de volontés humaines, si complètement absorbées par d’autres volontés plus puissantes que, par suite de la plus étrange association , la pensée d’un individu semble devenir le centre volitif d’un autre individu. Tous ces faits, au moins ceux des deux derniers ordres, ont été maintes fois soumis on n’en saurait douter à l’analyse scientifique et au contrôle de la raison. Mais, ainsi que je vous l’ai fait observer, les inductions systématiques qu’ils ont dû fournir aux savants des différentes époques 11e nous sont point par- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 85 venues. Elles se sont perdues avec tant d’autres vérités qui n’ont déchiré le voile épais des hiéroglyphes égyptiens que pour se dérober derechef aux yeux profanes sous les formules indéchiffrables que le moyen âge nous a laissées. Cependant la découverte des effets à distance de la volonté, est loin d’être nouvelle, et les traces de cette croyance se produisent à chaque instant dans la plupart des écrits mystiques antérieurs au xvi e siècle. 11 est vrai qu’elle s’y trouve mêlée aux conjectures les plus absurdes, les plus extravagantes, mais qui, pour cela même, n’en prouvent que mieux que le fait dont elles sont des interprétations vicieuses avait été constaté. L’intervention du diable, par exemple , est une théorie tout comme une autre, mais une théorie qui implique évidemment un ordre de choses que le concours d’une puissance surnaturelle est seul capable de produire. Aussi ne serais-je pas trop éloigné de voir dans l’idée du diable que tous les peuples paraissent avoir conçue le reflet de certaines anomalies qui de tout temps durent se montrer, soit dans l’ordre physique, soit dans l’ordre physiologique. Remarquez, d’ailleurs, que ces anomalies, que ces prétendus événements contre nature ne nous semblent tels qu’autant que nous en ignorons la cause; d’où il suit qu’ils se multiplient toujours en raison directe de l’ignorance des peuples. Voilà justement pourquoi, au moyen âge, le diable se trouve partout, dans le dogme, dans les sciences, et surtout dans la magie. Mais, indépendamment de ce que nous penserions avec le P. Malebranche' faire trop d’honneur au diable * Malebranche, Rech. de la Vérité, liv. m, ch. 8. 86 TROISIÈME LEÇON. en attribuant à sa puissance toutes les histoires qu’on en raconte, nous tenons, en général, pour essentiellement défectueux tout système scientifique dont il est le principe. Nous laisserons donc aux thaumaturges du xv e siècle le soin d’utiliser dans leur doctrine ce principe inconnu, et nous ne demanderons pas plus à l’enfer qu’au paradis les raisons des phénomènes dont nos sens nous rendront témoins. Sentir et vouloir, tels sont les axiomes du magnétisme, et, si l’on y regarde de près, les axiomes de la physiologie tout entière. Mais, après avoir établi ces deux pivots de rotation, il s’agit à présent d’en chercher l’engrenage en d’autres termes, comment, par quel mécanisme, par quel agent intermédiaire la volonté opère-t-elle sur la sensibilité? C’est là le secret du magnétisme, l'énigme qu’on s’est posée bien des siècles avant moi, et qui, entre les griffes du sphinx, eût coûté la vie à plus d’un OEdipc. Enfin je vous ai fait entrevoir le système, je vais actuellement vous initier à ce que nous nommons la théorie. Si l’idée d’une âme immatérielle n’était la seule issue qui soit ouverte à l’espérance des hommes, si à cette idée ne se rattachait l’attente des biens destinés à nous consoler dans une autre vie de tous nos maux d’ici-bas, il est probable que jamais mortel n’eût conçu cette idée. Daignez en effet y réfléchir un esprit ! quelque chose qu’on ne peut voir, qu’on ne peut entendre, qu’on ne peut sentir! quelque chose qui est et qui n’est pas, qui a sa place dans votre cerveau, et qui ne serait rien dans l’espace! Convenez que tout cela est si profondément incompréhensible qu’il faut 87 THÉORIES ANCIENNES ÇU MAGNÉTISME. avoir bien besoin d’y croire pour ne pas s’en moquer. Cependant, loin de nous en moquer, nous y croyons tous avec ferveur, et rien , en définitive, n’est plus logique que cette croyance; car, si l’âme immatérielle n’est pas compréhensible, Dieu ne l’est pas davantage, et nous tenons pour incontestable la réalité de Dieu. Aussi, soit orgueil, soit égoïsme, soit piété instinctive, il n’est presque plus personne aujourd’hui qui rejette explicitement l’existence de l’âme humaine. Mais, en même temps il n’est personne qui ne convienne volontiers qu’elle soit d’une conception difficile, si difficile qu’il est à peu près impraticable d’en faire aux sciences, c’est-à-dire aux choses raisonnées, la moindre application, à moins de la considérer sans cesse comme un point mathématique. Si les psychologistes , personnifiant l’homme moral dans l’âme qui le fait agir et penser, attribuent à celle-là toutes sortes de facultés, d’autre part, ils nous accordent que ces facultés ne se manifestent qu’au prix d’un appareil organique, autrement dit, par l’intervention d’une substance matérielle. Ainsi, dans l’ordre naturel, les organes sont regardés par eux comme indispensables à toutes les perceptions et à toutes les volitions de l’âme. Le magnétisme, au premier abord, semble renverser ce principe, puisque les organes paraissent n’entrer pour pieu diju 1 certains effets de la volonté. Mai§ quoi ! faudra-t-il donc admettre qu’en pareil cas l’âme dont émane cette volonté se déplace, abandonne la glande pinéale ou la moelle allongée dont les philosophes ont fait sa demeure, pour aller elle-même accomplir ce qu’elle veuf? Cela peut être, après tout, parce qu’une fois 88 TROISIÈME qu’on a mis le pied sue le domaine de l'inconnu, toute supposition devient raisonnable ; mais on se demande néanmoins s’il n’y aurait point à faire à cet égard quelque hypothèse plus satisfaisante, et surtout plus accessible à notre infime raison? Si, par exemple, entre l’âme impressionnante et l’âme impressionnée, il n’y aurait pas possibilité d’admettre quelque moyen d’action, quelque chaîne physique, quoique invisible, enfin quelque substance subtile, intermédiaire, pour ainsi dire, à la matière et à l’esprit. Or, 1 & fluide admis par les magnétiseurs est cet être conjectural, dont nous essaierons néanmoins plus tard de vous prouver l’existence, et auquel vous accorderez peut-être avec moi par la suite une importance infinie dans la production de tous nos actes vitaux. Toutefois, je comprends sans peine que ce fluide magnétique , qui échappe en même temps à la vue et au toucher, passe encore pour une chimère dans l’esprit de beaucoup de gens. Quant à moi, sans vous le présenter comme une vérité mathématique, je vous déclare que j’y crois, mais comme les physiciens croient à l’électricité. C’est-à-dire que notre fluide n’est peut- être, ainsi que celle-là, qu’une fiction ingénieuse, un moyen de s’entendre, un agent de convention que nous sommes prêts à vous sacrifier, si vous avez mieux à nous offrir. N’allez pas d’ailleurs vous imaginer, à l’exemple de beaucoup de gens du monde et de quelques magnétiseurs, que Mesmer l’ait inventé. Trois mille ans avant lui, cette chose était admise sous un autre nom, et cent ans avant que Mesmer fût connu, un grand médecin, un grand penseur, un grand 89 THÉ0K1ES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, philosophe, notre maître à tous, Van Helmont, enfin . dont je vous ferai connaître tout à l’heure les principales idées, avait tiré de cette hypothèse les plus admirables inductions. Mais, avant de vous exposer la théorie de Yan Helmont, je dois vous rapporter Jes opinions de quelques philosophes qui l’avaient précédé dans une carrière où ses successeurs n’ont pas même eu l’intelligence de le suivre. Sanchoniathon, le plus ancien des historiens connus, attribuait la conservation de l’univers à un esprit subtil qui, répandu dans l’air, animerait les hommes, et serait la cause des sympathies et des antipathies '. Il est probable que Sanchoniathon n’était point l’auteur de cette théorie à laquelle j’ai donné moi-même avant de la connaître un large développement. Est-ce donc le hasard ou la force de la vérité qui, à plusieurs milliers d’années d’intervalle, conduit ainsi les hommes à professer les mêmes idées? L'immortel fondateur de l’école italique, Pythagorc répandit en Grèce la doctrine d’un fluide qu’il nommait la force productrice de l'univers a . Empédode admettait également pour principe général , un esprit qui mettait tout en mouvement, et il croyait que les parties matérielles des corps avaient entre elles amour et haine 3 . Cet amour et cette haine dont parle Empédode sont évidemment Xattraction et la répulsion atomiques 1 Eusèbe, Préparation et Démonstration évangéliques, i vol. iu-fol. Paris, 1628. 2 Times, de Loc., t. III. s Oiugène , cap. 3, et Fréret, Mémoires de l’Acad. des Inscrip., 90 TROISIÈME LEÇON- de nos physiciens modernes, double faculté qu’ils attribuent aussi à un fluide. Zenon, le célèbre panthéiste de l’antiquité, faisait du Dieu qu’il enseignait un air ardent, une espèce de feq universellement répandu, qui animait chaque chose, et qui, par sa providence, dirigeait tous les êtres selon les lois immuables de l’ordre ou de la raison. Enfin les stoïciens qui succédèrent à Zénon, reproduisirent sous toutes les formes la grande pensée de leur maître. Ainsi que lui, ils admettaient l’existence d’un fluide infiniment délié, et qui seul, suivant eux, vivifiait toute la nature. Dans leur système, nos âmes et celles des bêtes étaient des particules séparées du grand tout, et qui, à la mort de l’individu, devaient retourner à leur source commune. Pour faire entendre leur idée, ils comparaient les animaux à des bouteilles remplies d’eau qui flotteraient dans la mer, et dont le contenu, si on les brisait, se réunirait à l’Océan. C’est ce qui arrive aux âmes, disaient- ils, quand la mort brise, pour ainsi dire, les organes où elles sont renfermées, et les réunit à la grande âme du monde. Fénelon, dans son Télémaque, a rendu avec autant d’élégance que de précision cette pensée des stoïciens l’âme universelle, dit-il, est un vaste océan de lumière; nos âmes sont autant de petits ruisseaux qui y prennent leur source et retournent s’y perdre. » Ainsi, l'idée d’un fluide universel, que Mesmer, au xvm e siècle, promulgua comme une nouveauté, est aussi vieille que le monde. Jusqu’ici, néanmoins, je ne vous ai rapporté que de pures abstractions philosophiques dont peut-être vous ne saisissez pas les rapports avec le magnétisme moderne. C’est que, en effet, vous ne 91 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, supposiez pus et vous aviez raison qu’il y eût de la philosophie dans les passes des magnétiseurs, dont la plupart, je vous l’accorde, moins érudits que charitables, oublient volontiers, dans leur dévouement, de se demander la cause du bien qu’ils font. Mais il n’en était point ainsi lors des premières applications qu’on fit des doctrines stoïciennes à l’art de guérir- Asclépiade, par exemple, qui n’était pas moins philosophe que médecin, agissait bien certainement avec connaissance de cause lorsque, rejetant la doctrine d’Ilippocrate, il ordonnait seulement à ses malades l’exercice et les frictions Plotin, au 111 e siècle, étonnait ses contemporains par une bizarrerie du même genre. Il guérissait, sans employer de remèdes, les malades qu’il traitait; et tandis que ses confrères attribuaient ses cures à un démon familier, lui leur disait sou secret au iv e livre de ses Ennèades ce secret consistait dans l’application qu’il faisait à la médecine d’un système de sympathie et d’antipathie, naissant, suivant lui, d’une force unique qu’il nominaityb/re magique de la nature 2 . 1 Pune, lib. xvi, cap. 3. * Plotin, né l’an ao5 de Jésus-Christ, à Lycopolis, dans la haute Egypte, appartenait à la secte des néoplatoniciens. Il s’attacha à l’àge de vingt-huit ans au philosophe Ammonius Saccas, dont il suivit les leçons pendant onze ans, accompagna, en 244, l’empereur Gordien dans une expédition contre les Perses, pour puiser à sa source la philosophie des Orientaux, vint, après Pavé- nement de Philippe, se fixer à Rome, vers l’àge de quarante ans, y ouvrit une école de philosophie où afflua bientôt un immense concours, et obtint la vénération universelle aussi bien par ses vertus que par sa science. Plotin se retira, dans sa vieillesse, en Campanie, et y mourut vers 270. 11 avait, dit-on , obtenu de l'empereur Gallien la permission de bâtir dans la Campanie une ville où il devait réaliser la république idéale de Platon ; mais 92 TROISIÈME Je ne sais si les rois de France Philippe 1 er et Charles Y, qui, à l'exemple de Pyrrhus et de Vespasien , guérissaient les malades par l’attouchement jetaient initiés à la doctrine et au secret médical de Plotin; mais, depuis ce philosophe, jusqu’aux médecins thaumaturges du xv e siècle, la théorie des fluides cessa d’être professée, et fut remplacée, comme je vous l’ai dit, par la théorie des mauvais auges. Pomponace et Paracelse, premiers restaurateurs ou divulgateurs de l’art magique, firent tous deux leur entrée dans le monde cent ans avant l’époque où Spinosa devait réhabiliter en philosophie la doctrine des stoïciens. Puis vinrent Robert Boyle, Sebastien Wirdig, Maxwel et enfin Van Helmont. Pierre Pomponace ou Pomponazzi, né à Mantoue en 1462, écrivit un traité ex professo sur la puissance occulte des enchantements ’. Malgré les hypothèses hasardées et les croyances mystiques que renferme cet ouvrage, le démon des enchanteurs 11’v est pas moins détrôné par cette assertion remarquable Certains hommes ont une vertu inhérente de guérir, et peuvent ses ennemis firent échouer ce projet. — Le but de la philosophie, selon Plotin, est l’union immédiate de l’âme humaine avec l’être divin, ce qu’il appelle l’ unification ou la simplification henosis, haplosis on y arrive par la contemplation et par l'extase. Plolin prétendait avoir plusieurs fois lui-même joui de la vue de Dieu. — Il laissa sur sa doctrine cinquante-quatre traités que son principal disciple Porphyre se chargea de reviser et de publier sous le titre d 'Ennéades c’est-à-dire Neuvaines. — Cette co’- lection, dont il existe une traduction latine Oxford, v855, 5 vol. in- 4 0 , mérite d’être consultée. Je la tiens pour un monument dans l’histoire du magnétisme. * Etienne du Conti , Histoire de France. t De incantalionum potestale. 93 THÉORIES ANCIENNES Dü MAGNÉTISME, opérer des cures par attouchement sans magie. » Remarquez d’ailleurs que cette magnifique observation ne paraît nullement suggérée à Pomponace par l’étude de l’antiquité. Mais comment se fit-il qu’une semblable découverte, qu’une vérité de fait qui renfermait en elle, sinon tout le magnétisme, du moins tout l’art pratique du magnétisme médical, ne soit pas devenue plus féconde entre les mains de son auteur ? Paracelse 1 fit dans le monde beaucoup plus de bruit que Pomponace; il fut l’idole de ses apologistes, il fut pour ses détracteurs un effronté charlatan. Croirons- nous ses apologistes ou bien ses détracteurs? en vérité, je n’ose vous le dire, car il y a dans la vie de cet homme presque autant d’obscurité que dans ses écrits. Paracelse, après avoir voyagé dans toute l’Europe, après s’être fait par de belles cures la plus brillante réputation, se fixa en iÔ 2 y à Bâle, où il fut nommé professeur de médecine. 11 prétendait faire une révolution dans les sciences médicales, et détruire l’autorité d’Hippocrate, de Galien, d’Avicenne; mais bientôt il laissa apercevoir le vide profond de ses déclamations, et perdit à la fois ses malades et son auditoire. Ce fut alors que, reprenant son ancien métier de médecin ambulant, il promena sa science de ville en ville jusqu’à Salzbourg, où il mourut à l’hôpital de Saint- Etienne a . » Ce récit est-il exempt de toute partialité? Le médecin dont toute l’Europe avait admiré les ' Paracelse Bombast de Hohenheim, dit, né en 1 49^, à Einsiedeln canton de Scliweitz, et mort en i54i. — Ses œuvres complètes forment 3 vol. in-fol. Genève, i658. ’ Bouillet, Diction, univers, d’histoire et de géographie- Paris, i843, in-8, 94 TROISIÈME tEtiONi succès, le novateur infatigable à qui la thérapeutique doit Xopium et le mercure, n’était-il réellement , comme nous l’insinue son biographe, qu’un déelama- teur vain et prolixe? Peut-être faudrait-il appliquer à Paracelse le mot de Napoléon sur Robespierre Son procès a été jugé, mais il n’a point été plaidé. Combien de fois, en effet, ne prit-on pas pour le vide de l’esprit la profondeur du génie ! et qui peut dire si Paracelse ne fut pas honni de son siècle pour l’avoir devancé. Nous savons, dieu merci, par expérience, à quel l'idi- cule expose la prétention de faire croire à des faits dont l’inconstance ne permet pas toujours la vérification. Que dis-je! ne suffît-il pas qu’un fait soit nouveau, ou nouvellement signalé, pour paraître paradoxal ? Quelles contradictions n’eut pas à vaincre, avant de prévaloir, la belle école psychologique d'Edimbourg ! et Gall % le plus grand observateur des temps modernes , ne passe-t-il pas encore aux yeux de la moitié de nos contemporains pour un sophiste et un rêveur? Quant à moi, je vous le répète, je n’ose me prononcer sur le compte de Paracelse; mais je ne serais pas éloigné de croire que cet homme singulier eût joué précisément au x\u e siècle le rôle hasardeux que reprit Mesmer à la fin du xvm e . Indépendamment des controverses qu’ont soulevées leurs doctrines, ces deux personnages ont entre eux plus d’un point de ressemblance. Tous deux, fauteurs enthousiastes et opiniâtres d’innovations qu’on traita d’extravagances, ils excitèrent tour à tour l’un et l’autre la haine et l’envie, le • Voyez son ouvrage Sur les fonctions du cerveau et sur celles de chacune de ses parties. Paris, i8a5, 6 vol. in-8. 95 THÉORIES ANCIENNES Dü MAGNÉTISME. mépris et l’admiration. Tous deux, enfin, préconisèrent une panacée universelle; rêve sublime, lorsqu’il émane d’une conception gigantesque dont la trame échappe au vulgaire; rêve absurde, qui lie mérite Palteution de personne lorsqu’il n’est que le caprice d’une imagination bizarre. Dans laquelle de ces deux catégories rangerons-nous la panacée de Paracelse ? dans la première, messieurs, car l 'onguent des armes f , n’en doutez pas, était moins une drogue qu’un système. Il lut le drapeau de ralliement de cette fameuse doctrine des sympathies qui occupa pendant plus d’un siècle tous les savants de l’Europe, et qui a sa place dans les annales de l’entendement humain. Cette doctrine reposait essentiellement sur l’existence d’un fluide, universellement répandu, entretenant dans chaque corps de la nature une harmonie perpétuelle et une telle solidarité entre leurs que la séparation même des parties n’en détruisait pas les rapports. De là à l’idée de traitements par des actions à distance, le passage était facile aussi vit-on de toutes parts préconiser la vertu dés traitements par sympathie. Il suffisait d’avoir l’épée ensanglantée qui avait produit une plaie, ou un linge teint du sang du blessé pour guérir ce dernier à distance eu appliquant seulement au linge ou à l’épée le spécifique propre à agir par l’intermédiaire du fluide. Le spécifique, comme vous le pensez bien, était l 'onguent des armes. Quel 1 L'onguent des armes était un composé d’usnée ou mousse du crâne humain et de divers corps gras. On s’en servait pour frotter le sabre ou l’épée qui avait fait une blessure. Cette méthode était désignée par le nom de cure magnétique des blessures. 96 TROISIÈME LEÇON, malheur que Paracelse ait souillé sa gloire de cette imposture ou de cette ineptie! A cela près de ce grossier mensonge, jamais fiction plus ingénieuse ne réunit la métaphysique et la médecine, ces deux sciences si malheureusement irréconciliables depuis la scission que le matérialisme a opérée entre elles. N’allez pas croire cependant que je me fasse aveuglément le champion de la doctrine des sympathies. Je sens tout aussi bien que nos modernes esprits forts ce qu’il y avait d’insoutenable et d’absurde dans la thérapeutique de Paracelse; mais puissent-ils comprendre à leur tour aussi bien que je le comprends moi-même ce qu’il y avait de rationnel et d’élevé dans sa théorie à cela près, je le répète, de la spécificité imaginaire du trop fameux onguent des armes, cette théorie n’était que la conséquence extrême d’un principe dont rien, en définitive, ne prouvait la fausseté. Ce fut d’ailleurs sur la même donnée métaphysique que reposa l’invention de certaines pratiques, depuis longtemps abandonnées, et dont l’objet commun était de communiquer à distance. Le sel de sang, la lampe de vie et Xalphabet sympathique ne sont-ils que de poétiques souvenirs? J’ai la faiblesse de l’avouer, je voudrais que l’expérimentation ne dédaignât pas de s’enquérir s’il n’y aurait pas parmi ces rêveries quelques réalités. Le sel de sang était une composition dans laquelle entrait du sang de la personne éloignée dont on voulait avoir des nouvelles. Cette composition , qui restait rouge et vermeille tant que la personne se portait bien , se ternissait dans le cas de maladie ou de mort. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 97 La lampe de vie, qui brûlait d’un feu clair tant que la personne qui en avait fourni la substance se portait bien, pâlissait à ses souffrances et s’éteignait à sa mort. L alphabet sympathique supposait une réciprocité d’affection et de dévouement si rares au temps où nous vivons, que cette seule circonstance suffirait pour expliquer la désuétude dans laquelle est tombée la pratique dont il s’agit. Deux amis qui voulaient s’entendre à toutes lès distances imaginables échangeaient stoïquement quelques parties de leur chair. Sur chacun de ces deux lambeaux de forme égale qui se remplaçaient mutuellement sur le bras droit des deux amis, où certaines lois très-positives de la vie organique ne tardaient pas à les faire adhérer, on traçait en rond les lettres de l’alphabet. Lorsqu’une des deux personnes touchait avec un stylet ces caractères magiques, l’autre en était instruite par une piqûre aux endroits où se trouvaient les lettres désignées. Un fait très-extraordinaire confirma, ditThouret*, la doctrine des sympathies. Un habitant de Bruxelles s’étant fait faire un nez artificiel par la méthode de Ta- liacot 1 2 , il s’en était retourné ainsi réparé dans ses traits au lieu de son séjour ordinaire, où il continua de vivre assez bien portant, l’opération ayant réussi. 1 Tiiouret, et Doutes sur le Magnétisme animal. Paris, 1784, in-12. 2 Taiiacot, célèbre chirurgien, professeur de médecine à l’Université de Bologne, naquit en i 546 , et mourut en 1600. U écrivit sur les procédés qu’il mettait en usage. Quand il mourut, les magistrats de Bologne lui élevèrent une statue; et pour faire connaître à la postérité le genre d’opération par lequel il s’était illustré, on lui mit un nez dans la main. 7 98 TROISIÈME LEÇON. Mais tout à coup, dit-on, la partie factice qu’il s’était procurée devint froide, pâle, livide, se pourrit et tomba. On ne savait à quelle cause attribuer ce changement imprévu dont on ne voyait aucune raison plausible; mais on apprit bientôt que le jour même de la chute du nez factice à Bruxelles, un crocheteur de Bologne qui, pour de l’argent, avait fourni une portion de peau prise à son bras, était mort dans cette ville où avait été pratiquée l’opération. Peu de temps après, plusieurs faits du même genre furent recueillis et publiés, et l’on devine aisément l’interprétation qu’en donnèrent les successeurs de Paracelse '. Wirdig publia à Hambourg, en 167 3 , sa Nova Me- dicina Spirituum, livre singulier qui répandit en Allemagne les principales idées du médecin d’Einsiedeln. Toute la nature est magnétique, dit cet auteur ; le magnétisme est la base du monde, toutes les vicis- situdes des choses d’ici-bas arrivent par son fait ; 4 Ces faits eurent un tel retentissement qu’ils suggérèrent à Voltaire la plaisanterie suivante Ainsi Taliacotius, Grand Esculape d’Étrurie, Répara tous les nez perdus Par une admirable industrie. Il vous prenait adroitement Un morceau du cul d’un pauvre homme, L’appliquait au nez proprement ; Enfin, il arrivait qu’en somme, Tout juste à la mort du préteur, Tombait le nez de l’emprunteur ; Et souvent, dans la même bière , Par justice et par bon accord, On remettait, au gré du mort, Le nez auprès de son derrière. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 99 c’est le magnétisme qui conserve la vie, comme il dé- termine la fin de toutes choses. » Guillaume Maxwell, médecin du roi d’Angleterre, reprit en sous-œuvre les principes établis par Paracelse et Wirdig, et leur donna de longs développements dans sa Médecine magnétique Son système est une sorte de panthéisme bâtard,qui, tout en admettant une âme universelle et l’expansion des volontés individuelles, donne à celles-ci pour intermédiaire un ridicule mélange de sang et d’humeurs excrémentitielles L’âme, dit-il, n’est pas seulement au dedans, mais elle est même au dehors de son propre corps; elle n’est point circonscrite dans l’enceinte d’un corps organisé. L’âme opère hors de ce qu’on appelle communément son propre corps. 11 émane de tout corps des rayons corporels, qui sont autant de véhicules par lesquels l’âme transmet son action, en leur communiquant son énergie et sa puissance pour agir ; et ces rayons non-seulement sont corporels, mais ils sont même composés de diverses matières, etc. » Un peu plus loin, Maxwell fait à la thérapeutique l’application de ces idées On doit se proposer, dit-il, dans tous les maux, de fortifier, multiplier et régénérer l’esprit vital; c’est ainsi qu’on parviendra facilement à guérir toutes les maladies. » Enfin, Maxwell résume toute sa philosophie médicale dans la proposition suivante, qui, dans la suite, devint l’axiome de la doctrine mesmérienne Qu’il puisse y avoir un remède universel, c’est ce dont on ne peut douter, car, en se fortifiant, l’esprit ' De re Magnetica, lib. ni, 1679. 100 TROISIÈME LEÇON, vital particulier devient capable de guérir toutes sortes de maladies. Il n’y en a aucune en effet que cet esprit n’ait quelquefois dissipée sans le secours des médecins. La médecine universelle n’est rien autre chose que l’esprit vital augmenté, multiplié dans une proportion convenable.» Los principes de Maxwell eurent en Angleterre de nombreux partisans sous le règne de Charles II. Robert Boyle', le fondateur de la Société royale de Londres, leur donna de la consistance en les appuyant de son immense autorité. Boyle, dit un de ses biographes, s’éleva constamment contre la doctrine d’Aristote, encore enseignée de son temps dans les écoles, et, convaincu comme Bacon de l’indispensable nécessité des faits pour s’élever à la découverte de la vérité, il ne voulut pas même connaître les ouvrages de Descartes, qui faisaient alors beaucoup de bruit, dans la crainte d’y puiser plus d’imagination que d’observation, et des hypothèses séduisantes plutôt que des faits. » Ce Robert Boyle ri’était donc ni un rêveur, ni un visionnaire; mais un esprit positif, grand mathématicien et surtout grand observateur, dont les assertions, même les plus étranges, étaient dignes d’attention. Aussi les savants de son temps daignèrent-ils lire son traité De mira corporum sublilitate, dans lequel il admettait i° un fluide universel; a 0 une réciprocité d’action à distance entre les corps organisés. Mais cet ouvrage ne fut pas mieux compris 1 Robert Boyle, de la famille des comtes de Cork et d’Orrery, né à Lismore, en Irlande, le 25 janvier 1626, et mort à Londres le 5 o décembre 1691. — Ses ouvrages, tous écrits en anglais, ont été recueillis par Birel en 5 vol. in-fot. Lond , iy 44 , avec une vie de l’auteur. — lien existe une traduction latine incomplète, formant 4 vol. in- 4 °. Genève, 1680. THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 101 que ceux de Wirdig ou de Paracelse; il n’était d’ailleurs pas à la hauteur des écrits de Van Helmont sur le même sujet. De tous les hommes qui se sont livrés jusqu’à présent à l’étude du magnétisme, je viens de vous nommer le plus célèbre et celui qui a le plus de droit à votre admiration. Van Helmont est un des plus grands génies que le genre humain ait produits. De quelque côté qu’on l’envisage, qu’on juge en lui le médecin, le physiologiste, le philosophe ou l’écrivain, cet homme est prodigieux. Aucun autre, peut-être, ne joignit au même degré l’art d’observer la nature et le talent de l’induction. Vous avez tous entendu parler de la révolution qu’il fit dans les sciences médicales, en substituant l’étude des lois vitales à la routine des galénistes et des médecins arabes. Eh bien! cette révolution, dont les effets durent encore, il l’opéra par la seule puissance de sa raison, et sans le secours de ces passions fougueuses qui distinguent la plupart des novateurs, et qui sont, le plus souvent, la moitié de leur génie. Permettez-moi donc de faire précéder de quelques mots sur la vie de cet homme extraordinaire l’examen critique de ses idées. Jean-Baptiste Van Helmont, seigneur de Mérode, Royenboch, Oorschot et Pellines, naquit à Bruxelles, en 1577, d’une famille noble et considérée dans le pays. Son père étant mort en i58o, il demeura confié aux soins de sa mère et d’un oncle, qui, frappés l’un et l’autre de sou intelligence précoce, se firent un devoir de la cultiver. C’était alors un enfant curieux, voulant tout savoir, et comprenant merveilleusement tout ce qu’on lui enseignait. Après avoir passé dans sa famille 102 TROISIÈME LEÇON. les premières années de sa vie, il alla suivre à Louvain son cours d’humanités; mais après l’avoir achevé, il ne prit pas, selon l’usage, le titre de maître ès arts, parce qu’il regardait, disait-il, les titres et les dignités académiques comme des hochets de la vanité. Les jésuites qui faisaient alors des cours de philosophie à Louvain, au grand déplaisir des professeurs de celle ville, eurent l’art de l’attirera leurs leçons, et l’un d’entre eux, le P. Martin del Rio, voulut l’initier aux mystères de la magie, qu’il enseignait. Mais Yan Helmont, observateur avant tout, n’avait pas encore été préparé par l’expérience à distinguer ce qu’il y avait de véritable dans une science qui n’était plus à cette époque qu’un tissu informe de toutes les subtilités de la dialectique. Un peu plus tard , les écrits de Thomas Kempis et de Tau- lerus entraînèrent cette imagination ardente dans les voies obscures du mysticisme, et Van Helmont, pour obtenir la faveur de participer à l’influence de la grâce divine, abandonna par humilité tous ses biens à sa sœur, et renonça sans regret aux privilèges que lui assurait sa naissance. Si nous en croyons ses propres récits, il ne tarda pas à recueillir les fruits de cette entière abnégation de soi-même, car il jouit de la contemplation des théophanies, et, comme Socrate, il eut un génie qui lui apparut dans toutes les occasions importantes.— Cette particularité, dans la suite, n’aura pour vous rien d’étrange. Vous y verrez simplement les effets des études théosophiques sur une imagination de feu, ou, pour parler plus physiologiquement, le résultat d’une continuelle surexcitation cérébrale. Quoi qu’il en soit, l’abandon de sa fortune ne pa- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 103 raissant pas encore à Van Helmont un sacrifice assez méritoire, il résolut, pour imiter en tout la conduite du Christ, d’apprendre la médecine, afin de pouvoir la pratiquer comme une œuvre de bienfaisance et de charité. Il commença donc, suivant l’usage adopté dans toutes les écoles, par étudier les œuvres d’Hippocrate, de Galien et de leurs premiers successeurs. Mais loin de partager l’enthousiasme général qu’excitaient les théories des anciens sur la nature et le traitement des maladies, il fut frappé tout d’abord du vide qu’elles présentaient. Celle du médecin de Pergame, surtout, lui semblait dénuée de fondement, et il se proposait de la réformer, lorsqu’un événement fort simple le dégoûta delà médecine. Van Helmont, ayant contracté la gale, consulta les médecins galénistes qui, attribuant cette maladie à la combustion de la bile et à l’état salin du phlegme, lui conseillèrent l’usage des purgatifs qui l’affaiblirent et ne le guérirent pas. Alors il prit en haine une science conjecturale dont il venait si tristement de constater l’impuissance. Il y renonça donc et se mit à voyager en France et en Italie. Cependant, dix ans plus tard, une voix qu’il crut entendre en songe, son génie familier, réveilla en lui le désir qu’il avait autrefois conçu de renverser le système des humoristes. Un empirique qu’il avait rencontré lui donna quelques notions de chimie expérimentale. Van Helmont prit goût pour cette science qui lui suggéra, comme à tant d’autres beaux génies, la chimérique espérance de découvrir un remède universel. Ce fut à peu près à la même époque qu’il épousa une riche Brabançonne, dont il 104 XKOIS1ÈME LEÇON. eut plusieurs enfants, entre autres un fils, François Mercure, devenu célèbre dans les fastes de la théosophie. Retiré dans une terre près de Vilvorde, il s’y occupa jusqu’à la fin de ses jours d’opérations chimiques et de théories sur l’organisation physique et intellectuelle du genre humain. Pendant près de trente ans il ne quitta pas son laboratoire, quoiqu’il assure que le nombre des malades traités et guéris par lui s’éleva à plusieurs milliers chaque année. Ce nombre, si considérable qu’il soit, paraîtra cependant d’autant moins exagéré que Yan Helmont n’exerça jamais l’art de guérir dans des vues intéressées de l’aveu de tous ses biographes, il refusait le salaire qu’on lui offrait pour ses conseils et même pour ses préparations, et ce fut en vain que les empereurs Rodolphe II, Mathias et Ferdinand II essayèrent de l’attirer à Vienne par l’appât des richesses et des dignités. Rien ne put le déterminer à quitter sa retraite où il écrivit la plupart des ouvrages qu’il nous a laissés, et où il mourut, d’une fluxion de poitrine, le 3o décembre ï 644* Certes, la vie que je viens de vous raconter est celle d’un homme honorable, et si quelque pédant, qui ne comprenait pas la valeur des termes, a pu dire de Yan Helmont qu’il n’était qu’un visionnaire, personne assurément n’eut jamais le droit de l’accuser de charlatanisme. Aussi les médecins modernes, tout en manquant de documents pour apprécier l’étendue et la profondeur de son intelligence, s’accordent-ils pour rendre justice à sa sincérité. Il croyait de si bonne foi, dit Jourdan 1 , aux prétendus miracles opérés par la 1 Biographie medicale. Paris, 1822, t. Y, p. t47- 105 THEORIES ANCIEN-NES ]>C MAGNÉTISME. chimie, que la mort de sa femme et de quatre de scs enfants, moissonnés sous ses yeux par des maladies diverses, n’avait pu l’en désabuser. — Van Helmont était nourri de la lecture des adeptes. Doué d’une imagination ardente, il l’avait encore exaltée dans leur commerce assidu. Le feu de leurs fourneaux avait achevé d’enflammer sa tête. Cepegdant, au milieu de cette fumée alchimique et superstitieuse, où trop souvent ces idées sont comme perdues, jail- lissent par intervalle des traits d’une vive lumière. C’est sur la route de l’erreur qu’il a fait d’heureuses découvertes, et c’est dans la langue des charlatans qu’il annonce de brillantes vérités. » De tous les critiques de Van Helmont, Deleuze, qui l’avait le plus étudié, est aussi celui qui l’a le mieux jugé. Van Helmont, dit-il ', était un homme de génie il fait époque dans l’histoire de la physiologie et de la médecine. C’est lui qui le premier a fait connaître le système des forces épigastriques. Il reconnut l’action puissante de l’estomac sur les autres organes; il vit également que le diaphragme est un centre principal dans l’économie du corps vivant. En considérant l’ensemble des êtres et en recherchant la cause de leur influence réciproque, il aperçut dans tous les corps un principe de mouvement inhérent à leur nature, une force particulière que leur a imprimée le Créateur, et par laquelle ils agissent les uns sur les autres, et il donna le nom de blas à ce principe d’action. Combien de vues profondes sur l’incertitude 1 Deleuze De P opinion de Van Helmont sur la nature, la cause et les effets du magnétisme. 106 TROISIÈME LEÇON. de la médecine et sur les moyens de la perfectionner, Sur l’insuffisance de la logique scolastique et sur les véritables fondements de nos connaissances, sur la nécessité d’allier les sciences métaphysiques et morales aux sciences physiques et naturelles pour arriver à la vérité, se trouvent dans ses écrits! Combien d’idées maintenant répandues dans plusieurs traités de physiologie et surtout dans ceux de l’école de Montpellier, doivent leur origine aux principes qu’il a le premier énoncés! En chimie, il fit plusieurs découvertes importantes. C’est à lui qu’on doit la première connaissance des fluides aériformes, auxquels il donna le nom de gaz, sous lequel on les désigne encore aujourd’hui. Sans lui Stahl n’aurait probablement jamais donné une nouvelle impulsion aux sciences. Si son imagination l’entraîna dans quelques erreurs, du moins sa bonne foi n’est jamais douteuse. S’il se crut inspiré, c’est qu’il n’avait puisé ses idées ni dans les livres, ni dans le commerce des hommes, mais dans nue profonde méditation des phénomènes de la nature. Ce qui donne un charme particulier à la lecture de ses écrits, c’est l’élévation de son âme, l’absence totale du désir de la réputation et de tout intérêt terrestre; c’est un amour ardent de la vérité, subordonné cependant à l’amour du bien; c’est un sentiment religieux qui met en harmonie ses autres sentiments, et qui, fondé sur une foi vive, mais exempt d’intolérance, ne se montre au dehors que par la charité c’est que, lors même que son style est obscur, il excite l’imagination du lecteur, émeut son âme et lui fait naître de nouvelles pensées. Le témoignage d’un tel homme est 107 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, d’un grand poids et ses opinions ne doivent point être rejetées sans examen. Ses divers ouvrages, et particulièrement sa Dissertation sur la cure magnétique des blessures, prouvent qu’il avait réellement deviné le principe et connu l’action du magnétisme, et si l’explication qu’il en donne est, à certains égards, erronée, elle est, du moins, assez ingénieuse pour mériter quelque attention’. » Une note annexée à l’opuscule, aujourd’hui fort rare, dont je viens de vous rapporter un fragment, peut compléter à vos yeux le portrait de Yan Helmont; cette note est ainsi conçue On a dit de Yan Helmont qu’il était fort crédule et cela est vrai, peut-être même a-t-ou eu raison de le traiter de visionnaire; mais on l’a accusé d’être superstitieux et ceci mérite explication. Si l’on donne le nom de superstition à toute croyance pieuse qui, pouvant s’accorder avec les dogmes et les principes de la religion, n’est cependant pas au nombre des choses que l’Eglise nous oblige * Les ouvrages de Yan Helmont sont les suivants De Magnelica vulnerum naturali et légitima curaüone. Paris, 1621, in- 4 °- Cologne, 1624, in-8°; De aquis Leodiensibus medicalis supplementum. Cologne, 1724,in-8°; Febriitm doctrina inaudila. Anvers, i652,in-i6. Traduct. franc, par A. Baudie. Paris, i653, in-8°; Opuscula medica inaudila. Cologne, 164 4 , in- 8 °; Ortus medicince , id est initia physicœ inaudila , progressas me- dicinœinmorborumcurationemadvilani longam. Amsterdam, 1648, in- 4 ». Lyon, i 652, in-fol. Leyde, 1667, in-fol. Francfort, 1642, in- 4 0 . Londres, 1642, in- 4 °. Traduction franc.; Lyon, 1671, in- 4 °; Ce dernier ouvrage a été publié par François Mercure Yan Helmont , fils de l’auteur, né en 1618 et mort en 169g. 108 TROISIÈME LEÇON. à recevoir comme acte de foi, Van Helmont n’était pas exempt de superstition. Regardant l’Ecriture comme le dépôt de toutes les vérités, il y cherchait l’explication de plusieurs phénomènes physiques sans penser que l’objet des livres saints est seulement de nous instruire de nos devoirs et de notre destinée. Mais si l’on donne le nom de superstition aux croyances et aux pratiques qui tendent à nuire aux hommes, soit en les portant à l’intolérance et au fanatisme, soit en affaiblissant l’empire de la raison, jamais la superstition n’eut un plus grand ennemi. De nos jours, pour détruire les funestes effets de la superstition, qu’on a présentée comme bien plus dangereuse que l’athéisme, et comme la première cause de presque tous les maux du genre humain, on a attaqué la religion. On a voulu donner plus d’empire à la raison humaine, en lui soumettant tout et en ne voyant dans la nature que des forces mécaniques. En reconnaissant l’existence de l’âme, celle de la Divinité et même la Providence, ou en a fait abstraction dans l’explication du système du monde. On n’a voulu admettre comme vrai, que ce qui est reconnu par le témoignage des sens, ou prouvé par la raison sans faire attention que souvent les sens nous trompent et que la raison même nous égare. On a sapé tous les préjugés sans examiner s’ils étaient utiles ou nuisibles, fondés sur des idées favorables au bonheur, ou contraires à la tranquillité des individus et à l’harmonie de la société. Il eût cependant été essentiel de faire cette distinction. C’est, par exemple, une croyance funeste que celle qui attribue au démon la puissance THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 109 d’agir physiquement et de produire des effets dans la nature. Mais la croyance que les anges, médiateurs entre Dieu et les hommes, veillent sur les gens de bien, leur inspirent des idées de paix, les excitent à la vertu et les consolent dans leurs malheurs; que les êtres qui nous ont précédés dans la vie, s’occupent encore de nous, écoutent nos vœux et peuvent nous communiquer de bonnes pensées; qu’il y a une correspondance entre le ciel et la terre, entre le temps et l’éternité; que Dieu favorise ceux qui le prient en fortifiant leur cœur, en éclairant leur esprit, en leur donnant des lumières qu’ils n’auraient point acquises par l’étude, et cent autres opinions de ce genre, tant ridiculisées de nos jours; quel mal font-elles aux hommes? quel désordre portent-elles dans la société? Et comment croire qu’elles abrutissent l’intelligence, lorsqu’on sait que tant de grands génies les ont eues, depuis Platon jusqu’à Fénelon ? Van Helmont donna dans ces idées ou dans ces préjugés. Mais personne, en se renfermant dans les limites de la foi catholique, n’a jamais combattu avec plus de force et par de meilleures raisons la puissance attribuée au diable, et toutes les pratiques qui ne sont point en accord avec la simplicité du christianisme. Il s’arrête à la volonté de Dieu pour rendre raison de plusieurs phénomènes qu’on a depuis expliqués par les forces de la nature; mais ceux qui se sont moqués de son système n’ont fait que reculer la difficulté. » Yan Helmont est l’auteur d’un système d’anthropologie qui a joui longtemps, dans nos écoles, d’une grande célébrité. Ce système dont on s’est beaucoup 110 TROISIÈME LEÇON. moqué saus le comprendre, et, qui plus est, sans l’étudier, reposait essentiellement sur le spiritualisme; c’est-à-dire que Van Ilelinont croyait à l’existence d’une âme immortelle, faite à l’image du Créateur, et de laquelle émanaient la pensée, le libre arbitre et toutes les prérogatives morales dévolues à l'humanité. Mais indépendamment de ce principe divin, Van Hel- mont admettait une sorte de principe mixte, auquel il donnait le nom d 'archée. Ce principe qui, pour lui, résultait de l’association d’une substance spirituelle avec diverses humeurs, présidait immédiatement aux actes de la vie organique, et aux actes instinctifs de la vie de relation. 11 ne différait guère, ainsi que vous en pouvez juger, de l’âme sensitive imaginée par les philosophes de la même époque. Seulement l’archée de Van Helmont était défini dans son essence. Il n’abandonnait le corps qu’à sa dissolution, et constituait une sorte de ferment au moyen duquel les êtres organisés se survivaient et transmettaient la vie à d’autres êtres de même nature qu’eux. L’archée jouait donc le principal rôle dans toutes les conceptions. Il était le germe immatériel du tout fécondé, l’agent plastique qui tirait les parties solides des corps vivants, de l’eau, principe de tout dans les idées du temps. La première invention de cette ingénieuse entité, qui devint par la suite le principe vital de Stahl, n’appartient pas à Van Helmont. Paracelse en avait eu l’idée; mais en la définissant avec plus de clarté, le philosophe de Bruxelles se l’appropria et lui donna de la consistance dans le monde savant. L’archée, dit Van Helmont, consiste dans l’union THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 111 d’un esprit vital avec un noyau spirituel qui féconde les germes. Il est doué de toutes les facultés et de toutes les notions nécessaires pour remplir sa desti- nation. Il est l’organe de la vie et du sentiment. Depuis le premier moment de l’existence jusqu’à la mort, il préside à tous les mouvements organiques et \ les dirige vers le but qui leur est assigné *. » i Cet archée, dont probablement l’observation des faits magnétiques avait suggéré l’idée à Paracelse, devint aussi pour Van Helmout le moyen de les expliquer. ! Ce dernier dissémine dans ses divers ouvrages les notions approfondies qu’il possédait sur le magnétisme ; mais il résume à peu près sa théorie dans la 1 Archeus faber, § 1-7. — On a dit que Van Helmont admettait plusieurs arcliées subalternes, et que chacun des organes avait son archée particulier, qui y résidait et en dirigeait les opérations. Cela a besoin d’être expliqué. Van Helmont admet plusieurs centres de vie, ou une vitalité propre à divers organes, et cette opinion, qu’il a très-bien exposée dans le traité intitulé Fila multiplex, est parfaitement conforme à celle de Bichat; mais, loin de considérer ces principes de vie existant dans chaque organe comme des êtres distincts, il les croit des émanations ou dépendances de l’archée principal. L’archée est l’habitation de l’âme sensitive, ou plutôt il ne fait qu’un avec elle; et voici comment Van Helmont s’exprime sur l’âme sensitive Cette âme unique, dit-il, est la cause immédiate, le centre, le siège, la source et le principe de toutes les facultés et de toutes les actions vitales.... Elle dissémine dans les divers organes les facultés nécessaires pour la vie.... Elle est comme une lumière vitale dont le foyer, placé dans l’estomac, envoie ses rayons dans toutes les parties du corps. Vnica anima sensiliva est causa immediata, centrum, nidus, fons, et origo facultatum et actionum vitalium quarumeumque.... Seminavit suas facultates per organa cor- poris.... Sensihvum lumen vitee hospitalur in stomacho, tamquam radice vitœ mortalis. Confirmalur morborum sedes in anima sensitiva, § 1 et 2. üeleuze, Note sur Fan Helmont. 2 TROISIÈME LEÇON. brochure intitulée De Magnetica vulnerum curatione disputcilio. Nous suivrons Deleuze dans l’analyse qu’il nous en a laissée. Le magnétisme, dit Van Helmont, agit partout; il n’a rien de nouveau que le nom; il n’est un paradoxe que pour ceux qui se moquent de tout, et qui attribuent au pouvoir de Satan ce qu’ils ne peuvent expliquer. Magnétisants, quia passim viget, prceter no- men, nil novi continet nec paradoxtts nisi iis qui cuncta dérident, et in Satartice dominium ablegant qitœcumque non inlelligunt § 1 . » Qu’est-ce donc que le magnétisme? Nous donnons, en général, ce nom à l’influence occulte que les corps exercent à distance les uns sur les autres, soit par attraction, soit par impulsion. Sic vocitamus eam occultant coaptationem qua absens in absens per iu- Jluxum agit, sive trahendo vel impellendo jiat § 66. Le moven de cette influence est désigné par Yan Helmont sous le nom de Magnale magnum. Ce n’est point une substance corporelle, c’est-à-dire qui puisse être condensée, mesurée, pesée comme les émanations des corps; c’est un esprit en ne prenant pas ce mot dans le sens d’âme ou d’intelligence étliéré , pur, vital, qui pénètre tous les corps, et agite la masse de l’univers. 11 est le modérateur du monde , parce qu’il établit une correspondance entre toutes ses parties, et entre toutes les forces dont elles sont douées. La lumière du soleil, l’influence des astres, les commotions données par la torpille, la vue du basilic , etc., sont des qualités spirituelles, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas lancées à la manière des émanations corpo- THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 113 relies, mais à la manière d’une lumière imperceptible, qui se porte par irradiation d’un objet sur un autre objet qui lui convient. » Ce paragraphe renferme évidemment l’idée fondamentale du système exposé plus tard par Mesmer. Mais Van Hehnont, beaucoup plus philosophe que ce dernier, pénètre plus avant dans la nature intime des choses; et si l’explication qu’il donne des faits n’est pas toujours satisfaisante, elle offre constamment des idées d’un ordre très-élevé. Van Helmont distingue l’homme en extérieur et en intérieur, assignant à l’un et à l’autre certaines facultés L’homme extérieur se compose de la chair et du sang; il est animé par un principe vital ; il a une volonté, une imagination; c’est un animal agissant par la raison du sang. — L’homme intérieur est l’image de Dieu. — Dico hominem externum esse animal ratione et vo- luntale sanguinis utens; internum vero non animal sed imaginent Dei veram § 83 . » Voilà l’ancienne doctrine, de l’âme sensitive et de l’âme raisonnable. L’archée ne diffère donc pas essentiellement de la première; mais Van Hehnont va plus loin que les philosophes dans lesattributs qu’il lui donne. L’esprit de l’animal, dit-il, reste uni au corps qui a cessé de vivre, jusqu’à ce qu’il soit dissipé par la putréfaction. Lorsque le sang sorti du corps se corrompt, la portion d’esprit qui lui était unie s’échappe, et va se joindre de nouveau au corps auquel elle appartenait voilà pourquoi, lorsqu’on applique le remède sur le sang retiré de la blessure, ce remède agit sur la blessure même § 76-80. » 114 TROISIÈME LEÇON. Assurément cette explication ne saurait être admise, mais les observations qui y ont donné lieu n’en doivent pas moins être examinées. — Ainsi que je crois vous l’avoir dit déjà, cet examen est encore à faire. Il y a, dit Van Helmont, des extases miraculeuses, ou des révélations faites à l’homme intérieur ; mais l’homme extérieur ou l’animal a aussi des extases lorsque son imagination est exaltée. Alors il peut avoir le sentiment des objets éloignés; une multitude d’exemples le prouvent. Or ce n’est point l’âme qui sort du corps; car, une fois sortie, elle n’y rentrerait plug, Il y a donc dans le sang une puissance extatique * qui, excitée par un ardent désir, porte sur les objets absents l’esprit de l’homme intérieur. Cette faculté est cachée dans l’homme extérieur; elle y est en puissance, et elle ne devient active qu’autant quelle est excitée par une ardente imagination, par un violent désir, ou par quelque chose de semblable. — Igitur in sanguine est qucedam poleslas, quce si quando ardenti desiderio excita Juerit, etiam ad absens aliquod objecturn, exterioris horninis spirilum deducendo sil ea autem polestas in exleriori homini latet velut in potentia; nec ducitur ad actum, nisi excitetur accensa ima- ginatione, ferventi desiderio aut arte aliqua pari §76.» La distinction que Van Helmont établit entre les extases de ïâme ou de l’homme intérieur, et les extases de l'archée ou de l’homme extérieur, ne me paraît fondée sur aucune raison solide. Mais abstrac- 4 J’emploie ce mot, dit Van Helmont, faute d’un autre plus convenable. Sic voco clymi penuria. » THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. J 15 tion faite de cette subtilité, le reste du paragraphe n’en prouve pas moins que Van Ilelinont avait une connaissance exacte de l’état magnétique, désigné de nos jours sous le nom de somnambulisme lucide, et, vous verrez par la suite que notre théorie des vues a distances, pour être , nous l’espérons, plus claire et plus logique, ne diffère cependant pas absolument de la sienne. D’ailleurs, sauf le mélange de certaines idées mystiques que Van Helmont peut-être n’eût pas aussi explicitement adoptées de nos jours, le paragraphe suivant est un ingénieux développement de la même théorie. Avant la chute de l’homme, dit-il, son âme était douée d’une science innée, d’une puissance prophétique , d’une force par laquelle elle agissait au dehors ces facultés existent toujours en elle; et si elles ne se montrent plus, c’est qu’une foule d’obstacles s’opposent à leur exercice. Cependant, les effets de la chute de l’homme ne se faisant pas autant sentir pendant le sommeil, il s’ensuit que dans cet état on peut être éclairé d’une lumière surnaturelle, et c’est ce qui explique les phénomènes étonnants que présentent les somnambules. Pendant la veille, les sensations dont nous sommes continuellement affectés nous empêchent de discerner ces inspirations intérieures ; et comme les facultés dont l’homme avait été doué primitivement sont engourdies, il faut un moyen extraordinaire pour leur rendre leur énergie. On y parvient par la prière, par la contemplation, par les pratiques, qui, en affaiblissant l’empire de la chair, retirent l’âme de 116 TROISIÈME LEÇON, cet engourdissement, et lui rendent sa puissance naturelle et magique § io5. » Ainsi que vous pouvez en juger, Van Helmont s’appuie d’abord sur une conjecture purement gratuite, lorsqu’il prouve que les effets de la chute de l’homme ne se font pas autant sentir pendant le sommeil que pendant la veille. Une bonne théorie du sommeil, celle que nous vous donnerons dans la suite, aurait levé la difficulté. Vous verrez en effet que l’état de sommeil conduit naturellement aux mêmes conditions physiologiques que font naître la prière, la contemplation , et les pratiques qui rendent à l’ame sa puissance magique. Quoi qu’il en soit, observe Deleuze, on voit que Van Helmont prend le mot magie dans un sens favorable. Toute science occulte, dit-il, ou qui s’élève au-dessus de celle que nous acquérons par l’observation et le calcul, est magie; toute puissance qui n’appartient pas à une action mécanique est une puissance magique, et la nature est la grande magicienne. » Après avoir prouvé que la vertu de Xonguent des armes ne vient point de l’action du démon , et que la manière de l’employer ne se lie avec aucune superstition, Van Helmont arrive aux propositions suivantes L’âme humaine étant l’ouvrage de Dieu , elle était naturellement douée d’une certaine vertu magique par laquelle elle agissait d’une manière particulière, c’est-à- dire spirituellement et à distance, et beaucoup plus puissamment que par le moyen des organes corporels. Les facultés de l’âme ayant été engourdies par la THÉORIES ANCIENNES Dü MAGNÉTISME. 117 science que l’homme a acquise en mangeant le fruit défendu, elle se borne, dans l’état ordinaire, à mouvoir et conduire le corps qui lui appartient. Mais si sa vertu magique se réveille , elle peut agir, par sa seule volonté , hors de sa demeure, sur des objets éloignés. C’est en quoi consiste toute la magie naturelle , et non point dans de vaines cérémonies et des pratiques superstitieuses qui ont été introduites par le démon, toujours occupé à corrompre ce qui est bien. — Eadem vero anima, magica virtule non nihil expergejacta , extra suum ergaslulum, in aliucl distans objectum solo nutu agere posse, per media deportato in eo nempe sitam esse totam basim magiœ naturalis , nullatenus aulem, in ceremoniis variisque supersti- tionibus § 12a. Le mot magie doit être interprété, comme il l’est dans l’Écriture, en bonne ou mauvaise part, selon le but qu’on se propose. Par ce mot, nous entendons cette connaissance élevée des choses, et cette puissance extraordinaire d’agir qui nous a été donnée comme à Adam, et qui nous est naturelle comme à lui. Le péché ne l’a point éteinte, il 11e l’a point effacée ; mais il l’a engourdie, et c’est pour cela qu’elle a besoin d’être excitée. L’Esprit saint peut la réveiller en nous; le démon le peut aussi; mais ce dernier n’agissant que pour le mal, on est sûr qu’elle n’est point excitée par lui lorsqu’on se propose de faire du bien. Cette vertu magique existe aussi dans l’homme extérieur, quoique plus faible; on en voit même quelques traces dans les brutes. 118 TROISIÈME LEÇON. Il y a une connexion entre les choses qui agissent spirituellement; il y en a une entre les esprits; et comme l’homme est supérieur aux autres créatures corporelles, il peut par sa magie naturelle dompter la leur. Cette puissance a été faussement attribuée aux incantations. Les esprits analogues agissent les uns sur les autres; ainsi, la femme enceinte, lorsqu’elle est frappée de l’idée d’une chose, en imprime l’image sur le foetus. Les esprits, et en quelque sorte les essences de toutes choses, sont cachés au dedans de nous, et la force de l’imagination leur donne naissance et les fait paraître. » Que de génie! quelle puissance d’intuition! ou plutôt quelle observation délicate de faits oubliés de nos jours dont Mesmer ne s’est pas douté, et que les hasards seuls de l’expérimentation ont reproduits sous nos yeux! Je vous ferai connaître, lorsqu’il en sera temps, ces faits qui ouvrent positivement une voie nouvelle à la psychologie, où elle trouvera, pour l’éclaircir, le flambeau de Van llehnont. Lorsque l’imagination, poursuit-il, est fortement excitée, l’âme engendre une idée réelle ou essentielle qui n’est point une qualité sûre, mais une substance inter- termédiaire entre le corps et l’esprit. Quand cette idée a ainsi revêtu une substance corporelle et puis une entité ou existence propre, l’intelligence la reconnaît, la volonté s’y attache et la dirige , la mémoire la rappelle. Lorsque cette entité idéale se répand au dehors en esprit vital, elle n’a besoin que d’une légère excitation 119 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME, pour se porter au loin et exécuter ce qui lui est enjoint par la volonté. Les corps ne sont que la moitié du monde les esprits y sont aussi répandus partout. Ainsi, ce sont les esprits qui sont les ministres du magnétisme; non point les esprits du ciel ou de l’enfer, mais les esprits qui sont formés par l’homme et qui sont en lui comme le feu dans le caillou. La volonté de l’homme s’empare d’une portion de son esprit vital, qui, s’unissant à l’entité idéale, acquiert une existence intermédiaire entre ce qui est corporel et ce qui ne l’est pas, et se répand comme la lumière. La volonté envoie et dirige cette substance, qui, une fois lancée, semblable à la lumière, et n’étant pas un véritable corps, n’est arrêtée ni par la distance ni par le temps. Cette substance n’est point un démon; elle n’est point produite par le démon c’est une action de l’esprit qui appartient à notre nature. Le monde matériel est régi par le monde immatériel, et les autres corps sont soumis à l’homme § iu5 et suivants. » Je sens trop bien, messieurs, que n’ayant encore sur le magnétisme que des notions vagues et générales, vous n’êtes pas en état d’apprécier comme je puis le faire l’admirable profondeur de ces propositions; j’ai même la certitude qu’elles ne vous paraissent rien autre chose que les divagations d’un spiritualisme désordonné. Mais si, comme j’en ai l’espérance, je parviens un jour à vous rendre témoins de cette matérialisation de l’esprit, de cette sorte d’incarnation de la pensée qui sert de point d’appui à ces prétendues rêve- 120 TROISIÈME LEÇON. ries, quelle admiration n’aurez-vous pas pour Yan Hel- mont, pour cet -immortel rêveur que l’histoire du magnétisme semble avoir oublié ! S’il sut voir les faits qu’implique sa théorie, il fut le plus grand observateur de l’époque où il vécut; s’il les a devinés, il en fut le plus grand génie. Mesmer, il s’en faut beaucoup, ne poussa pas aussi loin ses investigations ; aussi, sans la nécessité de me conformer à l’ordre chronologique, vous aurais-je exposé sa doctrine avant celle de Yan Helmont dont il a méconnu les travaux ou qu’il n’a pas su comprendre. — Que justice soit faite à tous depuis longtemps Mesmer usurpe la gloire d’avoir découvert le magnétisme ; mais je jugerai Mesmer et ses œuvres dans ma prochaine leçon ; revenons-en donc à son illustre prédécesseur. Yan Helmont, après avoir cité comme positif le fait qu’une femme grosse, lorsqu’elle est frappée d’un objet, en imprime l’image sur l’enfant quelle a dans son sein, explique ce fait par sa théorie. L’imagination de la femme vivement excitée produit une idée, et cette idée qui a revêtu une substance intermédiaire entre le corps et l’esprit se portant sur l’être avec lequel la femme a le plus de relation , y imprime l’image de ce qui l’a le plus affectée. — Je ne saurais dire assez combien cette théorie est ingénieuse et combien elle semble juste lorsqu’elle est corroborée par certaines expériences dont vous serez un jour témoins. Les médecins modernes , ceux qui ont lu Van Helmont il n’en est pas un sur mille, n’ont pas manqué, comme bien vous pensez, de tourner en ridicule cette alléga- THÉORIES ANCIENNES Dü MAGNÉTISME. 121 tion que presqu’aucun d’eux n’est en état de comprendre, et, afin de ne pas s’embarrasser l’esprit d’une théorie trop subtile pour leur intelligence, ils ont tranché la difficulté en niant un fait très-positif et contesté par eux seuls. Mais les médecins! Ah! si vous aviez fait comme moi l’analyse de leur science, que leurs négations ou leurs affirmations diminueraient de valeur à vos yeux! Comme observateurs, le moindre de nos romanciers les surpasse; comme savants, ils n’ont que des préjugés ; comme philosophes ! ah ! comme philosophes, ils font pitié! Leur métaphysique quand ils en ont une roule sur un atome ou se débat dans un cercle imaginaire dont quelques rares génies ont à peine, de loin en loin, franchi la circonférence. Je vous étonnerais bien, vous, gens du monde, comme ils vous appellent, si je vous présentais les titres de gloire des demi-dieux qu’ils adorent. Que je voudrais peser dans la même balance le scalpel de Bichat et la plume de Van Helmont ! Mais le temps n’est pas venu encore \ * Je n’ai pas besoin de faire observer qu’en récusant les médecins comme observateurs, comme savants et surtout comme philosophes, j’admets des exceptions ; mais relativement à la multitude des prêtres d’Epidaure dont la parole fait autorité dans le monde, ces exceptions sont peu nombreuses. Cela tient à ce que l’éducation médicale, essentiellement matérialiste, fausse le jugement sur certaines questions et rétrécit les idées sur toutes. Absorbée par l’étude routinière d’une spécialité dont elle prend imperturbablement les hypothèses pour des axiomes, la gent médicale va droit devant elle, sans se soucier des inductions de la véritable philosophie, dont elle ne parle qu’avec dédain. — Écoutez, par exemple, les détracteurs de la phrénologie ils traitent Gall et Spurzheim de rêveurs, d’illuminés, sans se douter le moins du 122 TROISIÈME LEÇON. i» Suivant Van Helmont, le magnétisme de l’aimant et celui de toutes les choses inanimées a lieu par une sympathie naturelle. Dieu est la vie, dit-il, son esprit remplit l’univers, et tout ce qu’il a créé a reçu une portion de vie, une sorte de sentiment. C’est cet esprit qui est la cause de la sympathie par laquelle l’action d’un corps se porte de préférence sur un autre ainsi, lorsque nous attribuons ces sympathies aux propriétés des corps, nous prenons l’effet pour la cause. » Les théories chimiques de MM. Dumas et Berzélius supposent implicitement le même principe, regardé comme une rêverie pendant un siècle et demi. La force magique qui a pour principe la vie se montre dans les aniamux; ils ont la puissance de produire une entité réelle et de l’envoyer au loin par la volonté. C’est ce qui explique l’action des chiens, du basilic, de plusieurs poissons, etc., » autres rêves qui finiront aussi par devenir de belles et bonnes réalités. — Enfin, il y a une vertu magique séparée pour ainsi dire du corps; elle a lieu par l’excitation de la puissance intérieure de l’âme , et elle produit au dehors les effets les plus étonnants ; car la nature agissant par elle- même est d’autant plus forte qu’elle est plus spirituelle. — Postremo estvirlus magica a corpore quasi abs- tracta, quœ fit excitamento interioris potestatis animée, undefiantpotentissimee procreationes et validis- simi eJJ'ectus. Utrobique scilicet natura maga est, et monde que ces deux grands hommes ne sont que les continuateurs de Kant, de Reid et de Dugald Stewart. Et le magnétisme ! qu’est- il pour eux ? une vision de Mesmer_ dont ils n’ont pas lu un mot. Vanitas vanitatum ! 123 THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. per phantasiam suarn agit, et quo spiritualior eo potentior § 1 5y . Toute vertu magique a besoin d’excitation. Dans les corps bruts, cette excitation a lieu par une cbaleur intérieure qui fait sortir une vapeur spirituelle et réveille le mouvement des esprits corporels ; dans le magnétisme elle a lieu par un attouchement intérieur. La vertu magique des animaux est excitée par une conception intellectuelle ; celle de l’homme extérieur par une forte imagination, une attention continue et profonde; celle de l’homme intérieur par le Saint-Esprit. » Il est impossible de ne pas reconnaître dans cette proposition une admirable généralisation de tous les faits magnétique, y compris le somnambulisme spontané, le somnambulisme artificiel, l’extase, etc. Si les magnétiseurs avaient pris la peine de revenir à cette source, ils ne se seraient point égarés comme ils l’ont fait dans des distinctions qui ne reposent sur rien d’essentiel et qui, en isolant les faits, rompt par avance dans l’esprit de l’observateur le lien qui les unit. Van Helmont continue J’ai différé jusqu’ici de dévoiler un grand mystère c’est qu’il y a dans l’homme une énergie telle que par sa seule volonté et par son imagination, il peut agir hors de lui et imprimer une vertu, exercer une influence durable sur un objet très-éloigné. Cela explique ce que nous avons dit de l’entité idéale qui va exécuter les ordres de la volonté du magnétisme de toutes choses, produit par l’imagination de l’homme, ou par l’esprit des autres choses, et de la supériorité magique de l’homme sur tous les autres corps. — Ingens mysterium propalare hactenus distuli osten- 124 TROISIÈME LEÇON. dere videlicet in homine sitam esseenergicim quasolo nuta et phanlasia sua queat agere in distans , et imprimere virlutem, aliquam injluentiam, deinceps per se perseverantem et agentem in objeclum longis- sime absens § i58. Cette puissance que nous avons d’agir hors de nous par notre seule volonté est sans doute incompréhensible; mais concevons-nous mieux comment notre volonté agit sur nos propres organes, comment elle remue notre liras? L’union de l’âme et du corps, l’action de l’un sur l’autre, sont des phénomènes dont la cause est impénétrable. Cependant, si nous réfléchissons sur notre origine, le raisonnement nous prouvera d’abord ce qu’il nous est facile de constater par l’expérience. L’homme est l’image de Dieu, non par sa forme extérieure, mais par son âme, par les facultés dont il est doué. Or, Dieu, qui n’a point d’organes corporels, agit par sa seule volonté; c’est par sa seule volonté qu’il imprime le mouvement à toutes les créatures ; il suit de là que l’homme peut aussi faire quelque chose par sa seule volonté. — Quocirca si Deus agat per nutum, perverbum; sic oportet hominem, si'verum debeat dici ejus simulacvum, agere nonnulla solo tiutu § 91 . » — Ceci s’accorde merveilleusement avec l’interprétation que j’ai donnée dans ma deuxième leçon à deux versets de l’Évangile, et avec les réflexions qu’ils m’ont suggérées. L’âme humaine, continue Van Helmont, étant l’image la plus parfaite du Créateur, c’est en elle que réside, dans un plus haut degré que dans les autres créatures, la puissance de la volonté; elle la transmet THÉORIES ANCIENNES DU MAGNÉTISME. 125 à l’esprit vital qui est en accord avec elle, et qui reproduit extérieurement ses facultés ; mais cette puissance d’agir en dehors 11e lui appartient pas exclusivement; elle se montre, quoique bien plus faible, dans tous les êtres doués de la vie et du sentiment; ceux-ci ont une portion de volonté plus ou moins active, plus ou moins influente , selon qu’ils sont plus ou moins rapprochés de l’homme qui les domine tous et cela doit être , parce que Dieu est le principe de la vie, et que son esprit est répandu dans toute la nature. » Plus loin, Van Helmont prétend que nous pouvons attacher à un corps la vertu dont nous sommes doués, lui communiquer certaines propriétés, et nous en servir comme d’un intermédiaire pour opérer des effets salutaires. — Cette allégation a été vérifiée par le marquis de Puységur et par la plupart des magnétiseurs modernes. Elle renferme toute l’histoire des talismans, des amulettes, etc., c’est-à-dire des objets magnétisés dans une certaine intention et portés par des malades. Notre savant ami, M. Mialle, a publié à cet égard un fait intéressant qui lui est personnel et dont vous trouverez le récit dans la préface de ses Cures opérées par Le magnétisme. —Au surplus, Van Helmont rapporte lui-même à l’appui de son sentiment plusieurs observations qu’il n’est guère possible de contester, et voici la conclusion qu’il en tire Puisque l’homme a la force d’agir par sa volonté sur un objet éloigné, il est clair que cette énergie lui a été donnée par Dieu, et qu’elle lui est naturelle. C’est s’ignorer soi-même que de transporter à Satan une puissance dont on est doué. — Probalo nunc eo quod homo 126 TROISIÈME LEÇON. habeat vim per nutum agencli, salis confirmatum est homini istam^energiam a Deo dalam et naturaliter ipsi competere § 172 . » Après l’exposition si claire de la théorie dont je viens de vous rapporter les principaux fragments, théorie, je vous le répète, qui n’a été comprise jusqu’ à présent que par un très-petit nombre de magnétiseurs, Van Hel- mont termine sa brochure par quelques considérations très-remarquables sur les conditions nécessaires au succès de l’action magnétique. Voici comment il s’exprime Nous avons dit que toute force magique était endormie dans l’homme et qu’elle avait besoin d’être excitée. Cela est constamment vrai si le sujet sur lequel on veut agir n’est pas dans la disposition la plus favorable; si son imagination intérieure ne s’abandonne pas entièrement à l’impression qu’on veut produire sur lui ; ou bien si celui sur qui se porte l’action a plus de force que celui qui agit ; mais dans le cas où le patient est bien disposé, ou faible, il succombe facilement au magnétisme de celui qui agit sur lui par son imagination; pour agir fortement, il est nécessaire d’employer un moyen, mais ce moyen est nul s’il n’est accompagné de l’action intérieure. Il faut savoir exciter la vertu magique de son esprit § 172.» — Suit enfin sa profession de foi religieuse, que l’auteur se fût probablement dispensé de faire publiquement de nos jours, mais qui, à l’époque où il vivait, était loin d’être un hors-d’œuvre Je suis catholique romain, dit-il, et je rejetterais toute opinion contraire à la doctrine de l’Eglise. J’ai publié ce que je sais avec une liberté philosophique. THÉORIES ANCIENNES Dü MAGNÉTISME. 127 Les effets naturels ont été créés par Dieu ; ce sont des dons qu’il a faits à ses créatures. Quiconque les attribue au démon dérobe à Dieu l’honneur qui lui est dû, et le transporte à Satan, ce qui est une véritable idolâtrie. » Van Iîelmont a répandu dans ses divers ouvrages les principes qu’il a développés dans la brochure dont je viens de vous donner l’extrait % et le simple énoncé de ces principes suffit pour vous prouver que non-seulement ce grand médecin connaissait le magnétisme, mais qu’il l’avait étudié dans ses effets les plus extraordinaires, et qu’il avait coordonné ses observations en un système , sinon inattaquable, du moins fort ingénieux. — Mesmer, comme vous le verrez bientôt, fut moins heureux dans ses conceptions. C’est qu’il eut le tort impardonnable, je vous l’ai dit déjà, ou de ne pas connaître les travaux de Van Helmont, ou de ne pas les comprendre. Plus tard, vous comparerez ces deux hommes et vous aurez la justice de reconnaître, avec moi, que l’intelligence de Mesmer, dont l’éclat éblouit ses disciples, ne fut pourtant qu’iin reflet du génie de son devancier. —- Van Helmont est un de ces astres lointains que rapetisse la distance âux yeux du vulgaire, mais dont le savant constate l’immensité. ' Voir les traités de Peslilenlia, de Ortu formarum, Logica inuülis, Idea demens, et enfin les trois articles initulés Promissa auctoris, Confessio auctoris, Studia auctoris. QUATRIÈME LEÇON. MESMER ET SES DÉMÊLÉS AVEC LES CORPS SAVANTS. Messieurs , Si le génie du Créateur peut embrasser d’un seul coup d’œil l’ensemble des choses de l’univers dans leurs causes, dans leur enchaînement et dans leurs conséquences, il a conservé pour lui seul cette prérogative de sa toute-puissance. Limité par nos souvenirs et par nos perceptions, le cercle des connaissances humaines est essentiellement incomplet. Des deux larges segments qui lui manqueront toujours, l’un appartient à l’avenir, l’autre appartient au passé. Dans le champ de l’éternité le fleuve de l’esprit humain coule sans s’élargir ce qu’il paraît gagner à l’une de ses rives se dépose en alluvion sur la rive opposée. Les méandres se multiplient; suivant les terrains qu’elle arrose, l’eau change même de couleur, mais sa quantité reste la même. Ainsi, une découverte anéantit les fruits d’une découverte antérieure, et, tandis que l’horizon scientifique ne fait que changer d’aspect, nous nous imaginons qu’il s’agrandit. Mais comme la civilisation des MESMER ET TES CORPS SAVANTS. 129 peuples semble ainsi que les mondes dans l’espace décrire une courbe régulière, elle revient par longues périodes aux points qu’elle a traversés jadis, et, d’intervalle en intervalle, certaines vérités surgissent avec certaines conditions morales que ramène le cours naturel des choses d’ici-bas, et avec lesquelles elles disparaissent pour se reproduire encore. Nulle vérité plus que le magnétisme, n’a subi ces alternatives. Pratiqué dès les premiers temps historiques par les mages de la Chaldée, il se répandit des rives de l’Euphrate dans l’Egypte et dans l’Inde. Après les prêtres d’Isis les prêtres du dieu des Juifs furent ses dépositaires, et les chrétiens en héritèrent. De la Grèce il passa à Home, et de Rome, dit-on, dans les Gaules-, mais je ne crois point .à cette filiation, car les druides étaient mieux informés sur ce point que les thaumaturges ultramontains. Cependant, les adeptes du moyen âge furent moins les disciples des druides que des professeurs de Tolède et de Ségovie. Étouffée dans l’ombre épaisse où ils la cultivent, la science magnétique renaît au jour avec Paracelse qui l’enseigne ex projesso, et en fait la base d’une nouvelle école médicale. Un demi-siècle plus tard, Van Ilelmont lui consacre en pure perte quarante années de labeurs et de méditations, car il n’est pas compris. Mesmer, enfin , au xvm e siècle , découvre le magnétisme qui, après plus de trois mille ans d’examen et de controverse, compte enfin aujourd’hui qualre-viugis aus d’existence. Tels sont les faits fauteurs et détracteurs les acceptent également; mais voici les inductions qu’il est lo- 9 130 QUATRIÈME LEÇON. gique d’en tirer ou bien, la connaissance du magnétisme s’est transmise, régulièrement d’âge en âge, parles voies habituelles de la tradition, et, dans ce cas, il est impossible de le considérer comme une erreur, ou comme un mensonge, car le mensonge et l’erreur sont également inconciliables avec tant de longévité ; ou bien et c’est mon opinion , les notions sur le magnétisme se sont réellement perdues certaines époques pour être de nouveau retrouvées, découvertes, et, dans ce dernier cas, la parfaite identité du magnétisme avec lui-même dans ses diverses apparitions est une autre preuve irréfragable de sa réalité. Cela posé, le xvin 8 siècle n’eut pas absolument tort d’attribuer la découverte du magnétisme à Mesmer ; mais sans taxer ce dernier d’ignorance, nous ne pouvons ratifier en tous points le titre d’inventeur que lui ont décerné ses contemporains. Mesmer, c’est ma conviction, ne puisa ni dans Paracelse ni dans Van Helmont l’idée première de la théorie qui l’a rendu célèbre, mais il donna comme lui appartenant une doctrine qui était la leur. Avec lui néanmoins commence pour le magnétisme une ère nouvelle, dont on ne rechercha que plus tard les liaisons avec les époques antécédentes. Le récit des événements qu’il eut le talent de faire naître, ou d’utiliser au profit de sa renommée, est aujourd’hui d’un intérêt trop général pour ne point précéder ici l’examen de sa théorie. F. Antoine Mesmer, une des plus grandes célébrités dont s’enorgueillit ou dont rougit l’Allemagne, suivant l’opinion flottante encore de ses habitants, à l’égard MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 131 du magnétisme , F. Antoine Mesmer naquit en Souabe, à Weiier, près de Stein, eu 17^4. Nous savons peu de chose sur sa famille, et presque rien sur ses premières années, sauf qu’il était passionné pour l’étude des phénomènes de la nature et pour leur contemplation. Ainsi que tous les esprits méditatifs, il aimait la solitude, et ce fut en errant dans les forêts de son pays qu’il rêva le plan d’un système général de métaphysique dont il jeta les rudiments dans sa thèse inaugurale, et que, par la suite, il développa pour ses disciples de Paris. La faculté de Vienne le reçut docteur en 1766, et la thèse dont je viens de vous parler fut son premier manifeste contre la vieille routine des écoles, et le prélude de la grande révolution scientifique que dès cette époque il. se flattait d’opérer. Cette dissertation avait pour titre De l'Influence des planètes sur le corps humain. Son objetétait de rattacher à l’attraction newtonienne les lois fondamentales de la physiologie. Mesmer y admettait comme agent de cette attraction le fluide universel que nous avons déjà vu figurer tant de fois dans les théories de l’antiquité et du moyen âge. Le fluide universel était pour lui le véhicule des influences sidérales, c’est-à-dire un intermédiaire permanent entre tous les êtres de la nature, et partant, entre les astres et les corps organisés. Je ne sais si Mesmer devait ses idées à ses lectures, ou seulement à ses méditations; mais il les donna comme venant de lui, et il eut même par la suite l’habileté d’en faire nu secret à vendre dont il passa quinze ans de sa vie à débattre le prix. Son grand principe était que tout dans la nature se 132 QUATRIÈME LEÇON. faisait par attraction, de telle sorte que l’aimant n’était qu’une manifestation particulière de cette loi générale de l’univers. C’était donc l’aimant qui devait être mis en œuvre dans ses premiers essais pratiques, persuadé qu’il était, s’il parvenait à des résultats satisfaisants, de les généraliser bien vite dans la théorie qu’il avait conçue. N’oubliez pas toutefois que le fluide } enfant hypothétique de ses rêves ou de ses réminiscences, était toujours dans son esprit le médiateur indispensable de toute espèce d’attraction. De cette conjecture à regarder le fluide comme le principe de toute harmonie, comme la puissance non pas génésique, mais organisatrice de la matière, il n’y avait qu’un pas, et Mesmer n’était pas homme à s’arrêter en chemin. Ce ne fut donc point un simple hasard comme on l’a cru longtemps, mais bien une théorie préconçue, qui le détermina à essayer de l’action de l’aimant dans le traitement des maladies. La première expérience qu’il fit dans ce genre, et qui devait ouvrir une nouvelle carrière à son imagination, date de 1771 1 . La personne sur laquelle il fit cet essai était une demoiselle atteinte d’une maladie convulsive. 11 lui appliqua, pendant un de ses accès, des plaques aimantées sur la poitrine et les jambes; le résultat fut extraordinaire. La malade éprouva intérieurement des courants douloureux d’une matière subtile qui, après différents efforts pour prendre leur direction , se déterminèrent vers la partie inférieure du 1 Voyez Mémoire sur la découverte du Magnétisme animal, par Mesmer. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 133 corps et firent cesser tous les symptômes de la crise. La même expérience fut répétée à plusieurs reprises avec le même succès; mais en en variant les conditions, Mesmer ne tarda point à reconnaître que les effets obtenus dépendaient beaucoup moins de la vertu intrinsèque de l’aimant que de la volonté de l’opérateur admirable découverte, une des plus importantes assurément que les hommes aient jamais faites, et qui sera toujours pour Mesmer son vrai titre de gloire. Cependant, comme il tenait du père Hell, professeur d’astronomie à Vienne, les pièces d’acier aimanté dont il s’était servi, Mesmer devait à ce savant le rapport des résultats heureux qu’il venait d’obtenir. Il lui fit donc le récit de ce qui s’était passé, mais en prenant si bien ses réserves que ce jésuite, abusé par sa demi-confidence, publia loyalement qu’il venait de découvrir dans l’aimant, lui P. Hell, une vertu dépendante de sa forme, et qui donnait le moyen de guérir les maladies de nerfs les plus graves; assertion qui fut accueillie du public avec d’autant plus d’empressement que ces maladies ont été de tout temps l’écueil de la médecine. Mesmer, aussi surpris qu’indigné de cette conduite, protesta de toutes ses forces contre les prétentions de son maladroit spoliateur. Mais il était encore peu connu, et le père Ilell jouissait d’une grande réputation. 11 eut donc beau publier, pour détruire l’erreur générale, l’existence du magnétisme animal comme un fait absolument distinct des propriétés de l’aimant, la prévention était établie, et l’on s’opiniâtra à croire que l’aimant seul opérait les effets constatés. — Quel malheur pour 134 QUATRIÈME LEÇON, la science que le père Hell n’eût pas deviné juste ! La gloire de Mesmer, à la vérité, était sacrifiée sans retour, mais les jésuites, en prenant fait et cause pour le magnétisme, n’eussent pas manqué d’entraîner après eux tous les savants de l’Europe, tandis qu’ils se virent dans l’obligation de soutenir le père Hell quand même, et de sacrifier à l’esprit de corps une découverte qu’ils n’avaient pu s’approprier. Ainsi, le premier pas de Mesmer rencontra un écueil, et bien que l’évidence de ses succès pût servir de contre-poids à l’étrangeté de ses assertions, il ne se trouva d’abord personne, je ne dirai pas seulement capable de l’entendre, mais qui daignât l’écouter. Cependant, comme il connaissait particulièrement le baron de Storck, président de la faculté de Vienne et premier médecin de l’empereur, il jugea convenable de l’instruire de la nature de sa découverte, et, lui mettant sous les yeux les détails de ses opérations, il l’invita à s’en convaincre par lui-même en l’assurant que son intention était de lui rendre compte successivement de tous les progrès qu’il ferait. Devinez quelle fut la réponse du baron de Storck à cette proposition ? les savants sont de bien tristes gens quand ils manquent de cœur ou d’esprit! M. de Storck invita Mesmer à ne pas compromettre la Faculté par une innovation. Mon brave ami Frapart avait donc raison de dire Les corps savants sont des despotes qui ne cèdent que ce qu’on leur arrache, qui n’avancent que quand on les entraîne, » puisque toute innovation les épouvante et les compromet. 135 MESMER ET LES CORPS SAVANTS. Au surplus, ce fut peut-être uu excès de savoir- faire qui empêcha Mesmer de réussir dans son pays. Mystérieux par goût, par instinct, par habitude, il prétendait faire croire à sa découverte sans expliquer exactement en quoi elle consistait. C est ainsi qu en publiant à cette époque 1771 une partie de sa théorie et les succès -qu’il avait obtenus de son application, il s’abstenait, dans des intentions que nous n’aurons que trop l’occasion de qualifier par la suite, de donner aucune notion sur sa manière d’opérer. La volonté même, le grand pivot de sa doctrine, n’était pas nommée dans sa brochure*. 11 était en conséquence bien permis à ses lecteurs de prendre pour des rêveries les paroles que voici J’ai observé que la matière magnétique est preste que la même chose que le fluide électrique, et qu’elle se propage de même que celle-ci par des corps intermédiaires. L’acier n’est pas la seule substance qui y soit propre; j’ai rendu magnétiques du papier, du pain, de la laine, de la soie, du cuir, des pierres, du verre, de l’eau, différents métaux, du bois, des hommes, des chiens; en un mot, tout ce que je toute chais, au point que ces substances produisaient sur les malades les mêmes effets que l’aimant. J’ai remet pli des flacons de matière magnétique de la même te façon qu’on le pratique avec le fluide électri- que, etc. » 1 Lettre de Mesmer, docteur en médecine de la faculté de Vienne, à M. Vuzen, docteur en médecine. Mercure savant d’Altona, 1771. 136 QUATRIÈME LEÇON. Le public, qui ne connaissait d’autre fluide magnétique que celui de l’aimant, ne vit qu’une prétention ridicule ou une erreur évidente dans cette prétendue communication de ce fluide à des substances qui lui sont entièrement hétérogènes. Pour comble de malheur, le physicien Ingenhousz qui avait eu plusieurs entrevues avec Mesmer, et qui avait paru convaincu de la réalité do ses expériences, se rangea contre lui au parti des jésuites, et répandit que tout ce qu’il avait vu n’était qu’une supercherie ridicule et concertée. De tels rapports de la part d’Ingenhousz parurent si peu croyables à Mesmer qu’il fut assez longtemps sans y ajouter foi; mais, enfin, ne pouvant plus douter sinon de leur sincérité, du moins de leur réalité, il voulut justifier sa conduite, et donner aux savants de son pays une idée précise de ses moyens. En conséquence, il fit part à M. de Storck de sa résolution et lui demanda de prendre les ordres de la cour pour qu’une commission de la Faculté fût chargée de constater les faits et de les rendre publics M, de Storck parut d’abord flatté de cette démarche et promit d’y donner suite; mais bientôt il y mit de la froideur, et, s’étant laissé influencer, dit M. de Lau- sane, il ne marqua plus pour cet objet qu’une invincible répugnance. La conduite de la faculté de "Vienne, personnifiée dans son président, décida de celle des diverses académies auxquelles Mesmer avait adressé sa lettre. Une a Annales du Magnétisme animal, n° 2 , p. 5j, 137 MESMER ET LES CORPS SAVANTS, seule, celle de Berlin, lui fit l’honneur d’y répondre; mais confondant les propriétés du magnétisme animal avec celles de l’aimant, cette société déclara, comme avait fait le public, que Mesmer était dans l’erreur. Remarquez bien d’ailleurs qu’il devait en être ainsi, car, l’Académie de Berlin, n’ayant à juger que l’exposé d’un système incompatible avec les lois physiques généralement admises, ne pouvait sans preuves sensibles ratifier une théorie contradictoire en apparence à ces lois. Rebuté par le mauvais accueil des savants, Mesmer en revint aux malades, généralement plus faciles à persuader et de bonne composition avec tous ceux qui leur promettent la santé. Mais il était écrit que Mesmer justifierait le proverbe Nul n’est prophète dans son pays. Après quelques voyages en Souabe et en Suisse, où il laissa, notamment à Berne et à Zurich, plusieurs médecins convaincus de l’existence du magnétisme, il retourna à Vienne opérer plusieurs cures éclatantes. Mais le plus beau de ses succès fut le pire de ses malheurs. Le père d’une de ses malades, influencé, comme le président de Storck, par le mauvais génie qui essayait d’étouffer le magnétisme dans ses langes , faillit le faire incarcérer pour avoir guéri sa fille d’une amaurose incurable à laquelle il devait une pension du gouvernement. — Cette histoire scandaleuse de mademoiselle Paradis 1 m’a toujours semblé un des beaux exploits de la compagnie de ' Voyez Mémoire sur la decouverte du Magnétisme animal, par Mesmer. 138 QUATRIÈME LEÇON. Jésus. — Enfin, Mesmer dégoûté par l’ingratitude de ses compatriotes, et persuadé pourtant que quelque jour ils lui rendraient justice, se décida à quitter Vienne 1777 pour aller chercher dans un pays plus sage et plus hospitalier le repos que sa découverte lui avait ravi dans sa patrie*. Ce fut au mois de février 1778 que Mesmer arriva à Paris, où déjà la renommée, cette mensongère déesse, avait répandu sur sa personne et sur sa doctrine les versions les plus opposées les uns l’admiraient sur parole et l’attendaient avec la plus vive impatience; les autres, abusés par des récits calomnieux, l’avaient jugé avant de l’entendre et 11e le considéraient que comme un habile charlatan. D’une part, on le peignait comme victime de l’intrigue; de l’autre, comme un homme dangereux qu’un ordre supérieur forçait à quitter sa patrie. Mais au milieu de ces bruits contradictoires, la foule de consultants qui l’assaillirent à son début lui fit bientôt espérer que, s’il n’avait point le bonheur de faire accepter sa découverte par les savants de notre capitale, une immense et rapide fortune le dédommagerait de cet échec. — L’événement, à cet égard, réalisa ses prévisions. La cour et la ville, en quelques mois, affluèrent à ses traitements, où le fluide universel se vendait au poids de l’or-, mais il ne reçut pas le même accueil des membres de la Faculté. 1 Consultez, pour plus de détails, la spirituelle brochure de M. Mialle ayant pour titre Rapport confidentiel du R. P. Sco- bardi à la société de VIndex sur le Magnétisme animal ; traduit de l’italien par le soi-disant docteur Ch. B***. Chez Baillère. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 139 Cependant, le dii’ecteur de l’Académie des Sciences, le Roi, avant assisté, chez Mesmer, à plusieurs expé- riencesqu’il observa avec assezd’attention pour s’assurer de leur réalité, parut prendre intérêt à la nouvelle découverte, et proposa sa médiation auprès de sa compagnie. Mesmer accepta cette proposition, remit à le Roi un exposé sommaire de son système et convint d’un jour où il se rendrait à l’Académie pour entendre le rapport. Mesmer fut exact au rendez-vous. Mais, hélas! cette seule séance dut suffire pour lui prouver que, si le bon peuple de Paris s’engouait facilement des nouveautés et accueillait avec enthousiasme toute réputation étrangère, il n’en était pas de même des académies, qui, dans tous les pays du monde, ont les mêmes préjugés. Je ne saurais, dit M. de Lausane, donner une qualification convenable à la conduite de la société l’Académie des Sciences; elle ne voulut pas souffrir qu’on abordât la question.• Lorsqu’un corps établi pour les progrès des sciences se comporte d’une ma- nière aussi injurieuse et compromet ainsi la nation qu’il représente, que ne peuvent se permettre les particuliers qui ne doivent compte à personne de leurs opinions! L’Académie pouvait croire Mesmer dans l’erreur; mais cette erreur n’était point de celles qu’on méprise ; la signaler, la réfuter, en prouver les conséquences dangereuses était alors son devoir 1 .» — Qu’eussiez-vous dit, monsieur de Lausane, de ce qui s’est passé depuis ! Mais revenons à Mesmer. ' Annales du Magnétisme animal, n° 3 , p. 99. 140 QUATRIÈME LEÇON. On devine qu’il se retira peu satisfait de sa démarche. Quelques jours après, néanmoins, il vit plusieurs membres de l’Académie, se plaignit amèrement et reçut d’eux ces excuses légères que la politesse française sait toujours rendre sans réplique. 11 fit encore en leur présence plusieurs expériences qui les convainquirent ; mais tous avouèrent ingénument que la crainte de se faire moquer d’eux les empêcherait de rendre compte à l’Académie de ce qu’ils avaient vu. — Oh! que voilà bien notre pays, où le ridicule s’attache comme une lèpre dévorante à toutes les innovations sérieuses. — A la fin, pourtant, MM. les savants proposèrent à Mesmer de se charger du traitement de quelques malades dont la guérison, dirent-ils, attesterait la vérité de sa découverte d’une manière victorieuse. — La faculté de médecine, en effet, n’avait point encore à cette époque déclaré judicieusement que les guérisons ne prouvaient rien. Mesmer accepta, et, après avoir fait constater, par des médecins de la Faculté, l’état des malades qu’on lui désigna, il se retira avec eux au village de Creteil, à deux lieues de Paris, et ne s’occupa plus qu’à leur donner ses soins. Enfin il envoya quatre mois après la lettre suivante à l’Académie A M. le Roi, directeur de VAcadémie des Sciences de Paris. Creteil, 22 août 1778. J’ai eu l’honneur, monsieur, de vous entretenir plusieurs fois à Paris, en votre qualité de directeur MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 141 a de l’Académie, du Magnétisme animal. Quelques- uns de MM. vos confrères ont eu aussi des confé- renccs avec moi sur ce principe. Son existence vous a paru sensible par les épreuves que j’ai faites sous vos yeux et sous les leurs. Je vous ai remis mes propo- sitions sommaires pour être communiquées à l’Aca- démie; j’ai aussi laissé à M. le comte de Maillebois un Mémoire relatif. Vous m’avez paru l’un et l’autre désirer, qu’aux preuves de l’existence, je joignisse celle de l’utilité; j’ai entrepris, en conséquence, le traitement de plusieurs malades qui ont bien voulu, pour cet effet, se rendre au village de Créteil, que j’babite depuis quatre mois. Quoique j’ignore encore, monsieur, la façon de penser de l’Académie sur mes propositions', je m’empresse de l’inviter, par votre médiation, et vous- même aussi, particulièrement, monsieur, à constater l’utilité du Magnétisme animal appliqué aux maie ladies les plus invétérées, leur traitement devant finir avec ce mois. J’ose espérer que vous voudrez bien me transmettre les intentions de l’Académie, en m’indiquant le jour et l’heure où ses députés seront disposés à m’honorer de leur visite, afin que je me mette en état de les recevoir. C’est avec des sentiments de la plus profonde con- sidération que j’ai l’honneur d’être, monsieur, etc. » L'Académie ne jugea pas à propos de répondre! Voilà donc avec quelle attention, avec quelle im- ’ Ces propositions sont rapportées plus loin. 142 QUATRIÈME LEÇON. partialité, avec quelle justice le magnétisme fut jugé dans l’origine, et c’est ainsi qu’il l’a toujours été. Mesmer, découragé, était sur le point de quitter Paris lorsqu’un heureux hasard lui fit connaître d’Eslon, professeur influent à la faculté de médecine et premier médecin du comte d’Artois. Frappé de quelques faits singuliers qui se passèrent sous ses yeux, d’Eslon, observateur judicieux et sincère, ne tarda point à s’avouer convaincu de la réalité d’un principe dont ne daignait plus s’occuper l’Académie des Sciences. Sans s’attacher, comme ses confrères, à rechercher follement l’agent opérateur de merveilles qu’il importait bien plus de constater que d’expliquer, d’Eslon rendit hautement témoignage de ce qu’il avait vu, et dit à qui voulut l’entendre que Mesmer était possesseur du secret le plus précieux. D’Eslon fit plus encore, il offrit à Mesmer sa médiation auprès de la Faculté, et le décida à rédiger un Mémoire sur sa découverte h Lorsque ce Mémoire fut terminé, d’Eslon réunit chez lui douze de ses confrères à dîner pour entendre la lecture du manuscrit. On se rendit fidèlement à ce rendez-vous scientifique. La lecture eut lieu au dessert, et Mesmer y joignit la proposition de faire dans un hôpital les expériences les plus propres à vider la question. Cette proposition fut acceptée.... Le moyen de s’en défendre chez son amphitryon ! Mais ou ne dîne point à l’hôpital, et, lorsqu’il s’agit de l’exécution, d’Eslon ne parvint plus à rassembler ses convives. Cependant, le Mémoire imprimé, Mesmer crut de 1 Mémoire sur la decouverte du Magnet. animal, par Mesmer. Paris, 1779. MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 143 son devoir d’en adresser un exemplaire au doyen de la Faculté. Mais M. le Vacher de la Feutrie était apparemment aussi dénué de politesse que de loyauté scientifique; car, non content de ne pas communiquer l’ouvrage à ses collègues, il ne fit pas même à l’auteur l’honneur de lui répondre. En vérité, lorsqu’on lit ces détails, on peut encore soupçonner Mesmer d’intrigue et de cupidité, mais on ne peut s’empêcher d’admirer sa patience. Au reste, nous avons nous-même eu besoin, à cet égard , de profiter de ses leçons et d’apprendre de lui à ne pas plus nous déconcerter des quolibets des sots que de la morgue insolente de certains beaux esprits. Enfin, en désespoir de cause, Mesmer pensa qu’il fallait se restreindre, et se contenter de convaincre trois à quatre médecins, assez amis de la vérité pour la professer hautement dès qu’ils l’auraient reconnue. MM. Bertrand, Maloet et Sollier de la Rominais lui furent donc à cet effet présentés par d’Eslon. Pauvre d’Eslon ! que n’aviez-vous en main la lanterne de Diogène? peut-être qu’avec son aide vous eussiez mieux choisi, car Dieu sait comment se comportèrent ces amis de la vérité. Le premier sujet qu’on leur présenta fut un paralytique, auquel huit jours d’un traitement magnétique rendirent la chaleur et la sensibilité, complètement éteintes dans les membres inférieurs. — Chaleur et sensibilité, dirent nos trois médecins, peuvent êtres dues à la seule nature. Une jeune fille était encore dans un état plus triste que le paralytique. La scrofule, celte horrible affection 144 QUATRIÈME LEÇON, que guérissaient jadis nos rois, mais que les médecins ne guérissent point malgré la découverte de l’iode, la scrofule avait couvert son corps de tumeurs ulcérées. La maladie avait envahi les paupières et la conjonctive un des yeux même s’était fondu, changé en une plaie hideuse, et l’infortunée n’y voyait plus de celui qui lui restait. — Or, après six semaines de traitement, cette fille avait repris de l’embonpoint, elle y voyait parfaitement de son œil éclairci, et la plupart des plaies s’étaient cicatrisées. — Mais à cet âge, objectèrent nos docteurs, la nature est si puissante! = La nature, hommes sans foi, aurait pu leur dire Mesmer, pourquoi donc vous sert-elle si mal lorsque vous prétendez lui venir en aide? Enfin, plusieurs cures analogues à celles que je viens de citer, et qui faisaient dans le public la plus grande sensation, ne parurent rien prouver à ces messieurs, que la résurrection de Lazare n’eût sans doute pas convaincus. Ce ne fut pourtant qu’a près sept mois entiers de scènes fatigantes et insipides la sottise a quelquefois la persistance du génie que d’EsIon, à la prière de Mesmer dont la patience était à bout, les congédia eu les remerciant de leur louable assistance. Cependant, à cette époque, d’Eslon s’occupa à rédiger ses observations sur le magnétisme ', et son livre n’avait pas encore paru qu’il était déjà la proie des libellâtes de haut et bas étage. Un M. Dehorne, entre autres, instruit apparemment de cette prochaine publication, fit paraître, peu de 1 Observations sur le Magnétisme animal, par M. d’Eslon. Paris, 1780. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 145 jours auparavant, une brochure intitulée Réponse d’un médecin de Paris à un médecin de province sur le prétendu magnétisme animal. Cet ouvrage était absurde et ne pouvait manquer de l’être ; l’auteur n’avait aucune idée de la chose dont il parlait. — Que de gens, depuis ont suivi sa méthode ! La France est la terre classique des opinions préconçues. — Enfin l’ouvrage de d’Eslon parut, et la Faculté, indignée qu’un de ses membres, un de ses docteurs- régents eût osé prendre publiquement la défense du magnétisme, s’assembla, et, comme vous verrez, lança ses foudres sur l’imprudent qui avait préféré la vérité à Platon... je me trompe, à l’esprit de corps. — Une circonstance solennelle devait être bientôt pour elle l’occasion d’éclater. Mesmer, sentant la nécessité de rendre le public juge de sa conduite, rédigea plusieurs propositions qu’il pria d’Eslon, devenu son ami intime, de communiquer à la Faculté. Voici le texte de ces propositions, qui forment une pièce importante dans l’histoire moderne du magnétisme La découverte du magnétisme animal a donné lieu à l'impression d’un Mémoire dans lequel il est avancé que la nature offre un moyen universel de guérir et de préserver les hommes; qu’avec cette connaissance, le médecin jugera sûrement l’origine, la nature et les progrès des maladies, même les plus compliquées; qu’il en empêchera l’accroissement et parviendra à leur guérison sans jamais exposer le malade à des effets dangereux ou à des suites fâcheuses, quel que soit l’âge, le tempérament et le sexe. 10 146 QUATRIÈME LEÇON. Ce système, en opposition à toutes les idées reçues, a passé pour illusoire. L’auteur de la découverte s’y attendait; mais il n’a pas tardé à justifier le raisonnement par le fait. II a entrepris, aux yeux de tout Paris., un nombre considérable de traitements. Les soulagements procurés et les cures opérées par le magnétisme animai,, ont invinciblement prouvé la vérité des assertions avancées. Néanmoins, il faut observer que les expériences faites jusqu’à ce jour ont dépendu de tant de volontés diverses, que la plupart n’ont pu être portées au point de perfection dont elles étaient susceptibles ; car, si quelques malades ont suivi leurs traitements avec la constance et l’assiduité nécessaires, il en est un grand nombre qui les ont sacrifiés à des convenances étrangères. Si l’auteur ne visait qu’à la célébrité, il suivrait constamment la même marche ; mais l’espoir d’être plus généralement utile lui en prescrit une autre. Il a pour but de convaincre le gouvernement; mais le gouvernement ne peut raisonnablement statuer, en pareilles matières, qu’à l’aide des savants. S’il est en Europe un corps qui, sans présomption, puisse se flatter d’une prépondérance non récusable dans l’objet dont il est question, c’est sans doute i,a Faculté de Médecine de Paris. S’adresser par son entremise au gouvernement est donc la preuve la plus formelle de la sincérité de l’auteur et de l’honnêteté de ses vues. En conséquence, il propose à la Faculté de prendre, MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 147 d’un commun accord, et sous les auspices formels du gouvernement, les moyens les plus décisifs de constater Futilité de sa découverte. Rien ne paraîtrait mener plus directement à ce but que Fessai comparatif de la méthode nouvelle avec les méthodes anciennes. L’administration des remèdes usités ne pouvant être en meilleures mains qu’en celles de la Faculté, il est évident que, si la méthode nouvelle obtenait l’avantage sur l’ancienne, les preuves en sa faveur seraient des plus positives. Voici quelques-uns des arrangements qui pourraient être pris à cet égard. Il est inutile de dire que, de part et d’autre, on doit conserver la plus grande liberté d’opinions et une autorité égale sur les malades soumis à chaque traitement i° Solliciter l’intervention du gouvernement; mais comme il est aisé de sentir que la demande d’un corps tel que la Faculté doit avoir plus de poids que celle d’un particulier, il serait à propos qu’avant tout la Faculté se chargeât de cette négociation. a° Faire choix de vingt-quatre malades, dont douze seraient réservés par la Faculté pour être traités par les méthodes ordinaires ; les douze autres seraient remis à l’auteur, qui les traiterait suivant sa méthode particulière. 3° L’auteur exclut de ce choix toute maladie vénérienne. 4° Il serait préalablement dressé procès-verbal de l’état de chaque malade; chaque procès-verbal serait signé tant par les commissaires de la Faculté que par 148 QUATRIÈME LEÇON', l’auteur et par les personnes proposées par le gouvernement. 5“ Le choix des malades serait fait parla Faculté, ou par la Faculté et l’auteur réunis. a 6° Pour éviter toutes discussions ultérieures et toutes les exceptions que l’on pourrait faire d’après la différence d’âge, de tempéraments, de maladies, de leurs symptômes, etc., la répartition des malades se ferait par la voie du sort. 7 ° La forme de chaque examen comparatif des maladies et de leurs époques serait fixée d’avance, afin que, par la suite, il ne pût s’élever aucune discussion raisonnable sur les progrès obtenus par l’une ou l’autre de ces méthodes. 8 ° La méthode de l’auteur exigeant peu de frais, il ne demanderait aucune récompense de ses soins; mais il paraîtrait naturel que le gouvernement prît sur lui les dépenses relatives à l’entretien des vingt-quatre malades. 9 0 Les personnes préposées par le gouvernement assisteraient à chaque examen comparatif des malades, et en signeraient les procès-verbaux; mais comme il est essentiel d’éviter, de la part du public, toutes les inculpations d’intelligence ou de connivence, il serait indispensable que les préposés du gouvernement ne fussent pris dans aucun corps de médecine. L’auteur se flatte que la faculté de médecine de Paris ne verra dans les propositions ci-dessus qu’un juste hommage rendu à ses lumières, et l’ambition de faire prospérer, par les soins d’un corps cher à la nation, la vérité qui peut lui être la plus avantageuse. » Telles étaient les propositions rédigées par Mesmer. MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 149 J’avoue qu’au premier abord elles peuvent sembler téméraires. N’était-ce pas étrange, en effet, qu’un simple particulier,qu’un étranger,qu’un médecin deVienne, conçût la prétention d’imposer des conditions à la faculté de médecine de Paris, et de traiter de puissance à puissance avec le premier corps médical du monde? Mais si l’on considère que Mesmer, à cette époque, jouissait déjà d’une immense réputation, si l’on tient compte de l’adhésion publique donnée à sa doctrine par une foule de notabilités scientifiques, littéraires, artistiques, nobiliaires, et qui plus est médicales, on conviendra que cette doctrine, abstraction faite de son auteur , méritait quelque attention; et comme, d’un autre côté, il ne paraissait exister aucun autre moyen de constater avec impartialité les effets thérapeutiques de la méthode de Mesmer que d’accepter ses propositions, la dignité même de la Faculté semblait lui faire un devoir d’y souscrire. Mais l’illustre corps' médical comprit autrement sa mission. D’Eslon, d’après les statuts, ne pouvait présenter que dans une assemblée générale les propositions de Mesmer. Il alla donc trouver à cet effet M. le Vacher de la Feutrie, alors doyen en charge, et le pria de convoquer cette assemblée. M. le Vacher, qui avait de l’amitié pour d’Eslon, fut alarmé de sa demande, et lui représenta tous les dangers qu’il encourait en se prononçant aussi ouvertement pour un système condamné d’avance. Néanmoins, comme d’Eslon insista, l’assemblée, après de nombreux délais, fut enfin accordée pour le 18 septembre 1780, jour fatal ou la Faculté de 150 QUATRIÈME LEÇON. Paris devait se déshonorer par un de ces arrêts à la fois stupides et ridicules dont les annales de l’inquisition fournissent seules des exemples. Mais il faut que vous sachiez d’abord que, pendant que d’Eslon, n’écoutant que la voix de l’honneur et de la conviction, se dévouait pour le magnétisme par une démarche dont il ne se dissimulait point le péril, un de ses ennemis personnels, M. Roussel de Vauzesmes, lancé contre le magnétisme par les détracteurs de Mesmer, sollicitait aussi, de son côté, une assemblée générale, pour dénoncer à la Faculté la conduite et le livre de d’Eslon. Or,par suite d’une combinaison absurde ou ignoble, l’assemblée qu’il demandait lui fut accordée, comme à d’Eslon, pour le 18 septembre!....'—N’est-ce pas qu’elles sont hideuses ces basses intrigues de l’envie dans les hautes régions delà science? N’est-ce pas qu’il y avait bien de la sottise ou de la lâcheté à mettre ainsi en présence des opinions encore plus passionnées que contradictoires, afin d’avoir à opposer l’emportement et l’outrecuidance d’un jeune homme à la noble et grave conviction d’un savant?—Enfin lejour de cette fameuse assembleé arriva, et sans connaître encore quelles pouvaient être les propositions dont d’Eslon était chargé, M. de "Vauzesmes se leva le premier et, demandant la parole, commença en ces termes De tous temps, il a existé des gens à secret, posses- seurs de recettes miraculeuses pour la guérison des maladies; et le public, ignorant en médecine, a toute jours été la dupe des vaines promesses de ces aventu- riers. Ils n’établissent nulle part une demeure fixe, car leurs manœuvres sont bientôt mises au grand MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 151 jour; et ce même public, honteux d’avoir été grossière rement séduit, les traite ensuite avec l’indignation qu’ils ont justement encourue. Mais, par une faiblesse attachée à l’humanité, qui ne cesse de courir après l’erreur, s’il vient encore à paraître sur la scène un nouveau charlatan, il attire bien vite les regards de la multitude. Ainsi, M. Mesmer, après avoir fait pendant assez longtemps beaucoup de bruit à Vienne en Aller triche; après avoir été, comme c’est la coutume, dé- masqué et ridiculisé, est venu établir son théâtre dans cette capitale, où, depuis près de trois ans, il donne des représentations le plus tranquillement du monde, re Tous les médecins qui exercent ici noblement leur profession se contentaient de le mépriser, et certai- nement son règne aurait été de courte durée, si M. d’Eslon, un de nos confrères, ne s’était point donné ouvertement comme son procureur, son prôneur et son satellite; et le titre de docteur-régent de cette Face culte,dont M. d’Eslon est revêtu, n’a pas peu contri- cc hué à donner au jongleur allemand une espèce de célébrité momentanée à laquelle il ne devait pas s’at- cc tendre... » Voilà dans quels termes M. de Vauzesmes, un jeune homme, je le répète, attaquait une découverte que sanctifiaient déjà les plus grands noms de l’époque, et dont il n’avait pas la moindre idée. Que de vaniteuses médiocrités, qui ne veulent rien voir ou qui ne savent rien comprendre, ont depuis soixante ans rhabillé contre nous les lieux communs qu’il débitait. — Charlatans! charlatans!... Voilà votre grand mot, votre cheval de bataille, votre argument sans réplique, n’est-ce pas, mes 152 QUATRIÈME LEÇON, illustres confrères en médecine, vous autres, hauts barons d’une science à laquelle vous ne croyez soyons francs entre nous guère plus qu’au magnétisme. — Mais j’oublie qu’il ne s’agit que de Mesmer et de d’Eslon, et que je ne suis point en cause. M. de Yauzesmes poursuivit sur le même ton pendant une demi-heure, injuriant au lieu de discuter, et se contentant de nier les cures rapportées dans l’ouvrage de d’Eslon pour s’éviter l’embarras d’en expliquer la cause ; ce fut ainsi qu’il termina J’aurai rempli la tâche que je me suis imposée, si j’ai pu, messieurs, vous prouver les manœuvres de M. Mesmer, l’association scandaleuse de M. d’Eslon avec les charlatans. Si je vous ai fait voir qu’il avait injurié les corps littéraires et spécialement celte Fa- culte ; enfin, si j’ai démontré le ridicule, le faux de ses principes, l’absurdité, l’impossibilité, la fausseté des cures qu’il vous présente à examiner, j’attaque seule- ment sa ridicule et très-dangereuse doctrine 1 que je regarde comme ennemie du bien public, et qui cora- promet cette compagnie, puisque c’est comme doeteur- régent de cette Faculté qu’il la soutient, cette doctrine. Je laisse à votre jugement, messieurs, à décider sur l’ouvrage de M. d’Eslon, car, je le répète, je n’en veux point à sa personne 2 . » 1 Très-dangereuse doctrine !.... » Où donc était le danger si le magnétisme n’était rien? — La passion et la logique sont choses contradictoires. 8 Je n’en veux point à sa personne. » — Après les grossières injures qui venaient de lui échapper, M. de Yauzesmes avait besoin de faire cette déclaration; son auditoire aurait assurément supposé le qon* traire. 1 53 MESMER ET TES CORPS SAVANTS. Il faut bien croire que le mépris donne quelquefois du cahne et de la résignation, car d’Eslon eut la patience d’écouter jusqu’au bout les diatribes et les outrages de son antagoniste. A son tour, il prit la parole, et, par un discours aussi sage que digne, il essaya de provoquer une conciliation, en ménageant habilement l’amour-propre de. ses collègues. Enfin, il donna lecture des fameuses propositions;et, après avoir déposé son manuscrit sur le barreau, il sortit pour laisser délibérer. Lorsqu’il rentra, le doyen lui lut un décret portant la délibération singulière que voici a “Injonction d’être plus circonspect à l’avenir; a° Suspension pendant un an de voix délibérative dans les assemblées de la Faculté; 3° Radiation, à l’expiration de l’année, du tableau des médecins de la Faculté, s’il n’avait pas à cette époque désavoué ses observations sur le magnétisme animal; 4° Les propositions de Mesmer rejetées. Ceci se passait, je vous l’ai dit, le 18 septembre 1780, non pas au Divan, non pas au conseil des Dix, non pas au tribunal de l’Inquisition, mais au sein d’un des plus célèbres corps savants de l’Europe, à la faculté de Médecine de Paris! — Vus de près, les hommes sont, j’en conviens, quelquefois bien repoussants ; mais, vus de loin , ils font pitié ! Cependant la décision de la Faculté n’eut pas, à beaucoup près, le succès qu’on s’en était promis. O11 ne vit, dans cette décision, qu’un acte de révoltante partialité; et les propositions de Mesmer, insérées dans le Journal de Paris , firent dans l’opinion publique une 154 QUATRIÈME LEÇON, véritable révolution. Le moyen, en effet, de ne voir qu’un charlatan vulgaire dans un homme qui présentait tous les moyens de vérifier sa découverte et d’en constater l’utilité? Le charlatanisme craint le grand jour, et ce n’est qu’en opérant dans l’ombre qu’ abuser un instant les hommes inattentifs. Néanmoins, comme vous le pensez bien, la conduite de laFaculté fut sensible à Mesmer, et sans les instances de ses nombreux amis et de seswalades, plus nombreux encore, il quittait immédiatement Paris. Enfin, il se décida à s’adresser directement au gouvernement, et ce fut encore d’EsIon qui, bravant de nouveaux anathèmes, se chargea d’entamer cette dernière négociation. Sur ces entrefaites, M. de Lassonne, premier médecin du roi, déclara, de manière à ne pouvoir plus se rétracter, qu’il était entièrement convaincu de l’existence et de l’utilité du magnétisme animal. Heureux d’un appui sur lequel ils n’avaient pas compté, Mesmer et d’EsIon s’adressèrent aussitôt à ce médecin et lui soumirent leurs intentions. Dans le Mémoire que d’EsIon lui remit, Mesmer demandait des commissaires, non pour examiner ses procédés, mais pour prendre connaissance des faits et en rendre compte. M. de Lassonne, qui paraissait d’abord tout approuver, indiqua MM. d’Angevilliers, Saron, de Montigny, d’Aubenton, Bâcher, Grandelas, Lorry et Mauduyt, tous membres de l’Académie ou de la Faculté. Cette affaire, qui ne semblait plus admettre aucune difficulté, se termina pourtant d’une façon singulière. Après maints délais inexplicables, d’EsIon, pressant MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 155 M. de Lassonne d’arriver à une conclusion, celui-ci lui répondit enfin que les commissaires désignés ayant trouvé la commission inadmissible, il s’agissait de pourvoir à de nouveaux arrangements. Cette solution n’était pas claire; et Mesmer ayant eu la curiosité de pénétrer les véritables motifs de ces juges réfractaires, apprit bientôt, à sa grande surprise, qu’aucun des prétendus commissaires n’avait été prévenu. — Était-ce donc le démon ou encore les jésuites qui avaient menti par la bouche de M. de Lassonne? — Je ne sais, mais le plus patient des saints eut perdu , à pareil jeu, sa place au paradis, et Mesmer, poussé à bout par tant de lâchetés et de trahisons, signifia enfin à ses malades que, devant quitter la France, il finirait ses traitements le 1 5 avril suivant 1 y8 i . Cettenouvelle effrayatousceux qui avaient perdu confiance en la médecine ordinaire. Le nombre en était grand, dit M, de Lausane, et parmi eux étaient tant de gens de distinction que leurs alarmes pénétrèrentbientôt jusqu’au pied du trône. La reine ne dédaigna pas de se mêler de cette affaire; elle fit dire à Mesmer qu’elle trouvait de l’inhumanité dans l’abandon de ses malades, et qu’il ne devait pas quitter la France de cette manière. Mesmer répondit que son long séjour en France ne pouvait laisser aucun doute sur le désir qu’il avait de la préférer à tous les autres États, excepté à sa patrie ; mais que, désespérant de voir une conclusion à l’affaire importante qui l’y avait conduit, il s’était décidé à profiter de la saison nouvelle pour faire des opérations, qu’à son grand regret il différait depuis longtemps; et que, d’ailleurs, il suppliaitSa Majesté d’examiner qu’il y avait, 156 QUATH1ÈME LEÇON, jusqu’au i 5 avril, assez de temps pour prendre une détermination, si la nécessité d’en prendre une était parfaitement reconnue. » Quelques jours après, une personne de la cour, suffisamment autorisée, fit prier Mesmer et d’Eslon de venir s’entendre avec elle ; et, après bien des débats, Mesmer consentit à signer les propositions suivantes, à l’instant même rédigées Il est proposé Que le gouvernement nomme cinq commissaires, dont deux seulement médecins, les trois autre§ g€n§ instruits, pour prendre les derniers renseignements que l’on juge nécessaires, dans l’objet de ne laisser aucun doute sur l’existence et l’utilité de la découverte du magnétisme animal; Que les commissaires examinent un nombre déterminé de malades traités par M. Mesmer, lesquels malades seront indifféremment choisis dans ceux qui suivent encore les traitements par le magnétisme animal, ou dans ceux qui ne les suivent plus; Que cet examen porte sur la suite des procédés de M. Mesmer. — Voici à peu près les questions que pourront faire les commissaires aux malades 1° Quel était leur état avant d’être soumis au magnétisme animal? — Les consultations et attestations des médecins de Paris ou autres pourraient être demandées à l’appui; 2° Quels effets ils ont sentis pendant leur traitement, et quelle a été la marche de ces effets; — Si l’on interrogeait quelques malades actuellement entre les mains de M. Mesmer on examinerait les effets nuisibles, tels 157 MESMER ET LES COUPS SAVANTS, que l’embonpoint, les bouffissures, obstructions devenues sensibles, etc.; 3 ° S’ils ont pris des médicaments pendant le traitement par le magnétisme animal? 4 ° Dans quel état était leur santé lorsqu’ils ont quitté M. Mesmer? Que si le rapport des commissaires est favorable à la découverte, le gouvernement reconnaîtra, par une lettre ministérielle i° Que M. Mesmer a fait une découverte utile; 2° Que, pour récompenser M. Mesmer, et l’engager à établir et propager sa doctrine en France, le roi lui donnera, en toute propriété, un emplacement qui puisse lui convenir pour y traiter le plus avantageusement possible des malades et communiquer ses connaissances aux médecins; 3 ° Que, pour fixer M. Mesmer en France et reconnaître ses services, il lui sera accordé une pension viagère de 20,000 livres; Que Sa Majesté exige de M. Mesmer qu’il reste en France jusqu’à ce qu’il ait suffisamment établi sa doctrine et ses principes, et qu’il ne puisse la quitter qu’avec la permission du roi. Il est encore proposé Que M. Mesmer jouisse des avantages qui lui seront accordés dès le moment que le gouvernement aura reconnu l’utilité de la découverte; Que le roi nomme une personne pour présider et veillera l’établissement fait par M. Mesmer. J’ai accepté ces propositions, purement et simplement, mais à la condition expresse quelles seront exé- 158 QUATRIÈME LEÇON, cutées pour le quinzième jour d’avril prochain, époque à laquelle je ne serai plus engagé à rien , si les propositions ci-dessus n’ont pas été réalisées. A Paris , le 1 4 mars 1781. u Signé Mesmer. » Voilà donc Mesmer, l’inconnu, comme 011 disait, l’aventurier, le charlatan, qui traite d’égal à égal avec le roi Louis XVI et daigne à peine accepter, comme choses dues à son mérite, les plus exorbitantes faveurs dont jamais ne se vit combler aucun savant français. Cette transaction, dispendieuse fantaisie d’une reine, qui, dans ses largesses envers Mesmer, fêtait plutôt son compatriote qu’elle ne récompensait le novateur, cette transaction, dis-je, me paraît un des actes caractéristiques de ce gouvernement frivole, qui ne pouvait manquer de s’abîmer dans une révolution. Sans doute, entre Mesmer et les corps savants, il était licite au gouvernement d’intervenir. Il était même de son devoir de réclamer officiellement, des académies, l’examen régulier d’une découverte qui obtenait de la part du public une adhésion presque générale ; mais en érigeant un piédestal à Mesmer, sans un rapport préalable sur le magnétisme, l’envie qu’on excitait contre sa personne se changeait en préventions contre sa découverte, et je suis persuadé que rien ne fut plus fatal à la nouvelle doctrine que la protection irréfléchie de Marie-Antoinette. Au surplus, le gouvernement, qui, procédant toujours à l’aventure, oubliait souvent le lendemain ses engage- MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 159 inents de la veille, agit alors avec Mesmer comme il lit plus tard avec la nation ses propositions n’eurent pas de suite. Le 28 mars, M. de Maurepas fît appeler Mesmer, lui annonça que le roi voulait bien le dispenser d’être examiné par des commissaires, et lui accordait une pension de 20,000 livres; qu’il lui paiei’ait, en outre, un loyer de 10,000 livres pour la maison que lui, Mesmer, reconnaîtrait propre à former des élèves ; qu’au nombre de ses élèves, dont le choix dépendrait de Mesmer, s’en trouveraient trois du gouvernement, et qu’on lui accorderait de nouvelles grâces lorsque les élèves du gouvernement auraient reconnu l’utilité de sa découverte. Mesmer refusa! Il eut tort, dit M. de Lausane, car, ces propositions acceptées, le magnétisme animal eût triomphé sans aucun doute h Il eut raison, et voici pourquoi Les offres qui me sont faites, dit-il, me semblent pécher, en ce qu’elles présentent mon intérêt pécunier, et non l’importance de ma découverte, comme l’objet principal. La question doit être absolument envisagée en sens contraire, car, sans ma découverte, ma personne n’est rien. J’ai toujours agi conformément à ces principes, en sollicitant l’accueil de ma découverte, jamais celui de ma personne. Si l’on n’y croit point, à cette découverte, 1 Annales du Magnétisme animal, t. I, p. 249. 160 QUATRIÈME LEÇON', on a évidemment le plus grand tort de m’eu offrir 3o,ooo livres de rente; si l’on y croit, le sort de l’humanité ne doit point être sacrifié à l’amour-propre de quelques savants, ni à la crainte de faire quelques dépenses indispensables. a Puisque l’on s’est élevé au-dessus des formes usitées, il me paraît incompréhensible, ou tout au moins contradictoire, de penser à me faire juger par mes élèves; cette clause, d’ailleurs, est rigoureusement inadmissible peut-on prévoir quels intérêts dicteront leur jugement? Que deviendrait, par exemple, la vérité, si l’on me donne pour élèves, commissaires et juges, MM. Maloet et Sollier 1 ? Quoique je me sois exposé patiemment, pendant quinze années consécutives, à la dérision publique, je n’en suis pas plus disposé à signer ma honte ; et je regarderais comme très-avilissante pour moi, si elle était fondée, la supposition que je pourrais accepter 20 , 3o, 4o et même ioo mille livres de rente pour une vérité qu’au fond du cœur je saurais ne pas exister, etc. » Que d’orgueil! se sont maintes fois écriés, à propos de ce refus, certains savants faméliques pour qui les sentiments élevés sont aussi inaccessibles que les vérités nouvelles; que d’orgueil pour un charlatan! — Oui, certes, messeigneurs, noble orgueil 2 s’il en fut; mais * Il y a plus de dépit que de logique dans ces dernières objections de Mesmer, puisqu’aux ternies des conditions qui lui étaient offertes il devait rester libre de choisir ses élèves. 2 Pourquoi faut-il que la conduite ultérieure de Mesmer lasse suspecter son désintéressement dans cette circonstance! MESMEIt ET TES COUPS SAVANTS. 161 cet orgueil-là vous ne l’aurez jamais et vous ne sauriez le comprendre. M. de Maurepas combattit de son mieux les raisons de Mesmer; mais ce dernier fut inébranlable. La lettre suivante , que de retour chez lui il écrivit à la reine, renferme d’ailleurs l’explication plus détaillée de sa conduite, et ses véritables intentions Madame, Je n’aurais dû éprouver que les mouvements de la satisfaction la plus pure, en apprenant que Votre Majesté daignait arrêter ses regards sur moi; et cependant ma situation pèse douloureusement sur mon cœur. On a précédemment peint à Votre Majesté le projet que j’avais de quitter la France comme contraire à l’humanité, en ce que j’abandonnais des malades à qui mes soins étaient encore nécessaires. Aujourd’hui je ne doute point qu’on n’attribue à des motifs intéressés mon refus indispensable des conditions qui m’ont été offertes au nom de Votre Majesté. Je n’agis, madame, ni par inhumanité, ni par avidité. J’ose espérer que Votre Majesté me permettra d’en placer les preuves sous ses yeux; avant toute chose, je dois me rappeler qu’elle me blâme ; et mon premier soin doit être de faire parler ma respectueuse soumission pour ses moindres désirs. Dans cette vue,uniquement par respect pour Votre Majesté, je lui offre l’assurance de prolonger mon séjour en France jusqu’au 18 septembre prochain, et d’y continuer jusqu’à cette époque mes soins à ceux de mes malades qui me continueront leur confiance. Il 162 QUATRIÈME LEÇON. Je supplie instamment Votre Majesté de considérer que cette offre doit être à l’abri de toute considération recherchée... C’est à Votre Majesté que j’ai l’honneur de la faire ; mais indépendante de toutes grâces, de toutes faveurs, de toute espérance autre que celle de jouir, à l’abri de la puissance de Votre Majesté, de la tranquillité et de la sûreté méritées qui m’ont été accordées dans ses Etals depuis que j’y fais mon séjour; c’est enfin, madame, en déclarant à Votre Majesté que je renonce à tout espoir d’arrangement avec le gouvernement français, que je la supplie d’agréer le témoignage de la plus humble, de la plus respectueuse et de la plus désintéressée des défenses. Jecherche,madame,un gouvernement qui aperçoive la nécessité de ne pas laisser introduire légèrement dans le monde une vérité qui, par son influence sur le physique des hommes, peut opérer des changements que, dès leur naissance, la sagesse et le pouvoir doivent contenir et diriger dans un cours et vers un but salutaires. JjCS conditions qui m’ont été proposées au nom de Votre Majesté ne remplissant pas ces vues, l’austérité de mes principes me défendait impérieusement de les accepter. Dans une cause qui intéresse l’humanité au premier chef, l’argent ne doit être qu’une considération secondaire. Aux yeux de Votre Majesté, quatre ou cinq cent mille francs de plus ou de moins employés à propos ne sont rien le bonheur des peuples est tout. Ma découverte doit être accueillie, et moi récompensé avec une munificence digne du monarque auquel je m’attacherai. Ce qui doit me disculper sans réplique de toute fausse interprétation à cet égard, c’est que depuis mon séjour MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 163 dans vos Etats je n’ai tyrannisé aucun de vos sujets. Depuis trois ans, je reçois chaque jour des offres pécuniaires; à peine mon temps suffit à les lire, et je puis dire que, sans compter, j’en ai brûlé pour des sommes considérables. Mamarche dans les États de Votre Majesté a toujours été uniforme; ce n’est assurément ni par cupidité, ni par amour d’une vaine gloire que je me suis exposé au ridicule prétexte dont votre Académie des sciences, votre Société royale et votre faculté de médecine de Paris ont prétendu me couvrir tour à tour. Lorsque je l’ai fait, c’était parce que je croyais devoir le faire. Après leur refus, je me suis cru au point que le gouvernement devait me regarder de ses propres yeux. Trompé dans mon attente, je me suis déterminé à chercher ailleurs ce que je ne pouvais plus raisonnablement espérer ici, Je me suis arrangé pour quitter la France dans le mois d’avril prochain ; c’est ce qu’on appelle inhumanité, comme si ma marche n’avait pas été forcée! Dans la balance de l’humanité, vingt ou vingt-cinq malades, quels qu’ils soient, ne pèsent rien à côté de l’humanité entière; et pour faire l’application de ce principe à une personne que Votre Majesté honore de sa tendresse, ne puis-je pas dire que donner à madame la duchesse deChaulnes la préférence sur la généralité des hommes, serait au fond aussi condamnable à moi que de n’apprécier ma découverte qu’en raison de mes intérêts personnels? Je me suis déjà trouvé, madame, dans la nécessité d’abandonner des malades qui m’étaient chers, et à qui mes soins étaient encore indispensables. Ce fut dans ce 164 QUATRIÈME LEÇON. temps que je quittai les lieux de la naisssanee de Votre Majesté; ils sont aussi ma patrie! Alors pourquoi ne m’accusa-t-on pas d’inhumanité? Pourquoi, madame? parce que cette accusation grave devenait superflue, parce que l’on était parvenu, par des intrigues plus simples, à me perdre dans l’esprit de votre auguste mère et de votre auguste frère. Celui, madame, qui toujours aura comme moi présent à l’esprit le jugement des nations et de la postérité; celui qui se prépare sans cesse à leur rendre compte de ses actions, supportera, comme je l’ai fait, sans orgueil, mais avec courage, un revers aussi cruel. Car il saura que, s’il est beaucoup de circonstances où les rois doivent guider l’opinion des peuples, il en est encore un plus grand nombre où l’opinion publique domine irrésistiblement sur celle des rois. Aujourd’hui, madame, ou me l’a assuré au nom de Votre Majesté, votre auguste frère n’a que du mépris pour moi. Eh bien! quand l’opinion publique aura décidé, il me rendra justice si ce n’est pas de mon vivant il honorera ma tombe de ses regrets. Sans doute l’époque du 18 septembre que j’ai indiquée à Votre Majesté lui paraîtra extraordinaire; je la supplie de se rappeler qu’à pareil jour de l’année dernière il ne tint pas aux médecins de vos Etats qu’un de leurs confrères, à qui je dois tout, ne fût déshonoré à mon occasion ; ce jour-là fut tenue l’assemblée de la faculté de médecine de Paris, où furent rejetées mes propositions. Et quelles propositions! Votre Majesté les connaît. J’ai toujours cru, madame, et je vis encore dans la persuasion qu’après un éclat aussi avilissant pour les médecins de votre ville de Paris, toute personne éclairée MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 165 ne pouvait plus se dispenser de fixer les yeux sur ma découverte, et que la protection de toute personne puis- , santé lui était dévolue sans difficulté. Quoi qu’il en soit, i au 18 septembre prochain, il y aura un an que j’aurai fondé mes soins sur les soins vigilants et paternels du gouvernement. A cette époque, j’espère que Votre Majesté jugera mes sacrifices assez longs et que je ne leur ai ; fixé un terme ni par inconstance, ni par humeur, ni par inhumanité, ni par jactance. J’ose enfin me flatter que sa protection me suivra dans les lieux où ma destinée m’entraînera loin d’elle; et que, digne protectrice de la vérité, elle ne dédaignera pas d’user de son pouvoir sur l’esprit d’un frère et d’un époux pour m’attirer leur bienveillance. - Je suis, etc.» Cette lettre serait pleine de convenance et fort honorable pour Mesmer si elle ne renfermait cette phrase étrange, qui vous a sans doute frappés Aux yeux de Votre Majesté, 4 ou 5oo ooo francs de plus ou de moins employés à propos ne sont rien. » — Mesmer convoitait donc encore le château dont la propriété lui avait été offerte dans les premières propositions du gouvernement, et, grâce à l’intervention de la duchesse de Chaulnes, que sa puissance magnétique avait mise à sa discrétion , il n’abjurait pas encore ses ambitieuses espérances. O grands hommes, que vous êtes petits! Cependant l’opinion publique se tournait contre Mesmer. Le journalisme, cette mousse légère et vide qui, depuis son origine, se forme à la surface des sociétés européennes des agitations de tous les genres qui en 166 QUATRIÈME LEÇON, soulèvent la vase, le journalisme couvrait de ridicule le magnétisme et son inventeur. Les pamphlets pour ou contre se succédaient rapidement, et faisaient retentir le monde savant de furieuses imprécations ou de niais éclats de rire. Le plus remarquable de ces écrits fut une lettre pseudonyme du célèbre avocat Bergasse , qui > usant envers les détracteurs du magnétisme de cette inflexible argumentation dont il accabla Beaumarchais, faisait retomber sur eux le ridicule avec lequel ils avaient eu l’imprudence de l’attaquer. Ici, malheureusemënt, se terminent les derniers actes honorables de la vie de Mesmer, qui vécut trop pour sa gloire. Après avoir admiré ce grand acteur en scène, pénétrons dans la coulisse, où nous le trouverons sans cothurne et sans fard. Que le fanatisme des magnétiseurs me fasse un crime de mon irrévérence, peu m’importe après l’éloge, le blâme quand il est mérité. Mesmer eût-il été mon maître et mon ami, que je le jugerais avec ma conscience et point avec mon cœur. Mesmer et d’Eslon , ces deux intimes jusqu’alors si dévoués l’un pour l’autre, scandalisèrent leurs contemporains par de pitoyables démêlés qui appartiennent aujourd’hui à l’histoire. Tandis que le premier accomplissant, ou plutôt feignant d’accomplir ses menaces de quitter la France, était allé se délasser aux eaux de Spa de ses dernières tribulations, lesecond,reconnaissant que lemagnétisme, à défaut de mieux, était un filon d’or pour celui qui l’exploitait, se mit hardiment en devoir de remplacer son maître, et d’escompter en son absence le secret éventé dont Mesmer rêvait encore la vente. Ce n’est MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 167 pas tout l’examen officiel du magnétisme, qu’il avait autrefois sollicité de la faculté de médecine pour le compte de Mesmer, il le demanda pour lui-même, assurant que lui aussi avait opéré des cures au moyen de la nouvelle découverte. — Repoussé de la Faculté comme les fois précédentes, il en appela au parlement. Quelles qu’aient été les conventions de Mesmer et de d’Eslon, cette nouvelle frappa, dit-on, le premier d’un coup de foudre; il s’écria que sa confiance était trahie et écrivit la lettre suivante à M. Philip, alors doyen de la Faculté Monsieur , On m’a fait lire le discours que M. d’Eslon a prononcé dans votre assemblée du 20 du mois d’août dernier, et l’acte par lequel, pour avoir entretenu des relations avec moi, que vous regardez comme pratiquant illicitement la médecine, vous le suspendez de ses fonctions doctorales pendant l’espace de deux années; après quoi, s’il 11e change de conduite et de maximes, il sera définitivement rayé du tableau de la Faculté. Je ne vous demanderai pas, monsieur, ce que c’est que pratiquer la médecine illicitement. Jusqu’à présent, la médecine m’avait paru, non pas un droit, mais une science, et j’avais pensé que celui qui démontre qu’il peut guérir ne devait pas être privé de la liberté de le faire. Je n’examinerai pas non plus s’il est vrai qu’on peut regarder comme pratiquant illicitement la médecine un homme reçu médecin dans une faculté assez fameuse, avoué depuis par votre propre gouvernement, qui a voulu se l’attacher par des offres honorables, et QUATRIÈME LEÇON, tenant dès lors de la même autorité que vous la permission d’exercer la profession qu’il a choisie. a Un autre objet m’occupe en ce moment. M. d’Eslon, dans son discours, après avoir annoncé que je ne devais plus retourner en France, quoiqu’il sût très-bien que mon absence n’était que momentanée, fait entendre qu’il est dépositaire de mon système et de ma découverte; et pour donner plus d’autorité à ses paroles, il demande qu’d soit procédé, par des commissaires choisis dans le sein de votre compagnie, à l’examen de trente cures qu’il a, dit-il, opérées par le magnétisme animal. II est possible que M. d’Eslon ait opéré des cures par le magnétisme animal. Devenu, par un concours de circonstances dont je crois inutile de rendre compte, le seul agent que je pusse employer auprès des compagnies savantes que je désirais associer à mes travaux, ayant été ensuite mon interprète quand il s’agit de répondre aux propositions que le gouvernement a bien voulu me faire à l’époque où il a souhaité que je me fixasse en France, et depuis n’ayant négligé aucune occasion de publier avec éclat son dévouement à ma cause et son zèle pour le progrès de mes opinions, M. d’Eslon m’avait paru un ami sûr dont il ne me convenait pas de me défier. Interrogé fréquemment par lui sur les malades que je traitais, sur ceux qu’il traitait lui-même, je n’ai donc pas craint de lui faire entrevoir mes procédés. Ainsi, je ne serais pas surpris qu’en les imitant, comme j’entends dire qu’on les imite ailleurs, il ait produit des effets salutaires, et ceci ne prouverait autre MESMER ET LES CORPS SAVANTS. 169 chose que la perfection du moyen que je mets en œuvre. Mais je ne l’ai jamais positivement instruit, jamais je ne lui ai dévoilé la théorie très-étendue, et je crois assez profonde, qu’il faut étudier pour se dire, avec quelque vérité, possesseur de ma doctrine et de ma découverte. Il y a plus, en lui faisant apercevoir combien les connaissances imparfaites que je lui laissais acquérir étaient insuffisantes pour constituer proprement une science, comment dès lors elles pouvaient devenir facilement abusives, et quel inconvénient il y aurait à les divulguer avant que je fusse placé dans des circonstances propres à développer tout à la fois le système auquel elles appartiennent, je l’avais engagé à ne pas s’en prévaloir, surtout d’une manière publique; et, convaincu de la sagesse de mes motifs, il m’avait donné sa parole de garder le silence le plus absolu sur tout ce qu’il apprendrait auprès de moi. Et cependant M. d’Eslon annonce qu’il a ma découverte. Que fait-il en se permettant cette démarche? il se rend évidemment coupable d’un double crime. II me trahit, parce qu’il dispose sans mon aveu d’une chose que je dois regarder comme ma propriété, et comme une propriété d’autant plus précieuse qu’elle in’a coûté plus de peine à acquérir, et qu’elle m’a exposé à plus d’infortunes. Il en impose au public, parce qu’il essaie de faire croire, sans aucune restriction, qu’il peut me remplacer ; qu’on doit espérer de lui tout ce qu’on avait attendu de moi ; et que ses connaissances sont assez complètes pour que mon absence ne laisse point de regrets à ceux qui avaient quelque opinion de mon savoir, 170 QUATRIÈME LEÇON. Or, monsieur, comme on est accoutumé à penser que M. d’Eslon n’agit que d’après mon impulsion, comme en effet, jusqu’à pre'sent, nos démarches ont été à peu près communes, et qu’à cause de nos relations anciennes la mesure de confiance qu’on aurait en lui serait infailliblement déterminée d’après la confiance qu’on pourrait avoir en moi, il importe à ma réputation, que je dois l’empêcher de compromettre, et plus que cela au progrès de ma doctrine, dont il connaît à peine quelques éléments, et dont même, sous le prétexte de faire le bien, je ne veux pas qu’on abuse, il importe, dis-je, qu’on sache quelle opinion j’ai de ses procédés; il faut surtout qu’on soit averti que je n’avouerai désormais rien de ce qu’il pourra faire ; que ses fautes lui seront personnelles comme ses succès ; et que ce n’est pas chez lui, quoiqu’il ait essayé de le faire entendre, qu’il faut aller chercher le système de mes connaissances. M. d’Eslon ayant prononcé, en présence de votre compagnie, le discours dont je me plains, ce n’est qu’à vous, monsieur, que je peux recourir pour donner à la déclaration que je fais ici toute la publicité qu’elle doit avoir. Vos confrères n’auraient certainement pas accueilli M. d’Eslon, démontrant même qu’il avait ma découverte, et que ma découverte était utile, parce qu’il leur eût paru odieux de profiter d’une chose qui ne peut appartenir à personne sans l’abandon ou le consentement decelui qui en est le confrères ne doivent donc pas approuver la conduite que M. d’Eslon a tenue dans cette circonstance. D’après cela, monsieur, je me persuade que vous ne MESMER ET LES COUPS SAVANTS. 171 refuserez pas de lire, dans le même lieu où l’on a si publiquement abusé de ma bonne foi, la lettre que j’ai l’honneur de vous écrire. Plus accoutumé à la résignation qu’à la vengeance, je me tairais si je pouvais me taire; mais dans une affaire qui est devenue celle de toute ma vie, et de laquelle dépend aujourd'hui toute ma renommée, je dois la vérité au public, et je la lui dois d’autant plus que, si je gardais le silence, il pourrait être plus facilement trompé. J’ose donc espérer, monsieur, que vous daignerez faire quelque attention à ma demande. Comme il né s’agit en cette occasion ni de ma personne ni de mon système, mais d’un simple acte de justice, quelle que soit la différence de nos sentiments, j’ai une trop haute opinion de votre équité pour ne pas croire que vous né verrez ici que la nécessité de ma réclamation, et que vous voudrez bien mettre quelque empressement à nie satisfaire. Je suis, etc. Signé Mesmer, Docteur-médecin de la faculté de Vienne. » Cette épître est à la fois et la condamnation de la faculté de médecine de Paris et la condamnation de Mesmer. La réclamation de ce dernier, qui était juste en principe, ne l’était pas en fait; car Mesmer savait fort bien que le magnétisme tel que le pratiquait d’Eslon était exactement conforme à sa découverte; mais la Faculté l’ignorait, et sa conduite, en Se prononçant sur Mesmer d’après les documents que lui offrait d’EsIou, 172 QUATRIÈME LEÇOX. n’était pas seulement une irrégularité, mais une injustice criante. Vous saurez d’ailleurs dans un instant comment les choses se passèrent; mais avant de continuer l’histoire du magnétisme, arrêtons-nous encore sur le caractère de son inventeur. Quelques-uns des malades de Mesmer qui l’avaient suivi àSpa, partagèrent son chagrin à la nouvelle de ce qui se passait à Paris, et résolurent entre eux d’assurer sa fortune et sa gloire en assurant ils le pensaient le bien de l’humanité. Ils formèrent donc le plan d’une souscription ayant pour objet de le mettre en état de publier sa doctrine. Ce projet, fort goûté par Mesmer, détermina promptement son retour à Paris. Le plan de la souscription fut accueilli avec empressement de plusieurs personnes de distinction, telles que MM. de Puységur, le Bailli des Barres, le P. Gérard, Court de Gé- belin, etc. Au bout d’un mois, vingt souscriptions étaient remplies, bien que le prix de chacune fût de ioo louis !.... Cet homme exerçait réellement sur son entourage une influence magique! Cependant, en même temps que ces arrangements avaient lieu, un ami de d’Eslon travaillait auprès de Mesmer à opérer entre eux une réconciliation qu’on croyait nécessaire à la prospérité delà nouvelle doctrine. Cette réconciliation se fit en effet; mais, soit qu’elle ne fût pas sincère, soit qu’il survînt entre nos deux philanthropes quelque rivalité d’amour-propre ou d’intérêt, une rupture définitive résulta de leurs nouveaux démêlés. La fameuse souscription fut donc remplie; on organisa une société, et Mesmer confia enfin sa découverte et sa MESMEK ET LES CORPS SAVANTS. 173 doctrine à cent personnes assez amis de l’humanitépour acheter d’une partie de leur fortune le droit et le pouvoir de faire le bien. Si, dans cette circonstance singulière, les acheteurs ont droit à notre admiration, en est-il de même du vendeur? Comparez, messieurs, le noble désintéressement de Van Helmont à l’insatiable avidité de Mesmer, et prononcez entre ces deux hommes. Le premier, refusant même de recevoir de ses nombreux malades le légitime salaire des soins qu’il leur donne, se croirait déshonoré s’il trafiquait de sa science; le second, au contraire, ne sait quel prix demander d’une découverte que la lecture de ses devanciers lui eût évité la peine de faire. Mais, s’il est incapable d’abnégation, admirez son savoir-faire c’est à l’instant où il reconnaît que son secret est trahi et va tomber inévitablement dans le domaine public, c’est alors qu’il se décide à le dire moyennant la modeste somme de 1^0 ooo francs. Quel saint amour de l’humanité! Cependant, a-t-on dit, Mesmer, dans cette circonstance, n’agissait point par cupidité, et la preuve de son désintéressement est qu’il admit au nombre de ses disciples quelques personnes qui, plus dévouées que riches, n’étaient pas en mesure de fournir les 100 louis exigés. Charlatanisme de générosité! voilà tout ce que j’aperçois dans ces charitables concessions. En effet, l’important, pour Mesmer, était d’arriver vite à ses fins en complétant quand même le nombre de ses souscripteurs, car mieux valait encore pour lui de recevoir 200 000 francs seulement que de ne rien recevoir du tout. Cela, j’en conviens, est triste à dire; mais en jugeant sévèrement la conduite 174 QUATRIÈME LEÇON, privée de Mesmer, je n’altère en rien l’importance des idées ou des faits qu’il eut la gloire de réhabiliter, et je ne vois pas qu’il soit nécessaire pour défendre le magnétisme de justifier tous les actes de son inventeur. Au surplus, le cours de Mesmer, malgré le prix exorbitant qu’il fallait payer pour y être admis, ne laissa pas que de donner à la nouvelle doctrine des partisans d’autant plus chauds qu’ils l’avaient plus chèrement acquise. Ce furent ces nouveaux initiés qui fondèrent un peu plus tard la Société de l’harmonie et portèrent dans toute l’Europe les principes du magnétisme. Mais, nonobstant l’organisation de cette société, nonobstant de nouvelles réclamations de Mesmer, qui s’adressa successivement à Franklin, premier commissaire nommé par le roi pour l’examen du magnétisme, et au ministre lui-même, ce fut chez d’Eslon et non chez lui que se rendit la commission. Une discussion succincte du rapport de Bailly, du rapport secret de celui de Jussieu, fera le sujet de notre prochaine leçon, nous réservant de vous présenter enfin dans la leçon suivante la théorie de Mesmer. CINQUIÈME LEÇON. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. Messieurs , Je crois vous avoir déjà dit qu’en cédant aux instances réitérées de d’Eslon, et en faisant procéder chez ce médecin à l’examen du magnétisme, le gouvernement s’était rendu coupable, à l’égard de Mesmer, d’une injustice criante. J’ajoute que cette circonstance fut un malheur irréparable pour la nouvelle doctrine. Cette doctrine était jugée d’avance par les commissaires chargés d’en rendre compte au roi, et leur mission était accomplie avant d’être commencée. Mesmer, dans cette circonstance orageuse, était le seul homme capable de sauver une découverte contre laquelle on conspirait sous prétexte de l’examiner. Il avait tant de sang-froid, d’habileté et de puissance magnétique, que peut-être il eût déconcerté le mauvais vouloir ou la mauvaise foi de ses juges; mais trois années d’intrigues devaient avoir leur fruit. Et d’abord, dit le R. P. Scobardi ’, les délégués de Sa Majesté, savants et médecins, s’empressèrent Rapport confidentiel, etc., p. aa. 176 CINQUIÈME LEÇON, d’aller examiner le magnétisme, non chez l’inventeur, mais chez un de ses disciples publiquement désavoué, montrant ainsi que, pour juger quelqu’un, il était tout à fait inutile de le voir ou de l’entendre. Celte jurisprudence n’avait pas le mérite de la nouveauté, car nous les jésuites l’avions établie dans tous les pays soumis au suprême bienfait de l’inquisition; mais nous devons avouer qu’en France elle était complètement inconnue » La commission nommée par le roi, le 12 mars 1784, se composait d’abord des médecins Borie, Sallin, J. d’Arcet et Guillotin; ce fut sur leur demande qu’on leur adjoignit cinq membres de l’Académie des sciences, B. Franklin, Le Roi, S. Bailly, de Boryet Lavoisier. — Borie étant mort dans le commencement du travail de la commission , le roi nomma pour le remplacer Majault, docteur de la Faculté. — Le rapport fut rédigé par Bailly que le ciel le lui pardonne!.... Bien que rédigé avec beaucoup d’art, ce rapport ne soutient pas une analyse impartiale, et porte à chaque page l’empreinte des préventions qui l’ont dicté. Après les préliminaires d’usage, Bailly expose sommairement la doctrine du magnétisme animal telle que Mesmer l’avait publiée dans son Mémoire sur la découverte du Magnétisme page 74 et suiv., puis il ajoute Tel est l 'agent que les commissaires ont été chargés d’examiner et dont les propriétés sont avouées * La commission double, nommée en 1837 pour vérifier ie phénomène somnambulique de la lecture ou vision sans le secours des yeux, a suivi fidèlement la même marche. On ne saurait trop bien conserver les bonnes traditions. {Rapport confidentiel. RAPPORTS SDR LE MAGNÉTISME DE 1784. 177 par M. d’Eslon, qui admet tous les principes de M. Mesmer. Cette théorie fait la base d’un mémoire qui a été lu chez M. d’Eslon, le 9 mai, en présence de M. le lieutenant général de police et des commissaires. On établit dans ce mémoire qu’il n’y a qu’une nature, une maladie, un remède, et ce remède est le magnétisme animal. Ce médecin, en instruisant les commissaires de sa doctrine et des procédés du magnétisme, leur en a enseigné la pratique en leur faisant connaître les pôles, en leur montrant la manière de toucher les malades, et de diriger sur eux le fluide magnétique. M. d’Eslon s’est engagé avec les commissaires, i° à constater l’existence du fluide animal ; 2 0 à communiquer ses connaissances sur cette découverte; 3° à prouver l’utilité de cette découverte et du magnétisme animal dans la cure des maladies. » Des trois paragraphes suivants, le premier est consacré à la description du traitement ', le second aux explications données par d’Eslon relativement aux dispositions adoptées; le troisième,enfin,à la manière d’exciter et de diriger le magnétisme animal. Ces trois paragraphes n’étant que d’un intérêt secondaire, j’en viens de suite aux effets observés sur les malades. — Ce point me paraît capital. Je vais plus loin il ne serait pas impossible que toute la question fût là; car en admettant qu’il n’y eût aucun moyen de rendre sensible le fluide magnétique, l’existence de cet agent n’en était pas moins démontrée, s’il produisait sur l’économie des effets appréciables. Or écou- * On trouvera cette description dans mon Manuel pratique du Magnétisme animal, V édit., revue et corrigée, Paris, 1840 , grand in*^ de 480 pages. 12 178 CINQUIÈME LEÇON, tons notre rapporteur Alors les malades offrent un tableau très-varié, par les différents états où ils se trouvent. Quelques-uns sont calmes, tranquilles, et n’éprouvent rien; d’autres toussent, crachent, sentent quelque légère douleur, une chaleur locale ou une chaleur universelle , et ont des sueurs; d’autres sont agités et tourmentés par des convulsions. Ges convulsions sont extraordinaires par leur nombre, par leur durée et par leur force. Dès qu’une convulsion commence, plusieurs autres se déclarent. Les commissaires en ont vu durer plus de trois heures; elles sont accompagnées d’expectorations d’une eau trouble et visqueuse arrachée par la violence des efforts. On y a vu quelquefois des filets de sang, et il y a entre autres un jeune homme malade qui en rend souvent avec abondance. Ces convulsions sont caractérisées par les mouvements précipités, involontaires do tous les membres et du corps entier, par le resserrement à la gorge, par des soubresauts des hypochondrcs et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets et des rires immodérés. Elles sont précédées ou suivies d’un état de langueur ou de rêverie, d’une sorte d’abattement et même d’assoupissement. Le moindre bruit imprévu cause des tressaillements; et l’on a remarqué que le changement de ton, et de mesure dans les airs joués sur le piano-forte *, influait sur les malades, en sorte qu’un mouvement * Mesmer et d’Eslon croyant que le son concourait à la transmission du fluide, un piano était placé dans la salle des traitements. RAPPORTS SUR UE MAGNÉTISME DE 1784 . 179 plus vif les agitait davantage et renouvelait la vivacité de leurs convulsions. Il y à une salle matelassée et destinée primitivement aux malades tourmentés de ces convulsions, nommée salle des crises; mais M. d’Eslon ne juge pas à propos d’en faire usage; et tous les malades, quels que soient les accidents, sont également réunis dans les salles du traitement public. Rien n’est plus étonnant que le spectacle de ces convulsions; quand on ne l’a point vu, on ne peut s’en faire une idée; en le voyant, on est également surpris et du repos profond d’une partie de ces malades, et de l’agitation qui anime les autres; des accidents variés qui se répètent, des sympathies qui s’établissent. On voit des malades se rechercher exclusivement, et, en se précipitant l’un vers l’autre, se sourire, se parler avec affection, et adoucir mutuellement leurs crises. Tous sont soumis à celui qui magnétise; ils ont beau être dans un assoupissement apparent, sa voix, un regard, un signe les en retire. On ne peut s’empêcher de reconnaître, à ces effets constants, une grande puissance qui agite les malades, les maîtrise, et dont celui qui magnétise semble être le dépositaire. Cet état convulsif est appelé crise dans la théorie du magnétisme animal suivant cette doctrine, il est regardé comme une crise salutaire du genre de celle que la nature opère ou que le médecin habile a l’art de provoquer pour faciliter la cure des maladies. Les commissaires adopteront cette expression dans la suite de ce rapport ; et lorsqu’ils se serviront du mot crise, ils entendront toujours l’état ou de convulsions, ou d’assoupis- 180 CINQUIÈME LEÇON. seraient, en quelque sorte léthargique, produit par les procédés du magnétisme animal. » Cette description seule devait, selon moi, fournir aux commissaires des conclusions affirmatives sur l’existence du magnétisme animal. Cet état si singulier des malades en crise, état dont on ne peut se faire une idée quand on ne l’a pas vu, avait nécessairement une cause spèciale; aussi les commissaires ne peuvent-ils s’empêcher de reconnaître à ces effets constants une grande puissance qui agite les malades, et dont celui qui magnétise semble être le dépositaire. J’avoue qu’après cette déclaration formelle j’aurais cru la question décidée; mais on se hâta de la déplacer pour la rendre insoluble. Les effets de la grande puissance dont dispose à son gré le magnétiseur ne laissaient, à la vérité, aucun doute sur l’existence de celle-ci, et néanmoins il fut décidé qu’on ne l’admettrait qu’autant qu’on parviendrait à lavoir ou la toucher. Tout le reste du rapport roule sur l’utilité de cette recherche étrange. Vous allez voir, d’ailleurs, quel degré d’attention on y apporta L * Rien de plus contradictoire, de plus burlesque que les causes assignées par les auteurs du temps aux effets magnétiques; voici celles que Tliouret, dans ses Recherches et Doutes sur le Magnétisme, énonce successivement i° l’irradiation perpétuelle et réciproque des émanations qui s’établissent entre le magnétiseur et les malades, p. 58 ; — 2° l’attouchement, p. 72, 202; — 5“ la crème de tartre, p. ~] 5 , 180, 181, 188; — f les bains, p. 75, 181, 188; — 5° les saignées, p. 75, 182; — 6° les purgatifs, p. 73, 182; — 7 0 le toucher sur l’épigastre, p- 79 ; — 8° les tiges de fer conducteurs, p. 83; — 9 0 la transpiration du malade, p. 87; — io° la propreté, p. 87; — 11 0 la singularité des opinions de Mesmer, p. i3g; — 12° la confiance, p. 179, 212; — i3° quelques-uns RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 181 Les commissaires ont observé que, dans le nombre des malades en crise, il y avait toujours beaucoup de femmes et peu d’hommes; que ces crises étaient toujours une ou deux heures à s’établir; et que, dès qu’il y en avait une d’établie, toutes les autres commençaient successivement et en peu de temps ; mais, après ces remarques générales, les commissaires ont bientôt jugé que le traitement public ne pouvait pas devenir le lieu de leurs expériences. La multitude des des remèdes ordinaires de la médecine, p. 180; — i4° les secours moraux, p. 182 ; — i5° la réunion des malades au même traitement, p. 182; — 16» leur séjour à la campagne, p. 184; — 17° l’exercice qu’ils font pour se rendre au lieu du traitement, p. 185, 188; les occasionsde visites et la dissipation que cela leur occasionne, p. i85, 188 ; — 19° la musique instrumentale, p. 186; — 20° l’espoir inattendu de la guérison, p. 188; — 21 0 la réaction du moral sur le physique, p. 188; — 22 0 la cessation des remèdes, p. 188; — 23° une vie plus active , p. 188 ; — 24° une existence plus agréable, p. 188; — 25° le tempérament très-sensible, très-irritable des personnes nerveuses et vaporeuses, p. 196 ; —26° l’imagination, p. 190; — 27° la prévention , p. 190 ; — 28° l’exaltation morale et physique des malades, p. 190 ; — 29 0 l’aimant, p. ig5; — 5o° l’électricité, p. 194; — 3i° les émanations de diverses substances, p. ig5; — 32° certaines poudres ou mélanges, tels que du soufre et de la limaille de fer, l’aimant pulvérisé et électrisé, p. 197 ; — 33° la matière de la transpiration du magnétiseur, p. 198 ; — 34° la chaleur de la main, p. 202 ; — 35° les frictions, p. 2o3 ; — 36° l’appareil du traitement magnétique, p. 206; — 37° les gestes du magnétiseur, p. 207 ; — 38° les aspersions qu’il fait avec le doigt, une tige de fer, un bouquet, une fleur, et même le souffle, p. 202, 209 ; — 39° la simple direction de ses doigts, p. 20g ; — 4°° l’imitation, p. 212; — 41° l’enthousiasme, p. 212; — 4 2 ° le désir d’éprouver des crises, p. 2i3 ; — 43° l’ambition de fixer les regards du public, p. 2i4; — 44° l’influence sexuelle, p. 2i5 ; — 45° les convulsions simulées, p. 217 ; — 46° la mobilité nerveuse, p. 217; — 47° le choix des sujets convenables, p. 247. Rapport confidentiel. 182 CINQUIÈME LEÇON, effets est un premier obstacle; on voit trop de choses, en effet, pour en bien voir une en particulier. D’ailleurs , des malades distingués qui viennent au traitement pour leur sauté pourraient être importunés par les questions ; le soin de les observer pourrait ou les gêner ou leur déplaire; les commissaires eux-mêmes seraient gênés par leur discrétion. Ils ont donc arrêté que, leur assiduité n’étant point nécessaire à ce traitement, il suffisait que quelques-uns d’eux y vinssent de temps en temps pour confirmer les premières observations générales, en faire de nouvelles s’il y avait lieu et en rendre compte à la commission assemblée.» Ainsi MM. les commissaires étaient fort discrets et d’une courtoisie que les académiciens leurs successeurs n’ont pas toujours imitée ; la crainte d’importuner les personnes distinguées que traitait d’Eslon les empêcha à'interroger ces malades! — Au fait, qu’avaient-ils besoin de les interroger?L’unique but qu’ils se proposaient étant de constater physiquement l’existence d’un fluide nouveau, toutes les déclarations des malades n’eussent pas été de nature à les éclairer sur ce point. Cependant, après s’être dispensés d’assister assidûment aux expériences du traitement public, voilà qu’ils déduisent de ces expériences les conséquences les plus explicites Le moyen le plus sûr, poursuit le rapporteur, de constater l’existence du fluide magnétique animal, serait de rendre sa présence sensible ; mais il n’a pas fallu beaucoup de temps aux commissaires pour reconnaître que ce fluide échappe à tous les sens. » A cela, je répondrai d’abord qu 'avec un peu plus de 183 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. temps et d'attention, l’opinion de MM. les commissaires se serait peut-être modifiée sur ce point. En se donnant la peine de magnétiser eux-mêmes ce qui, de leur part, j’en conviens, eût été bien méritoire, ils eussent éprouvé dans les doigts une sensation par- culière qui, partagée par les malades, aurait pu les mettre sur la voie de ce je ne sais quoi de sensible dont ils avaient eu la folle pensée de s’occuper exclusivement. Il le fluide n’est point lumineux et visible comme l’électricité, » — qui 11’est pas toujours visible.— Son action ne se manifeste pas à la vue comme l’attraction de l’aimant. » — Erreur, pour ne rien dire de plus; car Y attraction magnétique devait exister en 1784 si l’espèce humaine, depuis un demi- siècle, n’a pas changé de nature. Cette attraction, à la vérité, essentiellement subordonnée à la volonté du magnétiseur, est loin,d’ailleurs, d’être constante comme celle de l’aimant. Ainsi que tous les autres phénomènes organiques, elle varie avec la puissance qui la produit, et se proportionne aux forces vitales de celui qui la subit et de celui qui l’exerce. L’homme, en effet, dans aucun cas, 11e peut être considéré comme un être purement passif. Quelque faible que soit sa volonté, cette volonté existe toujours, et devient constamment un obstacle à celledu magnétiseur lorsqu’elle lui est contraire. Voilà pourquoi des expériences faites sur des hommes prévenus, et qui, plus est, malveillants comme la plupart des commissaires chargés d’examiner le magnétisme, ne sauraient rien prouver '. Le rapporteur 1 MM. Gerdy, Dubois d’Amiens, etc., prétendent n’avoir jamais vu d'expériences magnétiques qui les eussent satisfaits; cette 184 CINQUIÈME LEÇON, continue Il est sans goût et sans odeur. » — Le savant Bailly divague! Quels sont donc le goût et l’odeur du calorique, de la lumière et de l’électricité? — Il marche sans bruit et vous entoure ou vous pénètre sans que le tact vous avertisse de sa présence. » — Nous avons soutenu le contraire. — S’il existe en nous et autour de nous, c’est donc d’une manière absolument insensible.» —Quoi! et les convulsions! et tous ces phénomènes insolites dont on ne peut pas se faire une idée, quand on ne les a pas vus!.... Ce rapport , en vérité, me semble une plaisanterie. Néanmoins, poursuivons — Parmi ceux qui professent le magnétisme, il en est qui prétendent qu’on le toujours le fluide voit quelquefois sortir de l’extrémité des doigts, qui lui servent de conducteurs, ou qui croient sentir son passage lorsqu’on promème le doigt devant le visage ou sur la main. » — Parmi ceux qui professent le magnétisme, il en est , etc. Qui sont ces gens-là? Mesmer, ni même d’Esion,que je sache, n’ont jamais avancé qu’on voyait le fluide, et MM. les commissaires m’ont bien l’air de s’attaquer à des moulins à vent. — Dans le premier cas, observe Bailly, l’émanation aperçue n’est que celle de la transpiration, qui devient tout à fait visible lorsqu’elle est grossie au microscope solaire. Dans le second, l’impression de froid ou de frais qu’on éprouve , impression d’autant plus marquée qu’on a plus chaud, résulte du mouvement de l’air qui suit le doigt, et dont la température est toujours au- circonstance, dont ils se glorifient, ne fait pas honneur à leur caractère. 185 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME RE 1784. dessous du degré de la chaleur animale. Lorsque, au contraire, on approche le doigt de la peau du visage et qu’on le laisse en repos, on fait éprouver un sentiment de chaleur qui est la chaleur animale communiquée. » — Supérieurement raisonné! Le grand malheur est que, dans certains cas, l’air frais, agité parle doigt, fait éprouver aux malades une sensation de chaleur. Comment les commissaires expliquent-ils ce fait bizarre? Ils n’en disent pas un mot, ce qui lève toute difficulté. Nonobstant les expériences au microscope solaire dont parle Bailly, tout le reste de son rapport est rédigé d’après des observations fausses ou superficielles qui ne pouvaient manquer d’aboutir à des conclusions négatives. Le fluide, dit-il, échappant à tous les sens, son existence ne peut être démontrée que par ses effets curatifs dans le traitement des maladies, ou par ses effets momentanés sur l’économie animale. » — Les preuves du premier ordre abondaient au traitement public comme dans les traitements particuliers; mais la nature, au dire du rapporteur, guérissant fort souvent les malades sans le secours des médecins, ces preuves ne prouvent rien , et tous les malades rendus à la santé par les crises magnétiques fussent probablement arrivés au même but sans le secours de ces crises.... Détestable sophisme qui mérite à peine d’être réfuté. Quoi ! Bailly croit à la médecine, il évoque l’expérience des siècles qui a fixé les hommes de l’art et sur la marche des maladies et sur les meilleurs moyens de 186 CINQUIÈME LEÇON, les traiter, et il nie la possibilité de constater l’utilité d’un procédé nouveau! Cependant il est, en médecine, quelques remèdes efficaces les médecins disent héroïques.!; en 1784, il y en avait au moins deux le mercure et le fer. Bailly, j’en suis certain, ne se fût pas prononcé contre la spécificité de ces deux métaux. Or, comment était-on parvenu à se fixer sur l’efficacité du mercure et du fer? Par l’expérience, sans doute. Eh bien, messieurs les commissaires, ayez donc la raison et la loyauté d’expérimenter aussi le magnétisme. Mais non, c’est un parti pris, et il est bien décidé que les seules preuves de l’existence du fluide magnétique sont ses effets instantanés sur l’organisme humain. En conséquence, pour s’assurer de ces effets, les commissaires font des épreuves i° Sur eux-mêmes 1 ; 2° Sur sept malades; 3 ° Sur quatre personnes; 4 ° Sur une société assemblée chez Franklin; 5 ° Sur des malades assemblés chez M. Jumelin ; 6° Avec un arbre magnétisé; 7 0 Enfin, sur différents sujets. Les résultats de ces expériences sont généralement la confirmation des effets observés au traitement public; c’est-à-dire que certains sujets ont des crises, tandis que d’autres 11’éprouvent rien ou ne paraissent rien éprouver. La même proposition leJluide n’existe pas, car il échappe à tous les sens, se reproduit * Nous avons prouvé l’inutilité de cette expérience. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 187 d’ailleurs naturellement après chaque expérience, et le rapporteur conclut ainsi Les commissaires ayant reconnu que ce fluide magnétique animal ne peut être perçu par aucun de nos sens, qu’il n’a eu aucune action ni sur eux-mêmes, ni sur les malades qu’ils lui ont soumis 1 ; s’étant assurés que les pressions et les attouchements occasionnent des changements rarement favorables dans l’économie animale, et des ébranlements toujours fâcheux dans l’imagination ; ayant enfin démontré , par des expériences décisives, que l’imagination sans magnétisme produit des convulsions, et que le magnétisme sans imagination ne produit rien ; iis ont conclu, d’une voix unanime, sur la question de l’existence et de l’utilité du magnétisme, que rien ne prouve l’existence d’un fluide magnétique animal ; que ce fluide sans existence est par conséquent sans utilité; que les violents effets que l’on observe au traitement public appartiennent à l’attouchement, à l’imagination mise en action, et à cette imagination machinale qui nous porte, malgré nous, à répéter ce qui frappe nos sens; et en même temps ils se croient obligés d’ajouter, comme une observation importante, que les attouchements, l’action répétée de l’imagination pour produire des crises, peuvent être nuisibles; que le spectacle de ces crises est également dangereux, à cause de cette imitation dont la nature semble nous avoir fait une loi, et que, par conséquent, tout traitement public où les moyens du * Les crises où étaient tombés quelques-uns de ces malades furent ttrihdées à l’imagination. 188 CINQUIÈME LEÇON, magnétisme seront employés, ne peut avoir à la longue que des effets funestes. A Paris, ce 11 août 1*784. Signé B. Franklin, Majaült , Le Roy, Sallin, Bailly, d’Arcet, de Bory, Guillotin, Lavoisier. » Les termes de cette conclusion me paraissent fort remarquables; car l’attouchement, l'imagination et cette imitation machinale, etc., donnant lieu à des phénomènes si extraordinaires que les commissaires n’auraient pu, de leur aveu, s’en faire une idée sans les voir, n’impliquaient-ils point un ordre de choses assez nouvelles en physiologie pour mériter l’attention? En généralisant la cause de ces faits étranges, les commissaires seraient infailliblement arrivés à admettre l’existence du magnétisme, dont il importait beaucoup moins de rechercher l’agent physique que de constater les effets. Bailly et ses collègues ont procédé en physiciens dans leurs observations; mais nullement en physiologistes et bien moins encore en philosophes. De là l’insignifiance de leur rapport et les contradictions qu’il présente. Aussi fut-il, dès le jour de son apparition, l’objet de critiques sérieuses auxquelles on se garda bien de répondre. Le R. P. Scobardi, fin comme un jésuite, ce que les vrais jésuites ne peuvent lui pardonner, a résumé dans une page charmante toutes les objections que provoquait le compte rendu de la commission, voici comment il s’exprime Voulant éviter l’embarras de concilier les faits positifs avec les opinions négatives et contradictoires de RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 189 chacun des membres de la commission, on établit sagement en principe i° Que les commissaires ne feraient point de questions aux personnes soumises aux épreuves; 2 ° Qu’ils ne prendraient pas le soin de les observer ; 3° Qu’ils ne seraient pas assidus aux expériences ; 4° Qu’ils y viendraient de temps en temps et qu’ils rendraient compte de ce qu’ils auraient vu isolément à la commission assemblée. Pouvait-on mieux s’y prendre pour que tout manquât?.... et cependant, en dépit de ces précautions minutieuses, certains phénomènes arrêtèrent tout court nos observateurs. Que faire alors? De deux choses l’une se taire, ou aborder franchement la question pour avoir l’air de la résoudre et passer soigneusement à côté. C’est ce dernier parti que prirent les médecins. Ici nous sommes forcés de citer leurs paroles Nous avons cru ne pas fixer notre attention sur des cas rares, insolites, extraordinaires , qui paraissaient contredire toutes les lois de la physique.... parce que ces cas étant le résultat de causes compliquées, varia- blés, cachées, etc., il n'y a rien à conclure de ces faits . » Nous le demandons avec confiance à nos vénérables supérieurs est-il possible de réunir autant de science et de naïveté? C’est à l’aide de semblables procédés que les rapporteurs purent disserter tout à leur aise sur les propriétés de l’imagination, de la chaleur, de l’imitation, de la tristesse, du frottement, de la gêne, des convulsions, etc., et déclarer que le magnétisme était fort dangereux, après avoir épuisé 190 CINQUIÈME LEÇON. tous les artifices de la dialectique pour prouver qu’il n’existait pas 1 ! » Outre le rapport de Bailly, qui fut répandu dans le public avec la plus grande profusion, les commissaires réunis de l’académie des sciences et de la faculté de médecine en firent un autre qu’ott tint secret et qui fut adressé au ministre. Dans celui-ci, les commissaires s’occupent uniquement des dangers que peut entraîner la pratique du magnétisme animal sous le rapport des mœurs. Ce rapport est remarquable par la finesse d’observation comme par le manque absolu d’esprit philosophique qu’il révèle dans ses auteurs; c’est-à-dire que les commissaires voient le fait avec justesse, l’analysent avec sagacité dans ses moindres détails, et, malgré cela* ne saisissent jamais ni la cause qui le produit, ni le corollaire qui en découle. En un mot, ils observent avec art; mais il leur manque un peu de jugement, un peu de causalité , dirait un phrénologiste, pour féconder leurs observations. Je vais vous soumettre, en y mêlant mes réflexions, quelques fragments de leur récit. Les commissaires ont reconnu que les principales causes des effets attribués au magnétisme animal sont l’attouchement, l’imagination, l’imitation. » — Même système, comme vous le voyez , que dans le rapport de Bailly. L’imagination et l’imitation sont encore considérées comme des causes premières, tandis qu’avec un peu de réflexion on ne tarde pas à reconnaître que les paroxysmes de ces deux facultés sont des effets et non * Rapport confidentiel, etc., p. a3. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 191 des causes. L’attouchement lui-même n’est qu’un moyen de transmission. Mais comment l’attouchement opère-t-il sur l’imagination? voilà ce qu’il aurait fallu se demander et ce que les commissaires n’ont pas fait.— Ils ont observé qu’il y avait toujours beaucoup plus de femmes, que d’hommes en crise. Cette différence a pour première cause la différente organisation des deux sexes. Les femmes ont en général les nerfs plus mobiles, leur imagination est plus vive, plus exaltée. » — Dites donc plus exaltable. —11 est facile de la frapper, de la mettre en mouvement! » —Nous sommes d’accord. — Cette grande mobilité des nerfs, en leur donnant des sens plus délicats et plus exquis, les rend plus susceptibles des impressions de l'attouchement. » — Quel grossier matérialisme ! — En les touchant dans une partie quelconque, on pourrait dire qu’on les touche à la fois partout. » — Et quand les crises arrivaient sans attouchement? — Cette grande mobilité des nerfs fait quelles sont plus disposées à l’imitation. Les femmes, comme on l’a déjà fait remarquer, sont, semblables à des cordes sonores parfaitement tendues à l’unisson. Il suffit d’en mettre une en mouvement toutes les autres à l’instant le partagent. » — Enfin nous y voilà! tout à l’heure c’était l’attouchement, maintenant c’est l’imitation, et ees deux causes, si différentes, produisent les mêmes effets. Déterminez donc à la fois ce qu’elles ont de commun!.... Hélas! les médecins ne jugent guère qu’avec les yeux. Ils ont beau rapprocher les faits, la chaîne qui unit ces faits entre eux leur échappe éternellement , si elle est invisible . Mais revenons au rap* port 192 CINQUIÈME LEÇON. a Cette organisation fait comprendre pourquoi les femmes ont des crises plus fréquentes, plus longues, plus violentes que les hommes, et c’est à leur sensibilité de nerfs qu’est dû le plus grand nombre de leurs crises. Il en est quelques-unes qui appartiennent à une cause cachée, mais naturelle,à une cause certaine des émotions dont toutes les femmes sont plus ou moins susceptibles, et qui, par une influence éloignée, en accumulant ces émotions, en les portant au plus haut degré, peut contribuer à produire un état convulsif qu’on confond avec les autres crises. Cette cause est l’empire que la nature a donné à un sexe sur l’autre, pour l’attacher et l’émouvoir. Ce sont toujours des hommes qui magnétisent les femmes; les relations alors établies ne sont sans doute que celles d’une malade à l’égard de son médecin, mais ce médecin est un homme; quel que soit l’état de maladie, il ne nous dépouille point de notre sexe, il ne nous dérobe pas absolument au pouvoir de l’autre; la maladie en peut affaiblir les impressions,sans jamaisles anéantir. D’ailleurs la plupart des femmes qui vont au magnétisme ne sont pas réellement malades; beaucoup y viennent par oisiveté et par amusement; d’autres, qui ont quelques incommodités, n’en conservent pas moins leur fraîcheur et leur force; leurs sens sont tout entiers; leur j eunesse a toute sa sensibilité. Elles ont assez de charmes pour agir sur le médecin; elles ont assez de santé pour que le médecin agisse sur elles alors le danger est réciproque. La proximité longtemps continuée, l’attouchement indispensable — erreur, — la chaleur individuelle communiquée, les regards confondus, sont les voies connues de la nature et les moyens qu’elle APPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 193 a préparés de tout temps pour opérer immanquablement — erreur énorme la communication des sensations et des affections.»—Il faut avouer qu’ils sont bien étranges ces moyens de la nature s’ils sont seulement ce qu’ils paraissent. Quoi! il suffit que des hommes et des femmes se regardent ou se touchent pour s’aimer! Que dis-je ! nos commissaires sont bien autrement explicites. Voilà, certes, des merveilles plus incroyables que le magnétisme Les médecins commissaires,présents et attentifs au traitement, ont observé avec soin ce qui s’y passe. Quand cette espece de crise se prépare, le visage s’enflamme par degrés, l’œil devient ardent, et c’est le signe par lequel la nature annonce le désir. On voit la femme baisser la tête, porter la main au front et aux yeux pour les couvrir; sa pudeur habituelle veille à son insu, et lui inspire le soin de se cacher. Cependant la crise continue et l’œil se trouble c’est un signe non équivoque du désordre total des sens. Ce désordre peut n’être point aperçu par celle qui l’éprouve, — il faut admettre, pour le croire, que les femmes sont bien stupides!—mais il n’a point échappé au regard observateur des médecins. Dès que ce signe a été manifesté les paupières deviennent humides; la respiration est courte, entrecoupée; la poitrine s’élève et s’abaisse rapidement; les convulsions s’établissent, ainsi que les mouvements précipités et brusques ou des membres ou du corps entier. Chez les femmes vives et sensibles, le dernier degré, le terme de la plus douce des émotions, est souvent une convulsion \ A cet état succèdent la 1 II est bon de rappeler ici comment Bailly décrit ce terme de ht plus douce des émotions les convulsions sont caractérisées par 13 194 CINQUIÈME LEÇON. langueur, l’abattement, une sorte de sommeil des sens qui est un repos nécessaire après une forte agitation. La preuve que cet état de convulsion , quelque extraordinaire qu’il paraisse à ceux qui l’observent, n’a rien de pénible,u’a rien que de naturel pour celles qui l’éprouvent, c’est que, dès qu’d est cessé, il n’en reste aucune trace fâcheuse; le souvenir n’en est pas désagréable, les femmes s’en trouvent mieux et n’ont point de répugnance à le sentir de nouveau. Comme les émotions éprouvées sont les germes des affections et des penchants, — paradoxe! elles en sont le terme — on sent pourquoi celui qui magnétise inspire tant d’attachement; attachement qui doit être plus marqué et plus vif chez les femmes que chez les hommes, tant que l’exercice du magnétisme n’est confié qu’à des hommes, etc., etc. » On conçoit très-bien qu’un pareil exposé amène cette conclusion Le traitement magnétique ne peut être que dangereux pour les mœurs. » Mais une autre déduction qu’il n’est pas aussi aisé de prévoir est celle-ci Rien n’empêche que chez lui Mesmer comme chez M d’Es- lon, les convulsions ne deviennent habituelles, et qu’elles ne se répandent en épidémies dans les villes; qu’elles ne s’étendent aux générations futures. »— Quelleseon- tradictious! Que de science et de naïveté! comme dit le R. P. Scobardi, ou plutôt quelle mauvaise loi! Dieu les mouvements précipités, involontaires, de tous les membres et du corps entier, par le resserrement à la gorge, par des soubresauts des hypocondres et de l’épigastre, par le trouble et l’égarement des yeux, par des cris perçants, des pleurs, des hoquets, des rires immodérés. » Rien n’est plus vrai que le plaisir touche de près h la douleur ! RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 195 merci! les commissaires se sont expliques clairement, — trop clairement pour leur honneur; —les convulsions qu’ils ont décrites n’ont rien de fâcheux physio- logiquement parlant. Comment donc peut-il se faire qu’après un pareil aveu de leur part ils osent exprimer la crainte de voir ces convulsions se perpétuer dans les races futures? Ou bien ils ont fait du cynisme eu pure perte, ou bien ils terminent leur rapport par une folie sans nom. Cependant, je veux bien accepter dans les deux cas, le prétendu résultat de leurs observations. — Ne reste-il pas constant, dans une hypothèse comme dans l’autre, que le moyeu n’est pas en rapport avec la violence de l’effet produit? Sans doute, le magnétisme et ce côté de la question sera examiné par nous provoque quelquefois l’amour dont il est le grand moteur. Mais si cet amour peut entraîner à la longue la participation des sens, il commence invariablement par une attraction morale dont la spontanéité et la violence prouvent l’agent qui l’a produite. C’est le contraire que les commissaires ont vu! j’en suis fâché pour eux, et je veux bien leur faire l’honneur de croire sincère une erreur aussi déplorable. En définitive, le rapport secret fut digne en tout point du rapport public. Celui-ci, quoique vigoureusement réfuté par des partisans éclairés du magnétisme, ne laissa pas que de produire dans le monde une impression défavorable. Il eût même complètement discrédité Mesmer et sa doctrine, s’il n’avait eu pour contre-poids un autre rapport, rédigé dans un sens tout différent par un des savants les plus éminents de l’époque. Antoine Laurent de Jussieu, le célèbre botaniste, 4 96 CINQUIÈME LEÇON, une de nos gloires nationales, avait été désigné pour faire partie de la commission Mauduyt. La scission qu’il fit avec ses collègues *, et dont il refusa de signer le rapport, est un des faits qui honore le plus son caractère et son talent d’observateur. Quel courage ne lui fallut-il pas pour protester publiquement contre les opinions, presque unanimes, d’une académie dont il était membre! Mais une véritable conviction ne calcule ni les dangers, ni l’étendue des sacrifices. De Jussieu avait d’ailleurs une immunité certaine dans l’immense autorité de son nom. Le jugement que cet homme célèbre a porté du magnétisme restera comme un monument dans les fastes de la science; mais ce jugement est loin d’être sans appel, car il était prématuré. Avec son goût pour les observations délicates et approfondies, avec cet esprit généralisateur qui l’a placé si haut parmi nos naturalistes, de Jussieu, cinquante ans plus tard, eût fait peut-être pour le magnétisme ce qu’il a fait pour la botanique ; il l’eût systématisé. Malheureusement, ce qui lui manquait de documents pour arriver à ce but l’induisit en erreur. Il se trompa, nous le pensons du moins, sur la nature intime du magnétisme, qu’il confondit avec la chaleur; mais s’il erra dans ses conséquences, on ne saurait trop admirer l’ordre et l’habileté d’analyse qui distinguent ses prémisses. Parmi les faits à exposer, dit-il, j’en distinguerai de quatre ordres i° les faits généraux et positifs, dont on ' Mauduyt, Andry et Caille. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 1!7 ne peut rigoureusement déterminer la vraie cause; 2° les faits négatifs, qui constatent seulement la non action du fluide contesté; 3° les faits, soit positifs, soit négatifs attribués à la seule imagination; 4° les faits positifs qui paraissent exiger un autre agent. x° La description que donne de Jussieu des effets généraux ne diffère pas essentiellement de celle qu’en fait Bailly, mais elle se prête fort peu aux inductions scabreuses si astucieusement développées dans le rapport secret. Quelques-uns, dit de Jussieu, croient sentir l’influence du doigt ou de la baguette à des distances considérables, le pouvoir de l’œil qui les fixe, et l’action de la corde ou de la chaîne qui unissent le cercle des malades. Les corps qu’on leur présente dans une certaine direction ont pour eux une odeur particulière qui devient différente dans une direction opposée. Les effets internes ne pouvant être vérifiés par l’observateur, je passe à ceux qui sont extérieurs et que j’ai vus plus ou moins souvent. Les premières sensations et les plus fréquentes sont des bâillements que l’on attribue au développement de la chaleur, mais qui peuvent également dépendre d’une cause morale. En continuant le traitement avec ou sans contact, on ne produit rien de plus sur les uns; la même impression développée et augmentée chez quelques autres, et principalement chez les femmes, occasionne successivement de l’agitation , des mouvements convulsifs, passagers ou durables, d’abord légers, puis plus graves, quelquefois un rire peu naturel, quelquefois le sommeil ou la perte des seus. Tantôt la personne est stationnaire, tantôt elle parcourt la salle d’un air égaré; le pouls, ordinai- 198 CINQUIÈME LEÇON, renient réglé, s’accélère quelquefois dans les grandes diverses sensations portent dans ce traitement le nom de crise qui finit simplement parla cessation des symptômes, ou se termine par des larmes, de la moiteur, de la sueur, des crachats, des vomissements , des évacuations par les selles et par les urines. » — Ces résultats sont très-significatifs. Les derniers, surtout, prouvent qu’il se passait dans le corps des malades une action aussi réelle qu’anormale, et qui partant supposait une cause non moins résultats, au reste, funestes ou salutaires je conçois sur ce point le partage des opinions n’avaient rien d’immoral; mais la cause incontestable qui les produisait, quelle était-elle?Voici l’opinion du rapporteur Le résumé de ces faits de Jussieu en rapporte un grand nombre en offre plusieurs qui doivent appartenir à une cause physique; les autres pourront être attribués à un fluide inconnu ou à l’influence de l’imagination; et , jusqu’à ce que le fluide soit démontré, la dernière opinion devra prévaloir, comme plus ancienne et mieux prouvée. » 2° Faits négatifs. De Jussieu, en homme de sens, leur consacre à peine quelques lignes Une jeune personne, dit-il, épileptique et privée de raison, magnétisée en présence des commissaires pendant une heure et par divers procédés, n’a éprouvé aucun effet. Le même résultat a eu lieu sur cinq malades du traitement d’électricité de M. Mauduyt, qui ont été touchés chacun pendant un quart d’heure, et sur une partie des malades de M, d’Eslon, qui se soumettaient tous les jours, pendant quelques heures, à son traitement. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784 . 199 Plusieurs des personnes que j’ai touchées hors des salles, en diverses occasions, pour satisfaire leur curiosité, n’ont ressenti aucune impression. J’ai été magnétisé moi-même plusieurs fois, et toujours sans succès. Sans insister ici sur les observations de ce genre, faciles à multiplier, on pourra conclure de celles-ci que le fluide, s’il existe, n’a pas sur la plupart des hommes, soit sains, soit malades, une action qui puisse se manifester par des signes sensibles. » — Cette conclusion, très-simple, est en même temps parfaitement juste. Plusieurs malades, à ma connaissance, se sont ingéré à diverses reprises d’assez fortes doses du purgatif Leroy et n’en ont absolument rien éprouvé. Qui s’aviserait d’en induire que ce drastique violent n’est pas même un laxatif? personne-assurément, parce que tout le monde a le sens commun lorsqu'il n’y a pas en jeu des intérêts personnels. Mais les détracteurs du magnétisme! il n’est pas d’absurdité dont ils ne se soient fait des arguments. — Jusqu’à présent, en magnétisme , il n’y a pas de faits négatifs, il n’y a que des faits nuis, c’est-à-dire qui ne prouvent rien. 3° Faits dépendants de F imagination. L’histoire, les traités de médecine et l’observation journalière offrent des preuves multipliées de l’influence de l’imagination sur nos organes. La doctrine du magnétisme n’en rejette aucune; mais, suivant elle, l’imagination concourt avec le fluide. Suivant ses adversaires, l’imagination agit seule, etson action suffit sans l’addition d’un nouvel agent. J’ai observé soit en particulier, soit avec les autres commissaires, plusieurs faits qui semblent favoriser la seconde opinion. » 200 CINQUIÈME LEÇON. Cette distinction entre les faits magnétiques proprement dits et les effets de l’imagination prouve les incon- ve'nients d’une théorie prématurée , comme l’était celle de Mesmer, et qui n’embrasse pas dans leur ensemble les phénomènes sur lesquelsel le repose. Si, moins préoccupé de son fluide universel, Mesmer avait pris comme nous, pour point de départ, l’influence qu’un homme exerce sur soi-même avant de l’exercer sur les autres, cet axiome incontestable eût tout d’abord mis sa doc- triue à l’abri de toutes objections sérieuses. La nature essentielle de l’imagination ne nous est pas plus connue que celle des autres facultés morales, dont la volonté semble la résultante ; mais nous savons fort bien qu’ainsi que cette dernière elle réagit puissamment, suivant son degré d’activité dans chacun de nous, sur tous nos actes organiques. L’imagination, en un mot, est une sorte de volonté dont nous n’avons pas toujours la conscience , et qui, lorsqu’elle acquiert une certaine prépondérance, finit par troubler à notre insu toutes nos fonctions. C’est ainsi du moins que je m’explique la mauvaise santé habituelle desaliénés, lorsque toutefois cette mauvaise santé n’est pas elle-même la cause première des troubles moraux qui ont lieu. Si les facultés morales, en effet, agissent sur les organes, les organes, à leur tour, réagissent sur ces facultés. Par quel intermédiaire s’effectue cette action'réciproque? c’est ce que personne ne dira jamais d’une façon positive; mais enfin, si ces relations de l’esprit avec le corps n’impliquent pas nécessairement l’existence d’un fluide, il s’en faut bien plus encore qu’elles en interdisent l’hypothèse. Cela posé, vous comprendrez sans peine que , pendant le cours RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME UE 1784 . 201 d’une expérience magnétique, l'imagination de l’individu qui est l’objet de cette expérience puisse s’exalter au point de lui faire éprouver des sensations vives et diverses tandis qu’il ne ressentira rien de l’action étrangère dirigée sur lui. Or, que prouvent, en dernière analyse,ces prétendus résultats négatifs dont on a fait tant bruit? rien, absolument rien, sinon que la folle du logis, comme disent les poètes, en est restée la maîtresse, et que, malgré le magnétisme comme le comprenait Mesmer, l’imagination continue à agir sur les organes, ce qui n’est nullement étrange. Ainsi, les faits dépendants de Vimagination rentrent, comme les faits négatifs , dans la catégorie de ceux qui ne peuvent être allégués ni pour ni contre le magnétisme. Voici, d’ailleurs, les principaux que rapporte de Jussieu 1° Pour connaître l’effet magnétique d’une première impression magnétique, je voulus magnétiser le premier une malade nouvelle qui paraissait susceptible d’éprouver des sensations. La première séance ne produisit rien ; sur la fin de la seconde, elle eut des soubresauts, d’abord légers et rares, qui augmentèrent assez promptement d’intensité et de nombre, sans occasionner de douleur. Le troisième jour, les mêmes mouvements reparurent dès le commencement de l’opération, et durèrent longtemps, quoique sur la fin j’eusse interrompu l’action magnétique. Je sortis de la salle; ils cessèrent peu après, au rapport des médecins présents. Rentré au bout d’un quart d’heure, je les vis recommencer avec la même force sans le secours d’aucun des procédés usités. Je sortis de nouveau, et bientôt ils se calmèrent. La malade, voulant prendre l’air sur une ter- 202 CINQUIÈME LEÇON. rasse,fut reprise des mêmes mouvements eu me voyant dans la cour. Retirée dans la salle et devenue plus tranquille, elle se disposa à s’en aller; mais me retrouvant encore au bas de l’escalier, elle eut un nouvel accès et fut obligée d’entrer dans une salle inférieure où je la laissai. Quelques jours après, je revis cette femme; elle avait été touchée dans l’intervalle par d’autres médecins et avait eu les mêmes soubresauts, mais non renouvelés de la même manière. Ma présence ne produisit point celte fois sur elle les effets observés précédemment; s’ils n’étaient point un jeu concerté, comme je ne puis le croire en me rappelant la nature et la force des mouvements, ils dépendaient certainement d’une imagination fortement excitée. » De Jussieu rapporte ensuite les expériences faites chez Mauduyt, sur trois personnes, par les commissaires réunis i° Une femme pusillanime, redoutant le magnétisme, dont on lui avait raconté les effets, refusant de s’y soumettre, étant magnétisée contre sa volonté pendant peu de temps, annonçait-par frayeur beaucoup de sensations, et presque toutes conséquentes aux questions qui lui étaient faites. Calmée ensuite par la cessation des mouvements, distraite par d’autres objets et magnétisée sur le dos à son insu et sans contact, pendant un quart d’heure, elle n’a rien éprouvé.» Je le crois volontiers ; chatouillez le pied d’un malade pendant qu’on lui fait l’amputation d’un bras, il ne s’apercevra pas du chatouillement. Aussi de Jussieu ajoute-t- il Ce fait est peu concluant, parce que la frayeur agissait trop puissamment et pouvait faire douter RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 203 les sensations énoncées; les suivants sont plus intéressants 2 ° Un homme ayant un côté du corps à demi paralysé, Une constitution très-irritable, un esprit à demi égaré, une imagination inquiète, un sommeil très- interrompu,avait essayé infructueusement l’électricité, .qui augmentait en lui le spasme au lieu de calmer scs maux. On le magnétisa sans lui expliquer le but de Icette opération qui ne lui était pas connue. D’abord ;il plaisanta sur l’appareil des procédés; bientôt il dit jsentir sur les parties magnétisées de légers effets correspondant aux mouvements exécutés devant lui. Instruit ensuite du nom et de l’objet de cet appareil, il consentit à se laisser bander les yeux. Dès lors, il divagua sur les effets, annonça des sensations sur les points du corps que l’on ne magnétisait pas, même lorsqu’on h était dans une inaction complète, et désigna rarement les parties magnétisées. Les mêmes résultats eurent lieu dans une seconde expérience pareille à la première; on opérait d’abord par attouchement, ensuite sans contact. Cet homme ne perdit point connaissance, et aucune de ses sensations ne se manifesta par des signes extérieurs que nous ayons pu saisir. » De Jussieu s’abstient de toute réflexion sur ce fait qui n’en mérite aucuue. Ce que je vous ai dit des effets si connus de l’imagination l’explique suffisamment. 3° Un autre homme se plaignait de faiblesse d’estomac et d’accès de nerfs assez fréquents. Il connaissait le magnétisme, dont il avait déjà une fois éprouvé l’action, et il désira renouveler l’épreuve. Magnétisé 204 CINQUIÈME LEÇON', d’abord comme le precedent , il eut également des sensations correspondant à nos mouvements, mais plus marquées, accompagnées de larmes, soupirs^ défaillance, somnolence, émissions d’humeur par les à lui, il se laissa bander les yeux. Ma-t gnétisé sans contact, ou même non magnétisé, il éprouva les mêmes effets avec celte différence remarquable quej sur le total des expériences faites alors sur lui, le tiers seulement offrit une correspondance entre l’action ma-j gnétique et la sensation énoncée. La perte de connaissance, survenue à la suite, nous réduisit à observer les sensations apparentes. Elles annonçaient un état de gêne qui, trois fois de suite parut alternativement se calmer et se renouveler lorsqu’on touchait successivement le haut de la poitrine et de l’estomac. Nous nous décidâmes à ôter le bandeau pour faire cesser l’accès. Gomme il durait encore, on promena devant lui le; doigt de haut en bas, suivant la doctrine du rnagné-i tisme, qui assigne à ce mouvement la propriété de dissiper le malaise, en répandant dans tout le corps le fluide concentré dans une partie. L’accès finit peu après, et quoique le malade attribuât cette cessation au dernier procédé magnétique, nous crûmes pouvoir nous dispenser de porter le même jugement. Une seconde expérience faite quelques jours après, de la même manière et sur la même personne, offrit plusieurs différences les premières impressions furent moins vives et moins nombreuses; il y eut une moindre correspondance entre les sensations avouées et les opérations; la somnolence fut plus longue; l’attouchement, qui avait paru diminuer l’état de gêne dans la séance précédente, RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME 1E 178i. 205 manqua son effet dans celle-ci, le malade revint à lui sans le secours du procède indiqué comme calmant. De ces divers faits réunis, ajoute de Jussieu,on peut conclure que l’imagination prévenue, mise en défaut, iexcitée par diverses causes réunies, agit avec assez ide force sur l’homme pour produire en lui les plus grands effets sans le secours d’aucun agent extérieur. » — C’est ce que nous avons établi déjà. 4° Faits indépendants de l'imagination. Voici, sans contredit, la partie intéressante et significative du rapport de de Jussieu ; car, ainsi que cet observateur en fait la remarque judicieuse, un seul fait positif qui démontrerait évidemment l’existence d’un agent extérieur détruirait tous les faits négatifs qui constatent seulement sa non action. Or, je vous laisse à juger la valeur des observations suivantes Placé d’un côté du baquet vis-à-vis une femme dont l’aveuglement, occasionné par deux taies fort épaisses, avait été, un mois auparavant, constaté par les commissaires, je la vis pendant un quart d’heure entier fort tranquille, paraissant plus occupée du fer du baquet, dirigé sur ses yeux,que de la conversation des autres malades. Dans le moment où le bruit des voix était suffisant pour mettre son ouïe en défaut, je dirigeai, à la distance de six pieds, une baguette sur son estomac, que je savais très-sensible. Au bout de trois minutes, elle parut inquiète et agitée ; elle se retourna sur sa chaise, assura que quelqu’un, placé derrière ou à côté d’elle, la magnétisait, quoique j’eusse pris auparavant la précaution d’éloigner tous ceux qui auraient pu rendre l’expérience douteuse. Ses inquiétudes se dissi- 206 CINQUIÈME le çon. pèrent presque aussitôt après lacessatiou de tnes mouve- ments;et elledevinl tranquille comme auparavant, sur- toutquandon lui eut certifie qu’elle n’avait derrière elle ni malade ni médecin. Quinze minutes après, saisissant les mêmes circonstances, je renouvelai l’épreuve, qui offrit exactement le même résultat. Toutes les précautions possibles en pareil lieu n’avaient point été négligées. J’étais assuré que la malade n’avait retiré d’autre avantage de son traitement que d’entrevoir confusément certains objets à quelques pouces de distance. Le jour tombait de côté sur elle et sur moi. Je ne pouvais me méfier ni des malades occupés de tout autre objet ni des médecins nouvellement admis à suivre le traitement, et qui cherchaient seulement à voir des effets. Un des chefs de la salle était présent, mais toujours à côté de moi, gardant le silence, et me laissant -opérera mon gré. L’heure avancée ne me permit pas de faire une troisième épreuve qui aurait peut-être augmenté la conviction. » — La conviction de qui, loyal de Jussieu? Ignoriez-vous donc qu’il est certaines têtes si malheureusement organisées que la vérité ne peut y tenir? Le hasard , ce dieu ridicule inventé par l’orgueil et la folie, eût expliqué votre troisième épreuve comme il fit des deux premières. — Le hasard, est le dernier argument de la sottise ou de la mauvaise foi les gens honnêtes et sensés ne l’invoquent presque jamais 1 . La crise d’uue autre malade était un spasme géné- 1 Je vis un jour un somnambule tire à travers le couvercle d’une boîte fermée un des quarante mille mots de la langue française. Un membre fort connu de l’Académie de médecine, qui était présent ii l’expérience , n’hésita point à attribuer ce phénomène au hasard. RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME DE 1784. 207 ral, accompagné de perte passagère des sens, sans aucun mouvement violent. La tête était portée en avant, les yeux fermés, les bras repliés en arrière et étendus sur les côtés, les mains ouvertes, les doigts très-écartés. Mon doigt, en contact sur son front, entre les yeux, paraissait la soulager un peu. Si je le retirais doucement, la tête, quoique n’étant plus en contact, le suivait machinalement dans toutes sortes de directions, et venait se reporter contre lui. Si, après avoir ainsi dirigé sa tête d’un côté je présentais mon autre main à un pouce de distance de sa main opposée, elle la retirait précipitamment avec le signe d’une impression vive. Les mouvements ont été répétés trois ou quatre fois en dix minutes; mais au bout de ce temps, le spasme diminuant, la sensibilité ne fut plus la même. Remise de cet état, la malade ignorait ce qui s’était passé '. Les moindres mouvements magnétiques faisaient sur une autre malade une impression si vive que, lorsqu’on promenait plusieurs fois le doigt à un demi- pied de son dos, sans qu’elle pût le prévoir, elle était prise sur-le-champ de mouvements convulsifs et de soubresauts répétés qui lui annonçaient l’action exercée et duraient autant que cette action. Mon premier et unique essai sur cette malade produisit le même effet dont j’avais été témoin quatre ou cinq fois. a Les salles de traitement contenaient plusieurs autres malades de différents sexes et de constitutions plus plus ou moins irritables, qui éprouvaient aussi, mais moins vivement, l’effet précédemment énoncé, surtout * Cette malade était endotmie, sinon en somnambulisme. 208 CINQUIÈME LEÇON, lorsqu’ils avaient été excités par des attouchements sur l’estomac. Si on agitait, à leur insu, le cîoigt sur leur tête ou le long de leur dos sans les toucher, et même à quelque distance, iis sautaient souvent avec vivacité en tournant la tête pour voir la personne placée derrière eux. Ce mouvement involontaire et imprévu était excité surtout par les médecins nouvellement admis, qui, avant d’exécuter ouvertement les procédés indiqués, restant hors du cercle des malades, essayaient par derrière, et avec méfiance, la propriété de l’agent qu’on leur avait fait connaître enhardis par le succès, ils passaient ensuite à une pratique plus étendue. J’avais produit d’abord assez fréquemment cet effet; mais pouvant soupçonner, ou que les malades pressentaient mon action, on que la sensation aurait eu lieu sans moi, je m’arrêtais longtemps auprès d’eux, attendant le moment favorable pour l’épreuve ; elle me réussissait presque toujours. Lorsque je n’agissais point, le tressaillement n’avait pas lieu. Le même effet, produit par d’autres, s’est manifesté quelquefois sur les malades dont j’occupais l’attention par des attouchements opposés. Ces faits sont peu nombreux et peu variés, parce que je n’ai pu citer que ceux qui étaient bien vérifiés et sur lesquels je n’avais aucun doute. Ils suffiront pour faire admettre la possibilité ou existence d’un fluide, ou agent, qui se porte de l’hoinme à son semblable et exerce quelquefois sur ce dernier une action sensible. » Il est à regretter que de Jussieu n’ait pas rapporté un plus grand nombre d’expériences analogues à celles 209 RAPPORTS SUR LE MAGNÉTISME RE 1784 . qui précèdent. Cependant, si l’on tient compte du mérite de cet observateur, dont la sagacité égalait la bonne foi, ces expériences sont plus que suffisantes pour établir clairement un ordre de faits d’un intérêt immense et se dérobant aux principes jusqu’alors adoptés par les physiologistes. Aussi, de Jussieu a-t-il cru devoir faire entrer dans son rapport une théorie de ces faits; théorie défectueuse sans doute, parce qu’elle ne pouvait alors être complète, mais qui néanmoins me paraît supérieure à celle de Mesmer. Je vais donc vous en donner la substance, en m’efforçant de ne pas altérer l’enchaînement des propositions qui la constituent. Suivant de Jussieu Le corps humain est soumis à l’influence de différentes causes, les unes internes et morales, telles que l’imagination; les autres externes et physiques, comme le frottement, le contact, et l’action d’un fluide émané d’un corps semblable. Les dernières causes peuvent se réduire à une seule, plus simple et plus universelle. L’action générale des corps, élémentaires ou composés, dont nous sommes entourés. Cette action est uniforme, et souvent insensible. Plus vive lorsqu’elle agit par le frottement que lorsqu’elle s’exerce par simple contact, elle ne s’opère à distance que sur certains sujets susceptibles de ressentir les plus légères impressions. Mais comment cette triple action s’opère-t-elle? quel est le principe qui s’insinue ainsi dans les corps? De Jussieu pense que ce principe est la chaleur et voici de quelle manière il développe cette hypothèse A l’exemple de Locke et de Condillac, que peut-être U 210 CINQUIÈME LEÇON, il aurait dû citer, il admet d’abord dans les corps animes deux principes celui de la matière et celui du mouvement. Ce dernier, suivant lui, doit être regardé comme l’agent immédiat de toutes les fonctions animales. Dirigé par des lois immuables ou altéré quelquefois par des causes étrangères, il tend toujours à suivre l’impression primitive et générale qui lui a été donnée; mais il est souvent détourné, altéré, repoussé par les corps soumis à son action. Cherchant toujours à se mettre en équilibre, il s’insinue dans les uns et il s’échappe des autres, en raison de sa quantité contenue en chacun d’eux. Mobile par essence, il se fixe en devenant partie d’eux-mêmes; mais, dégagé ensuite, il reprend sa première nature pour aller se fixer dans d’autres corps. C’est ainsi que les êtres, mus par ce principe , le donnent et le reprennent continuellement. Principe de mouvement dans la naturee entière, il devient celui de la chaleur animale dans les corps vivants; de là cette correspondance marquée entre les variations de l’atmosphère et l’état de nos organes. >' De Jussieu n’attache, au reste, qu’une importance médiocre, à cette conception d’un agent particulier, principe de là chaleur animale ; et il consentirait aisément à ce qu’on ne vît dans cet agent qu’une modification de l’électricité ou du fluide magnétique minéral. J.,a matière introduite dans le corps animal, dit-d , et transformée en sa substance, change pour ainsi dire de nature en devenant organique; de même, le principe actif, qui dans l’air est simplement électrique, reçu dans le corps animal modifié par son union avec la RAPPORTS SUU LE MAGNÉTISME IE 1784. 211 matière, et par l’impression organique, y prend une autre forme et diverses propriétés seeondaires, eu restant néanmoins assujetti aux lois primitives.» La principale de ces lois est celle de l’équilibre, à laquelle le fluide électrique obéit constamment lorsqu’il est abandonné à lui-même. Poussé par cette force impérieuse, ce fluide se jette avec impétuosité sur les corps privés d’électricité, et s’échappe avec le même effort de ceux dans lesquels il est accumulé. Cet effort, exercé du centre à la circonférence, forme autour de ces derniers une atmosphère électrique, démontrée par les expériences, sensible au tact, et plus ou moins étendue, selon la quantité et l’activité du fluide contenu, selon la forme du corps qui le contient. Elle est plus circonscrite autour des surfaces unies; elle se porte plus loin au-devant des prolongements aigus, et c’est précisément par ces derniers que la communication est mieux établie. Répandu dans l’air sans s’unir à lui, ayant avec l’eau la plus grande affinité, ce fluide est saisi par les vapeurs élevées de terre; condensé dans les nuages, il y forme de grands météores; ramené sur la terre avec l’eau de la pluie, il la pénètre et y porte la vie et la fécondité. » De Jussieu suppose que le même principe, modifié dans les corps organiques, doit suivre à peu près les mêmes lois; c’est-à-dire qu’il tendra sans cesse à se mettre en équilibre dans des différents êtres en contact ou rapprochés les uns des autres, et dont chacun, suivant sa constitution particulière, sera plus ou moins apte à l’attirer ou à le retenir. Tout être vivant, dit-il, est un véritable corps électrique, constamment impré- 212 CINQUIÈME LEÇON. gué de ce principe actif, niais non pas toujours eu même proportion. Les uns en ont plus, et les autres moins; de là, en partie, cette différence, soit dans les tempéraments, soit dans les constitutions journalières. » De Jussieu prend peut-être ici la cause pour l’effet; mais sa réflexion n’en dénote pas moins une rare perspicacité; il continue ainsi 3 mocritePD’où venait cette image? car, suivant Démo- crite, les images émanent des corps solides qui ont une forme certaine. Qu’était-ce donc que le corps de Marius? —Celui, répondra Démocrite, qu’il avait autrefois, car tout est plein d’images. — C’est donc l’image de Marius qui me suivait près d’Attina * ? » Que signifie ce commentaire sur le corps réel ou fictif de Marius, puisque son frère ne prétendait pas que ce dernier fût sorti de sa tombe pour lui parler? Quand j’étais proconsul en Asie, lui dit Quintus, comme pour le convaincre, il me sembla vous voir à cheval au bord d’un fleuve. Vous y tombâtes avec votre cheval; mais, tout à coup, vous reparûtes à l’autre rive, monté sur le même cheval; nous nous embrassâmes 2 . » Cicéron avoue le fait Oui, dit-il, mais comme vous pensiez a moi, vous crûtes me voir sortir du fleuve. C'est que nous gardions tous deux, dans notre âme, des traces de ce qui nous occupait avant notre sommeil 3 . » a Mais je vous ai vu à cheval , répliqua Quintus, vous tombiez dans le fleuve avec votre cheval. — Oui, mais vous pensiez à moi, je pensais à vous, il y avait sympathie, et vous avez cru me Mais le fait en lui-même, si nettement déterminé, mais la chute dans le fleuve; mais le cheval, qui ne pensait pas plus à Quintus que celui-ci ne pensait à lui, et qui n’avait certainement pas laissé de traces dans * De la divination, liv. n, S 48- a Id., § 28 . * Id., § 48 . 364 NEUVIÈME LEÇON. son amei... Quintus a-t-il vu tout cela, oui ou non? — Assurément Cicéron divague, et il le sent bien, car il ajoute Il est vrai qu’il se joint à votre songe l’idée du cheval que je montais, et qui, d’abord englouti avec moi, reparut avec moi sur l’autre rive. Mais.... croyez-vous qu’il se trouvât quelque vieille assez insensée pour ajouter foi aux songes s’ils n’of- fraient quelques hasards de ce genre? » Ce dernier trait, messieurs, peint l’auteur du Traité sur la divination, livre qui a pourtant servi de modèle à tant d’ouvrages du même genre que nous nous dispenserons de réfuter. Laissant de côté désormais la partie dogmatique, je vais consacrer le reste de cette leçon à l’examen rapide des principaux faits de somnambulisme dont le monde s’est occupé. Je dis seulement des principaux, car ces faits sont innombrables; vous ne pouvez manquer de le comprendre. Mais il en est parmi ceux dont j’ai avons entretenir qui ont exercé sur les destinées humaines une influence considérable. En vous exposant dans ma deuxième leçon l’histoire du magnétisme, je n’ai pu m’empêcher de vous citer les lois de Moïse qui frappaient les pythies et ceux qui les consultaient. Les quelques versets de XExode et du Deutéronome que je vous ai rapportés renferment à peu près ce que nous possédons de plus précis sur l’histoire du somnambulisme chez les Egyptiens et les Hébreux. Ces pythies, dont il est question dans les versets, étaient, selon toute apparence, des somnambules magnétiques; mais nous ne savons s’il en était de même àe Samuel, que Saül alla consulter pour savoir HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 365 ce qu’étaient devenues les ânesses de son père, égarées depuis plusieurs jours', et des quatre cents prophètes qu’Achab, roi d’Israël, rassembla pour apprendre d’eux s’il devait faire la guerre pour prendre Ramotb en Galaad 2 . Samuel et les prophètes d’Achab, que l’Écriture désigne sous le nom de voyants, étaient peut- être des extatiques. Deleuze, dans son Mémoire sur la prévision, a traité en philosophe chrétien la question des grands prophètes et des faux prophètes. Les premiers, selon lui, étaient réellement inspirés de l’esprit divin, tandis que les faux prophètes n’étaient que des somnambules. C’est- à-dire que les uns et les autres voyaient l’avenir, mais les premiers seulement pouvaient prédire avec certitude les événements les plus éloignés, et notamment celui qu’ils avaient mission d’annoncer aux hommes. Quant à moi, j’adopte aveuglément les opinions de Deleuze sur ce sujet délicat, et, dans la crainte d’être conduit par une discussion trop indépendante à d’autres conclusions que les siennes, je m’empresse déplacer la question sur un terrain moins périlleux en vous parlant des oracles. Les oracles sont aux théogonies païennes ce que les prophètes sont au christianisme. Ils eurent, comme eux, pendant des siècles, un caractère sacré que respectèrent les philosophes de la Grèce. Dieu, dit Socrate, ne se manifeste pas immédiatement à r’homme c’est par l’entremise des esprits que les dieux commercent avec les hommes et leur 1 Rois, liv. iii, cliap. y. * Id., chap. 33. 366 NEUVIÈME LEÇON. parlent, soit pendant la veille, soit pendant le sommeil *. » L’origine des oracles se perd dans la nuit des temps. Celui de Jupiter Ammom, dans la Libye, et celui de Dodoue, en Grèce, passent pour les plus anciens 2 ce dernier, suivant Macrobe, existait déjà quatorze cents ans avant Jésus-Christ 3 . Cependant Plutarque qui vivait dans le premier siècle de l’ère chrétienne, avance que l’oracle de Delphes comptait alors plus de trois mille ans d’existence *. Si, d’un autre côté, l’on en croit les poètes, Cassandre chez les Troyens, et, dans le Latium, Nicostrate ou Carmente, mère d’Evandre, sont les plus anciens oracles connus. Enfin, la sybille de Cumes, suivant Virgile, prédisait déjà dans la Campanie lorsqu’on y aborda s . Au surplus, la question d’ancienneté est ici tout à fait oiseuse; car, si la nature humaine n’est pas changée depuis la création du monde, il est plus que probable qu’il y eut de tout temps des extatiques, et partant des oracles. Le grand nombre de ceux dont l’histoire nous a conservé le souvenir prouve d’ailleurs combien était générale la foi qu’ils inspiraient au beau temps de la Grèceet connaissait alors, indépendamment de ceux que j’ai nommés déjà, les oracles de Jupiter * Platon, Banquet, t. VI, p. 298. * Strabon, liv. xvii, t. III, p. 117. 5 Macrobe, Saturnales , liv. 1, chap. 28. 4 Plut., Des oracles de la-pythie, p. 184. “ Éneïde, lib. vx. HISTOIRE DU SOMNAMBüLISME. 367 Olympien à Agésipolis, de Vulcain à Héliopolis, d’Apollon à Claros, de Mars dans la Thrace, de Vénus à Aphaca, d’Esculape à Epidaure, à Egée et à Rome, de Sérapis et d’Isis en Égypte, de Trophonius et d’Am- phiaraüs en Grèce, de Mopsus en Cilicie, etc., etc. Mais le plus célèbre de tous était sans contredit celui de Delphes, sur lequel saint Basile, Origène et saint Chrysostôme nous ont conservé les détails les plus intéressants. Il est impossible, après avoir lu ces Pères, de ne pas reconnaître le somnambulisme, et préalablement l’accès d’hystérie qui si souvent le précède et le détermine dans les fureurs de la pythie, si bien décrites par Virgile. Saint Basile s’exprime ainsi Vous parlerai-je de la pythie? la pudeur m’arrête; elle devrait me fermer la bouche. Il est pourtant nécessaire que je révèle ses indécents mystères pour faire connaître et la turpitude des prêtres et la folie de ceux qui les consultaient. La pythie, donc, était forcée de s’asseoir sur le trépied d’Apollon, les jambes écartées. Le mauvais esprit se glissait par les parties sexuelles, et remplissait la pythie de fureur 1 . C’était alors que ses cheveux se dressaient, qu’elle se débattait violemment, rendait l’écume par la bouche et proférait des mots pleins d’ivresse et de folie. » Origène 2 et saint Chrysostôme 3 rapportent le fait de la même manière et presque dans les mêmes termes. Dicitur ergo ipso, pythia mulier queedam sedere in Apollinis tripode deduclis cruribus ; inde malus spiritus deorsum reddilus, et per génitales ejus partes transiens, furore mulierem implere. S. Basil., supra prima Epistol. ad Corinthios. * Narratur valem illam desidere super foramen specus caslalii, 368 NEUVIÈME LEÇON. Mais quel était cet esprit malin malus spiritus qui s’introduisait dans le corps de la prêtresse? évidemment une exhalaison du sol, une vapeur volcanique, un gaz, peut-être un sulfure d’hydrogène, et plus vraisemblablement de l’acide carbonique, dont il existe encore aujourd’hui des réservoirs naturels dans le voisinage de plusieurs volcans, et notamment dans la fameuse grottedu Chien, près de Pouzzoles. Ce gaz, ou cette vapeur, en pénétrant dans l’utérus des jeunes femmes qu’on exposait cà son influence, déterminait chez elles l’exaltation frénétique et les symptômes bizarres que décrivent les historiens ; mais ceci demande explication. L’hystérie, maladie très-fréquente de nos jours comme elle le fut peut-être dans tous les temps, estime affection nerveuse particulière aux femmes, et dont le siège est la matrice. Les médecins modernes sont fixés sur ce point, et Broussais affirme, dans son Cours de pathologie générale, avoir soigné une hystérique chez laquelle ou déterminait infailliblement l’accès en pinçant le col utérin. Un très-grand nombre d’expériences faites il y a quelques années à l’hospice de l’Oursine ont prouvé, en outre, que l’introduction dans la matrice d’un liquide irritant ou simplement astringent, tel que la décoction et ascendentem indc spirilum per muliebre gremium recipere, quo repleta profert ista prœclara et divina, ut putantur, oracula. Okig. contr. Cels., lib. vii. 3 Dicitur pythia insedere Iripodi quandoque Apollinis , ac qui- dem cruribus apertis; sicque malignum spirilum inserere, in corpus ejus penetranlem, ipsam implere Jurorc. S. Ciirvsostomus, Homel. 20, in Cor. 22. HISTOIKK DU SOMNAMBULISME. 360 de noix de galle, donne lieu instantanément aux accidents hystériques les mieux caractérisés. De simples injections d’eau froide ont meme suffi plusieurs fois pour produire le même effet. — Le gaz qui se dégageait sous le trépied sacré agissait donc à la manière de ces corps étrangers. Il n’est pas étonnant, dit M. le comte Abrial, que la pythie sentant les premières atteintes de celte vapeur malfaisante, cherchât à s’y soustraire en quittant le trépied, mais les prêtres étaient là qui l’y retenaient malgré elle. De là tous les symptômes qu’on attribuait à la présence du dieu, qui était censé la dompter la poitrine oppressée, l’œil égaré, la bouche écumante. Si, malheureusement, on ne gardait pas de mesure dans l’introduction de la vapeur, l’état de la pythie devenait affreux. On en a vu succomber, d’autres rester deux ou trois jours à se remettre. Bientôt on reconnut qu’une seule pythie ne pouvait suffire à des expériences si dangereuses, on en multiplia le nombre L » Lorsque la pythie était descendue du trépied, elle tombait dans une langueur profonde qui se dissipait peu à peu, après quoi elle reprenait ses sens et oubliait ses prophéties. Les oracles de Delphes n’étaient donc que des hystériques; tous les médecins en conviendront; mais ils ne manqueront pas d’objecter, en même temps, que l’hvs- térie n’étant pas toujours accompagnée d’extase ou de somnambulisme ces deux mots, pour nous,sont désormais synonymes les influences de l’antre sacré, tout en expliquant les Jureurs des prêtresses, ne rendent pas 1 Annales du magnétisme, n° xxx. *24 370 NEUVIÈME LEÇON, compte de leurs visions. Or, à cela je répondrai i° que nous ignorons ce que devient l’hystérie lorsque la cause qui la provoque agit sans interruption pendant un temps plus ou moins long ; 2 ° que cette cause étant ici d’une nature spécifique, il pouvait en résulter des effets particuliers; 3° enfin, que, selon toute probabilité , les prêtres d’Apollon choisissaient leurs sujets et ne conservaient pour l’usage public de leur culte que ceux dont la constitution répondait à ses exigences. Diodore de Sicile nous fait connaître comment l’oracle de Delphes fut découvert, et son récit concorde avec nos conjectures Cet oracle, dit-il, fut trouvé par des chèvres. Il s’était formé une ouverture dans la terre, là où est aujourd’hui le temple. Quelques chèvres s’en étant approchées, on fut étonné de leur voir faire des sauts extraordinaires et rendre des sons plus extraordinaires encore. Un pâtre curieux veut connaître la cause de ce prodige il avance sa tête sur l’ouverture, et aussitôt, saisi d’une fureur divine, il se met à prédire l’avenir. Le bruit s’en répand; tout le monde accourt, chacun veut essayer s’il obtiendra la vertu prophétique. Le succès est constant. Mais il arriva bientôt que des prophètes trop avides furent victimes de leur curiosité et périrent par la force de la vapeur. Ce fut alors qu’on imagina de confier le sort de l’oracle à une femme '. » Enfin, Hérodote ajoute que bientôt, au lieu d’une, on en choisit plusieurs 2 . 1 Diodore, Devila Alexandri. * Hérodote, Erato. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 371 Ainsi, le trouble prophétique ou le somnambulisme qui, à Delphes, s’emparait de la pythie, n’avait rien que de naturel, puisque l’émanation qui le produisait agissait sur les profanes aussi bien que sur elle-même, sur les animaux comme sur les hommes, et ce fut lorsque cette vapeur se perdit dans la terre que l’oracle cessa , ainsi que Plutarque et Cicéron en ont fait la remarque. Au surplus, l’antre de Delphes n’était pas le seul qui communiquât le don de prophétiser, et l’on voyait naître des oracles partout où les prêtres découvraient des réservoirs d’acide carbonique je persiste dans cette hypothèse formés par la nature dans des terrains volcaniques dont le temps a aujourd’hui épuisé les émanations. Tel était l’antre de Trophonius, où descendit le jeune Titnax’que pour consulter le dieu et recevoir ses communications en songe. Le prêtre qui le conduisait eut soin de le faire coucher sur le sol, pour le rendre plus accessible à l’influence du gaz, qui, plus lourd que l’air atmosphérique, en occupe toujours les couches inférieures. Timarque reçut alors un violent coup au cerveau, sorte d’étourdissement apoplectique qui précéda son soiïimeil. Strabon parle d’une caverne du même genre, qu’il place entre Fralcès et Népé, et qui était consacrée à Pluton et à Junon, dont elle surmontait le temple. Les malades se rendaient à l’entrée de cette caverne; les prêtres allaient y dormir pour eux, et revenaient ensuite leur indiquer les remèdes qu’ils avaient vus en songe. Si les malades voulaient consulter eux-mêmes, on les conduisait plusieurs fois dans l’antre où l’on finissait par les laisser plusieurs jours sans nourriture; 372 NEUVIÈME LEÇON, après quoi ils s’endormaient du sommeil prophétique, et l’en recueillait, pour les leur rapporter, les paroles qu’ils prononçaient. Ce lieu, ajoute Strabon , était inaccessible et mortel à tous ceux qui y pénétraient sans l’assistance des prêtres. Chaque année, l’on célébrait une fête près de cet antre sacré. Des jeunes gens nus et frottés d’huile donnaient la chasse à un taureau qu’ils forçaient d’y entrer. Parvenu à un certain endroit, l’animal tombait mort 1 , ce qui s’explique aisément le taureau, comme les profanes qui s’aventuraient sans guides, était asphyxié en arrivant au fond de la caverne, où l’acide carbonique n’était plus mêlé d’air respirable. Le hasard qui fit découvrir les émanations gazeuses et leur merveilleux effet, conduisit sans doute les prêtres païens à chercher dans d’autres agents des propriétés analogues. Voilà donc comment ils reconnurent que certaines eaux jouissaient aussi bien que les vapeurs de Delphes, de Trophonius, etc., de la vertu d’inspirer l’esprit prophétique. Jamblique parle en ces termes de la fontaine de Co- lophone Il est reconnu par tout le monde, que l’oracle de Colophone rend ses réponses par l’eau. Il est constant, en effet, qu’il y a dans un antre souterrain une fontaine de laquelle boit le prophète. Après que toutes les formalités prescrites ont été remplies pendant plusieurs nuits et que le prophète a bu de cette eau, il vaticine, rendu invisible à tous les assistants. On reconnaît bien aisément par là que cette eau est divinatrice 5 . » 1 Strabon, liv. xiv. * Jamblique, De mysleriis, sect. in, c. aa. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 373 On reconnaît aussi, ajouterons-nous, que cette invisibilité du prophète n’était qu’une charlatanerie bien aisée à pratiquer au fond d’un antre. Mais tel était l’usage des prêtres du paganisme ils cherchaient constamment à déguiser la vérité, en donnant aux choses les plus simples le prestige du merveilleux. Quelle était la composition de l’eau sacrée de Colo- phone? Devait-elle à ses propriétés naturelles ou aux ingrédients qu’on y mêlait l’action qu’elle exerçait sur les centres nerveux? c’est ce que nous ignorons. Nous savons, à la vérité, que les eaux gazeuses portent au cerveau, et déterminent même chez quelques personnes délicates une sorte d’ivresse passagère, qui n’est pas sans rapport avec l’extase; mais cette circonstance ne suffirait pas pour nous rendre compte des oracles de Colophone, si les auteurs ne nous apprenaient que le prophète, tout en buvant l’eau divine, se préparait pendant plusieursnuits à en subir l’influence. Cette préparation consistait peut-être à garder l’abstinence, pratique usitée, comme nous l’avons vu, dans l’antre deTropho- nius. Or, on sait aujourd’hui qu’une diète rigoureuse, continuée pendant plusieurs jours , prédispose singulièrement aux visions et aux hallucinations, c’est-à-dire à un état d’exaltation cérébrale qui diffère peu de l’extase. Pline le naturaliste confirme la vertu prophétique de l’eau de Colophone, mais sans parler de l’invisibilité du prophète, et en ajoutant qu’un usage trop fréquent de cette eau pouvait abréger la vie * Colophone in Clarii Apollinis specie lacuna est, cujus potu mirareddunturoiacula, bibentium breviore vila.» Plin., lib. il, c. io5. 374 NEUVIÈME LEÇON. L’orateur Aristide, dans l’éloge qu’il fait du puits d’Esculape, à Pergame, dit aussi quelques mots des fontaines sacrées qui communiquaient le don de prophétie 1 . Enfin Sénèque parle, dans ses Questions naturelles, du fleuve Lyncestius, et de plusieurs lacs dont les eaux rendaient furieux ou endormaient ceux qui en avaient bu. Ces eaux, dit-il, ont une force semblable à celle du vin, mais plus active; car de même que l’ivresse, tant qu’elle subsiste est une démence qui se termine par l’assoupissement, de même la force sulfureuse de cette eau a quelque chose de pénétrant qui transporte l’esprit de fureur ou l’accable par le sommeil 2 . » Voilà, messieurs, des témoignages dont la gravité ne saurait nous laisser de doute sur l’exactitude des faits. Mais quant à la véritable nature de ces faits eux-mêmes, c’est-à-dire quant aux causes qui les produisaient, nous ne pouvons que nous livrer àdes conjectures. Existait-il réellement des eaux narcotiques ou enivrantes, qui, sans aucune préparation , déterminaient le somnambulisme? Les prêtres d’Esculape, indubitablement initiés au magnétisme, avaient-ils aussi le secret de magnétiser l’eau des fontaines? Enfin, y mêlaient-ils, dans des proportions convenables, certains spécifiques dont l’effet leur était connu?... Ce qui, dans ces temps reculés, était déjà pour les profanes un mystère impénétrable, doit, à plus forte raison, en rester un pour nous. Au surplus, tous les oracles n’étaient pas inspirés ou mis en crise par des agents extérieurs. 11 y avait parmi eux des individus sujets à des accès de som- ' Aristid., Opéra, tom. I, p. 447- s Senec., Quest. natur., lib. h, cap. io3. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 375 nambulisme spontané et quelquefois même volontaire. Telle était, apparemment, la sibylle de Cumes, que Tacite fait arriver à Rome, sous le règne de Tarquin, l’an du monde 34^5 *. Tous les visionnaires ou les crisiaques de l’antiquité n’étaient pas indistinctement considérés comme des oracles; mais tous, néanmoins, avaient aux yeux du vulgaire un caractère sacré auquel plusieurs ont dû une grande partie de la renommée qui leur a survécu. Socrate est le plus célèbre des extatiques de la Grèce. Platon, son éloquent interprète, ne nous laisse aucune incertitude sur la nature de ses crises. Elles le prenaient subitement, l’isolaient du monde extérieur, et c’est alors qu’il croyait entendre la voix d’un dieu ou d’un génie qui l’instruisait des périls dont il était menacé et lui révélait l’avenir. Socrate, au siège de Polidée, eut une de ces crises qui dura douze heures, pendant lesquelles il demeura debout, immobile, au milieu d’une plaine et sous un soleil brûlant. Ces accès d’extase, selon toute apparence, se renouvelaient fréquemment Laissez Socrate où il est, dit Aristodème dans le Banquet ; il lui arrive souvent àe, s’arrêter ainsi en quelque endroit qu’il se trouve; vous le verrez bientôt, si je ne me trompe; ne le troublez pas, et ne vous occupez pas de lui 2 . » Socrate avait nettement la conscience de ce qui se passait en lui pendant ses crises, car voici comment il en parle 1 Tacite, Hist., liv. i. 4 Platon, Banquet. 376 .NEUVIÈME Il me semble, mon cher Criton, que j’entends tout ce que je viens de dire, et le son de toutes ces paroles résonne si fort à mes oreilles qu’il m’empêche d’entendre ce qu’on me dit d’ailleurs » Socrate, enfin, sans prévoir exactement le retour de ses accès, sentait qu’ils étaient provoqués en lui parla nature des choses dont il s’occupait, ou par les lieux où il était Ecoute-moi donc en silence, dit-il à Phèdre, car ce lieu a quelque chose de divin, et si les nymphes qui l’habitent me causaient, dans la suite de mon discours, quelque transport frénétique, il ne faudrait pas t’en étonner 2 . » Ee génie familier de Socrate a été l’objet de commentaires nombreux. Parmi les critiques de cet homme célèbre, ceux-ci ne virent que des hallucinations dans ses pressentiments, que ceux-là traitaient de jongleries. C’est par pur hasard, disent les derniers, que Socrate allant souper chez Androclès, refusa de prendre la rue des Coffretiers, sous prétexte qu’il avait pressenti l’arrivée dans cette rue d’une troupe de pourceaux couverts d’ordures, qui y passèrent en effet quelques moments plus tard; et c’est encore par hasard qu’à la bataille de Délimn il eut la fantaisie de se séparer seul des fuyards, qui, en suivant la route qu’il évita, tombèrent dans la cavalerie ennemie. Socrate, messieurs, n’était ni un fou ni un charlatan ; c’était simplement.... un extatique. Le somnambulisme eut dans les premiers temps 4 Platon , Criton. 1 Id., Phèdre. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 377 de notre histoire le caractère sacré que lui avait donné l’antiquité grecque. Les druidesses } que l’on consultait dans les occasions difficiles, étaient entourées de vénération chez tous les peuples des Gaules et de la Germanie. Douées de talents singuliers, dit un ancien géographe , elles guérissent les maladies réputées incurables, connaissent l’avenir et l’annoncent aux hommes '. » Les druidesses étaient donc consultées pour les maladies comme pour les affaires publiques. Elles vivaient dans la retraite, n’étaient visitées que par les prêtres ou par leurs parents, et recevaient des présents en échange de leurs conseils. La célèbre Vellèda, que M. de Chateaubriand fait figurer dans ses Martyrs, se tenait renfermée dans une haute tour dont elle ne sortait presque jamais. C’était, nous dit Tacite, un de ses proches les plus distingués qui allait la consulter, et qui rapportait sa réponse comme celle d’un oracle ou d’un dieu 2 . Les druidesses étaient-elles des extatiques ou des somnambules magnétisées par les druides? cette question se dérobe avec tant d’autres sous le voile mystérieux qui couvrit toujours le culte de nos ancêtres; mais les notions que les druides avaient certainement du magnétisme tendraient à me faire opiner dans le sens de la seconde hypothèse. Si le somnambulisme, après avoir rendu d’éminents services à l’antiquité, n’a laissé dans le moyen âge que de déplorables souvenirs, c’est que le caractère surnaturel que lui avaient conservé l’ignorance et la super- * Pomponius Meta, De situ orbis, t. III, c. 6. 3 Tacite, Hist., liv. iv. 378 NEUVIÈME LEÇON. stition ne pouvait s’harmoniser avec le dogme du christianisme. L’empereur Théodose, à la fin du iv e siècle, avait proscrit le culte des idoles, et les oracles cessèrent lorsque les lois eurent fermé les temples païens. Alors les visions des extatiques n’étant plus sanctifiées par l’autorité du sacerdoce, ces malheureux se virent flétris par l’opinion publique qui, après avoir adoré en eux les interprètes de la Divinité, crût découvrir dans leurs convulsions lés manifestations de l’esprit du mal. Il y eut pourtant, de loin en loin, quelques rares exceptions en faveur de personnes dont les vertus et la pureté ne permettaient aucun genre de suspicion déshonorante. Néanmoins comme on était dans la nécessité de faire intervenir en pareils cas quelque puissance surnaturelle , ce fut la main de Dieu qu’on crut voir à la place du génie des ténèbres. Jeanue d’Arc et sainte Thérèse eurent donc leur place exceptionnelle entre les sorciers et les possédés. Rappelons-nous, toutefois, que la première, avant d’être réhabilitée par quelques écrivains qui devançaient leur siècle, fut brûlée comme sorcière; mais, cent ans après, on canonisait dans sainte Thérèse les révélations et les apparitions qu’on avait condamnées comme œuvres du démon dans la vierge de Vaucouleurs. — Toute l’histoire du moyen âge est dans ces deux biographies. Dès l’âge de treize ans, dit Jeanne d’Arc, une voix se fit entendre à moi dans le jardin de mon père. Elle était à droite, du côté de l’église, et accompagnée d’une grande clarté. J’en eus peur dans les commencements. Mais je reconnus que c’était la voix d’un ange qui HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 379 m’a bien gardée depuis et qui m’a appris à bien me conduire et à fréquenter l’église. C’était saint Michel '. » Le miracle , comme vous voyez, se préparait de loin , car il ne s’agissait pas encore de sauver Charles VII et la France. Remarquez, d’ailleurs, comment les choses se passent La jeune fdle voit une grande clarté en même temps qu’elle entend la voix; double hallucination qui caractérise l’exaltation cérébrale et l’expansion du sens interne. Quelques pieuses réminiscences font le reste. Cinq ans après, une nouvelle crise a lieu; mais, cette fois, les préoccupations de sa patrie et les dangers qui la menacent vont servir d’aliment aux facultés de l’extatique. Elle entend une voix qui lui dit Que Dieu a grand’pitié du peuple de France et qu’il faut qu’elle aille pour le sauver; qu’elle trouvera à Vaucouleurs un capitaine qui la conduira, sans obstacle au roi 1 2 . » Le 12 février 1428, jour même du funeste combat de Rouvray-Saint-Denis, Jeanne dit à messire Robert de Beaudricourt, gouverneur de Vaucouleurs, que le roi a eu grand dommage devant Orléans,.et au- rait encore plus si elle n’était menée devant lui. » L’exactitude de cette nouvelle anticipée décide Beaudricourt à envoyer Jeanne au roi 3 . Le lendemain, au moment de son départ, quelques 1 Notice des manuscrits de la Bibliothèque du roi, t. III, p. 36. 2 Jd., 3og. s Histoire de Jeanne d’Arc, par Lebrun des Charmettes, t. I, p. 336. 380 NEUVIÈME LEÇON, personnes demandant à Jeanne comment il était possible qu’elle osât entreprendre ce voyage à travers la foule de gens armés qui battaient le pays, elle répondit qu’elle trouverait le chemin libre. En effet, il ne lui arriva aucun accident, non plus qu’à ceux qui l’accompagnaient pendant ce voyage, qui dura onze jours, en pays ennemi, à la fin de l’hiver et sur une route de cent cinquante lieues coupée de rivières profondes Au moment où elle entra chez le roi, un homme à cheval qui la vit passer demanda à quelqu’un Est-ce pas là la Pucelle? Comme on lui répondit affirmativement, il dit en reniant Dieu jarnidieu, que, s’il l’avait seulement une nuit, elle ne le quitterait pas vierge. Jeanne l’entendit, et, tournant la tête Ha, en mon Dieu! tu le renyes, dit-elle, et si près de ta mort! » Environ une heure après, cet homme tomba dans l’eau et se noya 2 . Le mois suivant, Jeanne étant à Poitiers, dit aux docteurs qui étaient chargés de l’examiner i° Que les Anglais seraient battus et lèveraient le siège qu’ils avaient mis devant Orléans; a° que le roi serait sacré à Reims; 3° que la ville de Paris serait rendue à l’obéissance du roi; 4° que le duc d’Orléans reviendrait d’Angleterre. — Toutes ces prédictions s’accomplirent. Lors du siège d’Orléans, il avait été résolu qu’on attaquerait le fort du pont de cette ville occupé par les Anglais. Jeanne assura qu’il serait pris, et qu’on rentrerait dans Orléans a la nuit, parle pont. ' Histoire de Jeanne d’Arc, etc., p. 56o-5;,6. * ld., p. 3^4. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 381 Elle ordonna à tout le monde d’être prêt de bonne heure, et à son confesseur de ne pas la quitter le lendemain car, dit-elle, j’aurai plus de choses à faire que jamais, et il sortira demain du sang de mon corps, vers mon sein. » Le lendemain, en effet, le fort fut attaqué dans l’après-midi. Jeanne reçut une flèche à l’épaule et le soir, enfin, le fort fut enlevé, et l’on rentra dans Orléans par le pont, dans la nuit, comme Jeanne l’avait prédit. Au siège de Jargeau, Jeanne dit au due d’Alençon Avant, gentil due, à l’assaut! » Le duc, trouvant que c’était trop précipiter l’attaque , Jeanne répliqua L’heure qui plaît à Dieu est prête. Il faut agir quand Dieu veut agir, et Dieu agira '. » Pendant qu’on attaquait, elle lui dit tout à coup Ah! gentil due, vous craignez! ne savez-vous pas que j’ai promis à votre femme de vous ramener sain et sauf! » Quelques instants après, elle avertit le duc de quitter la place ou il était ; ce que le duc ayant fait, M. de Lude arriva, prit cette place et y fut tué. — Jeanne tenait sa promesse au duc elle venait de lui sauver la vie. Après la prise de Beaugency, les Français et les Anglais se trouvant en présence dans les plaines de Jauville, quelques officiers témoignaient leur inquiétude sur le projet d’engager une action avec des troupes inférieures en nombre à celles de l’ennemi. Le duc d’Alençon demanda à Jeanne, en présence de Aolice citc'e, p. 322 . 382 NEUVIÈME LEÇON. Dunois et autres, ce qu’il fallait faire Avez-vous de bons éperons? répondit-elle. — Quoi donc! lui dirent- ils, est-ce que nous tournerons le dos? — Non, non ! s’écria Jeanne; mais les Anglais ne se défendront pas, ils seront vaincus; il faudra prendre des éperons pour courir après eux. Le gentil roi aura aujourd’hui la plus grande victoire qu’il a eue pieça , et m’a dit mon conseil que les Anglais sont tous nôtres. » Les Anglais prirent en effet la fuite presque sans s’être défendus. On fit un grand nombre de prisonniers, et Talbot lui-même fut obligé de se rendre 1429 . Pendant sa captivité, Jeanne prédit, le I er mars i43o, qu’avant sept ans les Anglais abandonneraient un plus grand gage qu’ils n’ont fait devant Orléans et perdraient tout en France. » Et Paris fut effectivement repris par les Français le i4 avril i436. Je n’ai rien fait, disait-elle, qu’en vertu des révélations que j’ai reçues et des apparitions que j’ai vues, et même dans tout mon procès je ne parle jamais que d’après ce qui m’est révélé 1 . » Jeanne d’Arc n’était pas constamment en extase ; mais quand elle entendait la voix, elle était dans une si grande joie qu’elle désirait toujours être dans cet état '. J’ai peu connu de somnambules qui ne m’en ait dit autant. Je vous ai signalé, messieurs, dans ma précédente leçon, une des circonstances capitales du somnambulisme lorsque je vous ai dit Les sujets magnétisés, quand ils 1 Notice citée, p. 3'i6-32g. HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 383 sont parvenus à un certain degré du sommeil lucide, paraissent jouir de deux ordres distincts de perceptions et de facultés, dont les unes sont subordonnées au jeu naturel des sens, tandis que les autres, d’essence toute spéciale, ne semblent avoir aucun rapport avec le système organique dont émanent nos sensations habituelles. De là, nécessairement, chez les somnambules lucides, une double série d’idées hétérogènes, et qui ne peuvent, sans confusion, se produire simultanément. Aussi les voyons-nous, pour ainsi dire, oublier tour à tour leur lucidité, pour raisonner avec nous sur les choses qu’ils perçoivent sans elle, et les moyens d’induction dont ils font usage, éveillés, pour s’abandonner aux impressions caractéristiques de leur état actuel. Or, j’ajoute , et ceci mérite toute votre attention, qu’à ces deux éléments du système psychique des somnambules un troisième se mêle quelquefois véritable superfétation de l’appareil où s’élabore la ' pensée, l 'hallucination constitue cet élément anormal. J’entends, par hallucination, la formation dans les sens ou dans la pensée d’une image dont le type n’est que dans l’imagination, ou , pour parler d’une manière plus générale, la perception d’êtres ou de faits qui n’existent nulle part. Presque tous les somnambules, et principalement les extatiques ce qui tient sans doute à l’extrême irritabilité de leur cerveau, sont sujets aux hallucinations. Il n’est même pas rare qu’ils en aient pendant la veille, circonstance qui, si elle se prolongeait, constituerait l’aliénation mentale. 384 NEUVIÈME LEÇON. a Il est, d’ailleurs, à remarquer que les hallucinations résultant vraisemblablement de la surexcitation de certaines parties de l’appareil encéphalique, se rapportent constamment, par la nature des choses qu’elles représentent, aux facultés dominantes des individus qui les éprouvent. Ainsi, pour Jeanne d’Arc T.,es pieux instincts de cette fdle lui font entendre la voix d’un ange; mais la suite le prouva l’héroïne de Vaucouleurs a l’humeur belliqueuse, et cet ange est saint Michel, le dieu Mars des chrétiens. Je dois vous dire, enfin, que les hallucinations, sorte d’intermédiaires aux idées naturelles et à l’inspiration somnambulique, forment, dans certains cas, le lien qui les unit émanées des premières, elles influent sur la dernière ét décident de la direction dans laquelle elle s’exercera. Voilà comment Jeanne d’Arc, dès l’instant où elle a entendu la voix de l’ange exterminateur, ne voit plus que des combats, ne prédit plus que des victoires, et finit par devenir un grand capitaine de bergère qu’elle était. Il faut donc admettre que les hallucinations après s’être formées des propensions naturelles et des préoccupations de la veille, réagissent à leur tour sur ces dernières et les changent quelquefois en véritables nous étonnonsdoncpas si de nobles penseurs, après s’être évertués pendant quinze ou vingt ans de leur vie à la recherche d'une vérité, ont fini, comme Paracelse, Agrippa, Cardan et Van Hehnont, par avoir des instants de vertige, ou plutôt d’éblouissement,pareils à ceux qu’aurait infailliblement l’homme qui s’obsti- HISTOIRE DE SOMNAMBULISME. 385 nerait à fixer le même objet pendant une journée entière. Ce fut ainsi que l’illustre et malheureux auteur de Ici Jérusalem délivrée, perdit, réellement la raison dans la contemplation extatique de In femme qu’il que ce sentiment unique absorbait son génie, son exubérante imagination lui créait un monde fictif dans lequel il s’égara pendant plusieurs années. La plupart des folies ont la même origine, car la folie souvent touche de près l’extase; elle n’en diffère que par la prédominance de l’élément fictif ou de l’hallucination. De tous les personnages historiques précédemment cités, il n’en est aucun à qui les réflexions que je viens d’émettre s’appliquent mieux qu’à sainte Thérèse. Sainte Thérèse est, à mes yeux, la plus suave figure de cette longue galerie mystique que le moyen âge nous a laissée. Née au commencement d’un siècle chevaleresque et dévot sous le ciel ardeut de l’Espagne 2 et au milieu du peuple le plus fanatique de la terre, elle sentit, dès son enfance 3 , bouillonner dans son âme les passions 1 Le 28 mars i5i5. s A Avila Vieille-Castille. 5 Dès l’âge île sept, ans elle manifesta sa vocation pour la vie religieuse. Un de ses oncles la rencontra un jour marchant résolument sur les bords de la rivière d’Adaya, et fuyant la maison paternelle, en compagnie de son jeune frère Rodrigue. L’oncle les arrêta au passage et leur demanda où ils allaient ainsi Chercher le martyre chez les Mores, » répondirent-ils. — Nos jeunes pèlerins furent ramenés à Avila, où ils se consolèrent en bâtissant de petits ermitages dans le jardin de leur père. — Cette anecdote caractérise l’exaltation précoce de sainte Thérèse et l’un des sentiments innés qui dominèrent sa vie. 25 386 NEUVIÈME LEÇON. . 5ÿ5. s Maudé, Apologie clés grands hommes accusés cle magie, ch. 1 5, 392 NEUVIÈME LEÇON, pus le conclure des dernières paroles du Tasse — Eh bien! me dit-il en se retournant vers moi, êtes-vous désabusé? vos doutes sont-ils levés ? —Non, répondis- je, ils se sont accrus de nouveau; j’ai bien entendu des choses merveilleuses, mais je n’ai vu personne. —Le Tasse, en souriant, me dit Vous en avez plus vu et entendu que peut-être....— Et il se tut '. » Le Tasse était donc extatique. Dans l’épisode que raconte Manso, l’imagination exaltée du poète avait fait tous les frais du mystérieux entretien; c’était elle qui lui présentait le prétendu génie; c’était elle qui composait les questions et les réponses; de sorte que le Tasse nous fournit une nouvelle preuve de ce qui a été répété si souvent des notions étonnantes que manifestent quelquefois sur les matières les plus abstraites les somnambules et les crisiaques. Cardan , de même que le dominicain Savonarolla et une foule d’autres extatiques dont je m’abstiens de vous parler, ont fait des prédictions qui se sont réalisées. Il n’est pas à ma connaissance que le Tasse ait rien prédit, ftlais cette circonstance ne change nullement l’opinion que je me suis faite de ce qu’on est convenu d’appeler sa folie. L’imagination étant naturellement la faculté dominante de ce magnifique génie, les hallucinations devaient masquer dansscs extases les impressions qu’il recevait du monde réel. Campanella, dominicain comme Savonarolla, esprit fort élevé, auquel des socialistes modernes les four - rièrisles me paraissent avoir emprunté une bonne YJauso, Vitadi Tnssn, vol. Il, p. 188 . HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 393 partie de leur système, Campanella se flattait d’avoir aussi son génie familier. Toutes les fois que je suis menacé de quelque malheur, dit-il, j’entends entre le sommeil et la veille une voix qui me dit clairement Campanella! Campanella! cette voix, de temps en temps, ajoute d’autres paroles. Quant à moi, j’attends.... et je ne sais qui cela est *. » Je n’en finirais pas, messieurs, si je voulais vous rapporter tous les faits du même genre qui fourmillent dans les chroniques du moyen âge. En citant ceux qui précèdent, je n’ai pas choisi les plus curieux, mais les plus authentiques. 11 est d’ailleurs évident que, malgré les disparates qu’ils offrent entre eux, ces faits ont des caractères communs et émanaient d’un même principe. C’est ce principe que, depuis soixante ans, les magnétiseurs cherchent à démontrer. Ainsi que j’ai déjà eu plusieurs fois l’occasion de vous le dire, l’extase est contagieuse. L’histoire des possessions, celle des trembleurs des Cévennes 2 et des convulsionnaires de Saint-Médard, nous fourniraient aisément la preuve de cette assertion. Mais ces faits sont tellement connus que je regarde comme inutile de vous eu faire le récit. Rappelons-nous seulement que les possessions, qui plus d’une fois commencèrent par d’ignobles jongleries, finirent presque toujours par des atrocités. Les misérables qu’on payait pour se faire 1 Campanella, De sensu rcrum, lib. iu, c. io. 4 Vnj. à la seconde leçon, p. 44 et suiv., l’histoire des Camisards, et à la fin de la septième, p. 288, pour ce qui concerne les convulsionnaires. 394 NEUVIÈME LEÇON, exorciser, lorsqu’ils ne prenaient pas eux-mêmes leur rôle au sérieux, troublaient par leurs contorsions les esprits faibles et dévots. Ce fut justement ce qui arriva lors du procès fameux du diacre Urbain Grandicr. Les ursulines de Loudun, dont la supérieure et une autre seulement avec elle servaient d’abord de complices aux accusateurs de ce prêtre débauché, finirent toutes par être prises de convulsions véritables, pendant lesquelles elles paraissaient jouir des facultés de l'extase. Presque toutes les cérémonies d’exorcisme donnaient lieu à de semblables résultats; les saturnales des païens étaient moins révoltantes que ces cérémonies. Mais le temps où elles avaient lieu est aujourd’hui loin de nous ; la révolution de 8g a mis à la raison le diable et ses complices. Cette révolution qui a produit tant de bien et tant de mal me rappelle un fait d’extase bien différent des possessions; c’est la prédiction de Cazotte, queDeleuze a consignée dans son Mémoire sur la Prévision. Cazotte, écrivain spirituel, d’humeur paisible, quelquefois enjouée, mais toujours fantasque, était doué d’une sensibilité vive nous ne savons rien de plus sur son tempérament. L’anecdote qui suit en fait à mes yeux un être exceptionnel, le type du visionnaire, c’est-à- dire de l’homme chez qui l’extase se produit sans trouble apparent et ne se révèle que par les perceptions qui d’ordinaire n’appartiennent qu’aux somnambules lucides. Encore n’en ai-je jamais rencontré parmi ces derniers qui portassent aussi loin la faculté de prévision Il me semble que c’était hier, et c’était cependant HISTOIRE Dü SOMNAMBULISME. 395 au commencement de 1788. Nous étions à table chez un de nos confrères à l’Academie, grand seigneur et homme d’esprit. La compagnie était nombreuse et de tout état gens de cour, gens de robe, gens de lettres, académiciens, etc.; on avait fait grande chère comme de coutume. Au dessert, les vins de Malvoisie et de Constance ajoutaient à la gaieté de la bonne compagnie cette sorte de liberté qui n’en gardait pas toujours le ton on en était alors venu dans le inonde au point où tout est permis pour faire rire. Chamfort nous avait lu de ses contes impies et libertins, et les grandes dames avaient écouté, sans avoir même recours à l’éventail. De là un déluge de plaisanteries sur la religion. L’un citait une tirade de la Pucelle , l’autre rappelait ces vers philosophiques de Diderot Et des boyaux du dernier prêtre Serrez le cou du dernier roi ; et d’applaudir. Un troisième se lève, et tenant son verre plein Oui, messieurs, s'écria-t-il, je suis aussi sûr qu’il n’y a pas de Dieu, que je suis sûr qu'Homère est un sot, et en effet il était sûr de l’un comme l’autre. La conversation devient plus sérieuse; on se répand en admiration sur la révolution qu’avait faite Voltaire, et l’on convient que c’est là le premier titre de sa gloire Il a donné le ton à son siècle, et s’est fait lire dans l’antichambre connue dans le salon.» Un des convives nous raconta, en pouffant de rire, que son coiffeur lui avait dit, tout en le poudrant Voyez-vous, monsieur, quoique je ne sois qu’un misérable carabin, je n’ai pas plus de religion qu’un autre. Ou conclut que la 396 NEUVIÈME LEÇON. révolution ne tardera pas à se consommer, qu’il faut absolument que la superstition et le fanatisme fassent place à la philosophie, et l’on en est à calculer la probabilité de l’époque et quels seront ceux, de la société qui verront le régné de la raison. Les plus vieux se plaignaient de ne pouvoir s’en flatter, les jeunes se réjouissaient d’en avoir une espérance très-vraisemblable; et l’on félicitait surtout l’Académie d’avoir préparé le grand œuvre, et d’avoir été le chef-lieu, le centre, le mobile de la liberté de penser. Un seul des convives n’avait point pris part à toute la joie de cette conversation, et avait même laissé tomber tout doucement quelques plaisanteries sur notre bel enthousiasme. C’était Cazotte, homme aimable et original, mais malhcurement infatué des rêveries des illuminés. Il prend la parole, et du ton le plus sérieux Messieurs, dit-il, soyez satisfaits, vous verrez tous cette grande et sublime révolution que vous désirez tant. Vous savez que je suis un peu prophète; je vous le répète, vous la verrez. On lui répond par le refrain connu, faut pas être grand sorcier pour ça. — Soit; mais peut-être faut-il l’être un peu plus pour ce qui me reste à vous dire. Savez-vous ce qui arrivera de cette révolution , ce qui en arrivera pour vous tous tant que vous êtes ici, et ce qui en sera la suite immédiate, l’effet bien prouvé, la conséquence bien reconnue? — Ah! voyons, dit Condorcet avec son air et son rire sournois et niais, un philosophe n’est pas fâché de rencontrer un prophète. — Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d’un cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris, pour vous HISTOIRE DU SOMNAMBULISME. 397 dérober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera de porter toujours sur vous. Grand étonnement d’abord; mais on se rappelle que le bon Cazolte est sujet à rêver tout éveillé, et l’on rit de plus belle. — Monsieur Cazotte, le conte que vous nous faites ici n’est pas si plaisant que votre Diable amoureux 1 . — Mais, quel diable vous a mis dans la tête ce cachot et ce poison et ces bourreaux? qu’est-ce que tout cela peut avoir de commun avec la philosophie et le règne de la raison? — C’est précisément ce que je vous dis; c’est au nom de la philosophie, de l’humanité, de la liberté; c’est sous le règne de la raison qu’il vous arrivera de finir ainsi, et ce sera bien le règne de la raison, car alors elle aura des temples, et même il n’y aura plus dans toute la France en ce temps-là que des temples de la raison. — Par ma foi, dit Chamfort avec le rire du sarcasme, vous ne serez pas un des prêtres de ces temps-là. —Je l’espère; mais vous, monsieur de Chamfort qui en serez un, et très-digne de l’être, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir, et pourtant vous n’en mourrez que quelques mois après. On se regarde et on rit encore. — Vous, monsieur Vieq d’Azyr, vous ne vous ouvrirez pas les veines vous-même, mais vous vous les ferez ouvrir six fois dans un jour au milieu d’un accès de goutte , pour être plus sûr de votre fait, et vous mourrez dans la nuit. Vous, monsieur de Nicolaï, vous mourrez sur l’échafaud; vous, M. Bailly, sur l’échafaud; vous, monsieur Roman de Cazotte. 398 NEUVIÈME LEÇON. de Malesherbcs, sur l’échafaud. — Ali! Dieu soit béni, dit Roucher, il paraît que monsieur n’en veut qu’à l’Académie; il vient d’en faire une terrible exécution; et moi, grâce au ciel.... —Vous, vous mourrez aussi sur l’échafaud. — Oh ! c’est une gageure, s’écrie-t-on de toutes parts,il a juré de tout exterminer. — Non, ce n’est pas moi qui l’ai juré. — Mais nous serons donc subjugués par les Turcs et les Tartares? Encore.... — Point du tout, je vous l’ai dit vous serez alors gouvernés par la seule philosophie, par la seule raison. Ceux qui vous traiteront ainsi seront tous des philosophes, auront à tout moment dans la bouche les mêmes phrases que vous débitez depuis une heure, répéteront toutes vos maximes, citeront tout comme vous les vers de Diderot et de la Pucelle. — On se disait à l’oreille Vous voyez bien qu’il est fou car il gardait toujours le plus grand sérieux. Est-ce que vous ne voyez pas qu’il plaisante, et vous savez qu’il entre toujours du merveilleux dans ses plaisanteries. —Oui,répondit Chamfort, mais son merveilleux n’est pas gai; il est trop patibulaire; et quand tout cela arrivera-t-il? — Six ans ne se passeront pas que tout ce que je vous dis ne soit accompli. — Voilà bien des miracles et cette fois c’était moi- qui parlais, et vous ne m’y mettez pour rien. — Vous y serez pour un miracle tout au moins aussi extraordinaire vous serez alors chrétien. Grandes exclamations. — Ah! reprit Chamfort, je suis rassuré; si nous ne devons périr que quand La- harpe sera chrétien , nous sommes immortels. — Pour ça, dit alors madame la duchesse de Gram- niSTOIRE DU SOMNAMBULISME. 399 mont, nous sommes bien heureuses, nous autres femmes, de n’être pour rien dans les révolutions quand je dis pour rien, ce n’est pas que nous ne nous en mêlions toujours un peu; mais il est reçu que l’on ne son prend pas à nous, et notre sexe.... —Votre sexe, mesdames, ne vous en défendra pas cette fois; et vous aurez beau ne vous mêler de rien, vous serez traitées tout comme les hommes, sans aucune différence quelconque. — Mais,qu’est-ce que vous nous dites donc là, monsieur Cazotte? c’est la fin du monde que vous nous prêchez. — Je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que vous, madame la duchesse, vous serez conduite à l’échafaud, vous et beaucoup d’autres dames avec vous, dans la charrette du bourreau et les mains liées derrière le dos. — Ah! j’espère que dans ce cas-là, j’aurai du moins un carrosse drapé de noir. — Non, madame, de plus grandes dames que vous iront comme vous en charrette, et les mains liées comme vous. — De plus grandes dames! quoi! les princesses du sang?... — De plus grandes dames encore.—Ici un mouvement très-sensible dans toute la compagnie, et la figure du maître se rembrunit on commençait à trouver que la plaisanterie était forte. Madame de Grammont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette réponse, et se contenta de dire du ton le plus léger Vous verrez qu’il ne me laissera pas seulement un confesseur. — Non, madame, vous n’en aurez pas, ni vous, ni personne. Le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera.... Il s’arrêta un moment. — Eh bien ! quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prérogative? —C’est la seule qui lui restera; et ce sera le roi de France. 400 NEUVIÈME LEÇON. tf Le maître de la maison se leva brusquement et tout le monde avec lui. Il alla vers M. de Cazotte, et lui dit avec un ton pénétré —Mon cher monsieur Cazotte, c’est assez faire durer cette facétie lugubre. Vous la poussez trop loin, et jusqu’à compromettre la société où vous êtes et vous-même. — Cazotte ne répondit rien, et se disposait à se retirer, quand madame de Gram- mont qui voulait toujours éviter le sérieux et ramener la gaieté, s’avança vers lui — Monsieur le prophète, qui nous dites à tous notre bonne aventure, vous ne dites rien de la vôtre.—Il fut quelque temps en silence, et les yeux baissés. — Madame, avez-vous lu le siège de Jérusalem, dans Josèphc? — Oh! sans doute, qui est- ce qui n’a pas lu cela! Mais faites comme si je ne l’avais pas lu. —Eh bien, madame, pendant ce siège un homme fit sept jours de suite le tour des remparts, à la vue des assiégeants et des assiégés, criant incessamment d’une voix sinistre et tonnante malheur a Jérusalem, et le septième jour il cria malheur à Jérusalem! malheur a moi-même! et dans ce moment une pierre énorme lancée par des machines ennemies l’atteignit et le mit en pièces. Et après cette réponse, M. Cazotte fit la révérence et sortit Quand je lus cette prédiction étonnante pour la première fois, dit Deleuze, je pensai que ce n’était qu'une fiction de Laharpe, et que ce critique célèbre avait voulu peindre l’étonnement dont auraient été frappées les personnes les plus distinguées par leur rang, leurs 1 Laharpe, Œuvres choisies et posthumes, 4 vol. in-8, Paris, 1806, p. 62. HISTOIRE Dü SOMNAMBULISME. 401 fortune, si, plusieurs années avant la révolution, on leur avait exposé les causes qui la préparaient et les affreuses conséquences qui en seraient la suite. Les informations que j’ai prises depuis in’ont fait changer d’opinion. M. le comte A. de Montesquiou m’ayant assuré que madame de Genlis lui avait dit plusieurs fois qu’elle avait entendu raconter cette prédiction à M. de Laharpe, je le priai de vouloir bien demander à cette dame de plus amples détails. Voici ce qu’elle lui répondit Novembre 1825. Je crois avoir mis le trait de M. de Cazotte dans mes Souvenirs, mais je n’en suis pas sûre. Je l’ai entendu raconter cent fois à M. de Laharpe avant la révolution et toujours exactement comme je l’ai vu imprimé partout, et comme il l’a fait imprimer lui-même. Voilà tout ce que je puis dire, certifier et signer. Comtesse de Genlis. J’ai vu aussi M. Cazotte fils qui m’a certifié que son père était doué au plus haut degré de la faculté de prévision, et qu’il en avait des preuves nombreuses '. M. Cazotte ne voudrait point cependant affirmer que la relation de Laharpe fût exacte dans toutes les ex- 1 Une des plus remarquables, est assurément celle que donna Cazotte en rentrant chez lui le jour où sa fille parvint à l’arracher des mains des brigands qui le conduisaient à l’échafaud. Au lieu de partager la joie de sa famille qui l’entourait, il annonça cpie dans trois jours il serait arrêté de nouveau, et que cette fois il subirait son sort. — 11 périt en effet le 2J septembre 1792, à l’âge de soixante- douze ans. 26 402 NEUVIÈME LEÇON, pressions, mais il n’a pas le moindre doute sur la réalité des faits. Je dois ajouter également qu’un ami deYicq d’Azyr, M. N., habitant de Rennes, m’a dit que ce médecin célèbre étant allé en Bretagne quelques années avant la révolution lui avait raconté en présence de sa famille la prophétie de Cazotte. 11 paraît que malgré son scepticisme, Yicq d’Azyr était inquiet de cette prédiction. Lettre sur le même sujet adressée à M. Mialle par M. le baron de Lamothe-Langon. Vous me demandez, mon cher ami, ce que je puis savoir touchant la fameuse prédiction de Cazotte, mentionnée par Laharpe. Je n’ai là-dessus qu’à vous attester sur l’honneur que j’ai entendu madame la comtesse de Beauharnais répéter plusieurs fois qu'elle avait assisté à ce singulier fait historique. Elle le racontait toujours de la même manière et avec l’accent de la vérité ; son témoignage concordait avec celui de Laharpe. Elle parlait ainsi devant toutes les personnes de sa société, plusieurs vivent encore et pourront l’attester également. Vous pouvez faire de cet écrit l’usage que vous voudrez. Adieu, mon bon et ancien ami, je suis à vous d’un attachement inviolable. Baron de Lamotue-Langon. » Paris, le 18 décembre i833. Quant à moi, que vous dirai-je de la prédiction de Cazotte? — Rien, sinon que cet écrivain, comme on se le rappela au milieu du festin où il parlait, était sujet à rêver tout éveillé . DIXIÈME LEÇON. o EFFETS DIVERS ET CONSÉCUTIFS Dü MAGNÉTISME. — DE SES APPLICATIONS. Messieurs, Si au lieu de vous présenter le magnétisme comme le nœud qui réunit toutes les vérités physiologiques et de définir son étude la physiologie transcendante * , je l’avais simplement fait consister dans l’expansion de la volonté humaine, vous auriez le droit de m’accuser aujourd’hui d’être sorti de mon sujet, en dissertant longuement sur le somnambulisme. En effet, si la volonté d’un homme détermine quelquefois chez un autre homme l’état de somnambulisme, cet état succède aussi à d’autres causes bien différentes. Dans ces derniers cas, à la vérité, nous apercevons encore dans la sensibilité un des deux éléments de notre système; mais l’élément contraire, l’activité, n’est plus en jeu que d’une manière accessoire. En un mot, l’exaltation de l’appareil sensitif chez les somnambules, ne semble, au premier abord, qu’un fait isolé, primordial et parfaitement indépendant de toute influence voli- tive; d’où l’on serait autorisé à conclure que, pendant le sommeil lucide, le rapport entre les deux principes que nous avons donné pour base au magnétisme est à peu près anéanti. 1 Yoy. Première leçon, p. il±. 404 DIXIÈME LEÇON. Mais celte conclusion ne serait légitime que si l’activité vitale se renfermait exclusivement dans la volonté humaine , et je crois vous avoir suffisamment démontré que l’activité est partout. Chaque atome a la sienne; et l’inégale répartition de ce principe chez les êtres de l’univers détermine la hiérarchie naturelle de ces derniers. Aussi découvrons-nous dans les impressions du somnambule le mode spécial d’influence dévolu à chacun de ces êtres, et nous essaierons de démontrer dans notre prochaine leçon que la cause même du somnambulisme, quel que soit l’agent apparent qui le provoque, consiste toujours dans une certaine combinaison de ces influences ontologiques. Mesmer avait très-bien compris cette réciprocité d’action de tous les corps de la nature c’est ce qu’il nomme, dans sa théorie, le magnétisme universel. Nous pensons d’ailleurs avec lui, un Jluide, c’est- à-dire une substance d’une extrême subtilité, dont nous chercherons prochainement à déterminer la nature, est le moyen de ces impressions réciproques. Divers effets du magnétisme sur les corps inanimés semblent prouver jusqu’à l’évidence que ce fluide existe; et certaines expériences dont je vous ferai part me déterminent, en outre , à présumer qu’il joue un rôle immense dans tous nos actes moraux, dans la formation de nos dées, de nos instincts et de nos sentiments, enfin dans la production du sommeil et des merveilleux phénomènes qui l’accompagnent quelquefois. Ces considérations sont donc plus que suffisantes pour justifier mes deux précédentes leçons, dans lesquelles je n’ai fait, en quelque sorte, que poser les termes EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. 105 d’un problème dont j’essaierai,en finissant, de dégager l’inconnu. Ce que j’ai à vous dire aujourd’hui n’est encore que le complément de ce que vous connaissez déjà; seulement, les faits qui vont nous occuper, supposant nécessairement le concours et l’influence mutuelle de plusieurs individualités, rentrent plus directement dans le domaine du magnétisme, d’après l’idée générale que vous en avez actuellement. Mesmer, après avoir adopté l’hypothèse de son fluide universel, pose un principe que l’expérience a depuis largement corroboré et dont le développement me paraît renfermer presque toutes les notions que nous avons du magnétisme. Ce principe est ainsi conçu Les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu qu’ils quittent, et forment par là les mutuelles influences de deux corps qui agissent non- seulement sur la totalité de chacun d’eux , mais encore sur chacune de leurs parties, etc. 1 . » L’idée de cette modification du fluide par les divers corps qu’il traverse est certainement une des conceptions les plus profondes et les plus justes qui se rencontrent dans la théorie de Mesmer. Il est, au reste, assez douteux qu’en écrivant cette proposition Mesmer ait compris toute l’extension dont était susceptible le principe qu’elle impliquait, et il est en outre présumable qu’il eût éprouvé quelque embarras à justifier son assertion par des faits aussi positifs que ceux qui la confirment aujourd’hui. Ainsi conçu, le fluide magnétique, ou le principe 1 Yoy. p. 225. 406 DIXIÈME LEÇON. matériel de la vie, concilie tout d’abord, dans l’univers, une magnifique unité de cause avec une prodigieuse diversité d’effets. Il s’accorde, en outre, avec les conjectures infiniment rationnelles des physiciens, qui regardent comme primitivement identiques tous les fluides impondérables. Enfin il corrobore notre hypothèse d’une âme universelle, s’individualisant dans chacun des êtres, s’appropriant à leur nature, et conservant entre eux des rapports continus. Qui sait même si ces parcelles de l’âine du monde, modifiées par la constitution essentielle et primordiale des corps, ne deviennent pas dans ceux de ces corps qui se régénèrent les forces plastiques qui en perpétuent les espèces? Qui sait, enfin, si le germe fécond destiné à devenir un homme n’est autre chose dans le principe qu’une image de l’homme qui l’a engendré; image qui, lentement amplifiée parla nature, est, longtemps avant de tomber sous nos sens, la synthèse à la fois complète et rudimentaire de la vie animale. Cette opinion, je le comprends, doit vous sembler téméraire; mais peut-être y verrez-vous autre chose qu’une rêverie extravagante lorsque je vous aurai exposé avec ordre les notions que nous possédons sur les propriétés du fluide. Les expériences qui nous les ont révélées ne laissent d’ailleurs aucun doute sur la réalité de ce fluide lui- même, dont je dois avant tout vous prouver l’existence. Si les commissaires de 1784 qui assistèrent au traitement public de d’Eslon avaient apporté à leur examen moins de préventions et plus de bonne foi, s’ils avaient surtout suivi les expériences avec un peu plus d’assiduité, ils auraient nécessairement fini par se convain- 407 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. cre i° que le magnétisme, pratiqué d’après la méthode alors en usage, exerçait sur les malades une action incontestable ; 2°qu’un baquet rempli d’eau, de limaille de fer, ou de toute autre substance, conservait, après avoir été magnétisé, des propriétés particulières et agissait sur l’économie à peu près de la même manière que le contact ou l’action directe du magnétiseur lui-même. Cette dernière observation, qui fixa particulièrement l’attention du savant de Jussieu, anéantissait à elle seule toutes les objections que fit Bailly dans son rapport à l’existence du fluide. Aussi de Jussieu se garde- t-il bien de mettre en doute ce point capital. Pour lui, le fluide existe incontestablement; seulement il ne s’accorde pas absolument avec Mesmer et d’Eslon sur la nature essentielle de cet agent, dans lequel il croit simplement reconnaître la d’ailleurs, que, dans cette hypothèse, de Jussieu ne s’éloignait pas infiniment de la vérité, au moins telle que nous la concevons aujourd’hui. Je vais même plus loin j’admets très-volontiers que la chaleur et le fluide mes- mérien sont absolument identiques, si l’on consent à m’accorder que la chaleur est susceptible de se manifester sous des aspects très-divers et avec une foule de propriétés qu’on ne lui soupçonnait pas avant Mesmer. La question, au reste, n’est pas là ; de Jussieu croyait au fluide; il en contestait, il est vrai, la nature, mais, avant tout, il y croyait, parce que, en homme raisonnable , il avait senti, dès le principe, qu’à la vue de ce qui se passait il n’y avait pas moyen de n’y pas croire. Résumons en quelques mots l’expérience du baquet ou réservoir magnétique. 408 DIXIÈME LEÇON. * Un homme s’approche d’un objet, il le touche, il le presse dans ses mains, il concentre pendant un instant son attention sur lui; après quoi il s’éloigne, ne songe plus à ce qu’il vient de faire, et l’objet qu’il a touché, sans être sensiblement modifié dans sa forme, dans son aspect physique, a néanmoins acquis une propriété particulière qu’il conservera jusqu’à ce que d’autres contacts viennent J’en dépouiller. Ajoutons, enfin, que les individus qui auront touché l’objet en dernier lieu se seront eux-mêmes magnétisés en le démagnétisant, de telle sorte que nous voyons un certain agent modificateur passer d’un homme à une chose, et de cette chose à d’autres hommes. Je vous le demande, messieurs, la singulière transmission de ce je ne sais quoi d’inconnu qui passe de mains en mains sans changer absolument de propriétés, ne vous fait-elle pas tout d’abord supposer l’existence d’une substance physique dont les dépositaires peuvent indifféremment abandonner une partie aux choses ou aux hommes? Cette substance, dans notre doctrine, est le fluide magnétique. Mesmer est l’inventeur des réservoirs magnétiques ; en d’autres termes, il a découvert ou retrouvé la possibilité de magnétiser les corps inertes grande découverte, re- marquez-le bien, qui a servi de point de départ à toutes les recherches qu’on a faites depuis sur le fluide, et sans laquelle nous serions encore réduits, touchant cet agent, aux plus vagues conjectures. Au surplus, le baquet magnétique ne fut pas plus tôt découvert qu’entre les mains des disciples de Mesmer il se transforma de cent façons différentes. On magné- 409 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. tisa des sièges, des aliments, de l’eau, des chambres entières, mais surtout des arbres. Vous savez, par exemple, quelle juste célébrité s’attacha à l’ormeau séculaire de Buzancy, à l’ombre duquel M. le marquis de Puységur observa le premier les merveilles du somnambulisme. Les règles pratiques auxquelles fut assujettie presque jusqu’à présent la magnétisation des objets inanimés reposaient d’ailleurs sur l’idée générale qu’on avait du fluide. Pour magnétiser un arbre, dit Deleuze, on commence par l’embrasser pendant quelques minutes; on s’éloigne ensuite, et l’on dirige le fluide vers le sommet, et du sommet vers le tronc, en suivant la direction des grosses branches. Quand on est arrivé à la réunion des branches, on descend jusqu’à la base du tronc, et l’on finit par magnétiser à l’entour, pour répandre le fluide sur les racines et pour le ramener de l’extrémité des racines jusqu’au pied de l’arbre. Quand on a fini d’un côté, on fait la même chose en se plaçant du côté opposé. Cette opération, qui est l’affaire d’une demi- heure, doit être répétée quatre ou cinq jours de suite. On attache à l’arbre des cordes pour servir de conducteurs. Les malades qui se rendent autour de l’arbre commencent par le toucher en s’appuyant sur le tronc. Ils s’asseyent ensuite à terre ou sur des sièges, ils prennent une des cordes suspendues aux branches et s’en entourent. La réunion des malades autour de l’arbre entretient la circulation du fluide. Cependant il est à propos que le magnétiseur vienne de temps en temps renouveler et régulariser l’action. Il lui suffit, pour 410 DIXIÈME LEÇON, cela, de toucher l’arbre pendant quelques moments. Il dorme aussi des soins particuliers à ceux qui en ont besoin; et si, parmi les malades, il se trouve quelqu’un qui éprouve des crises, il l’éloigne de l’arbre pour le magnétiser à part 1 . » Ainsi, même encore au temps où Deleuze écrivait, le fluide était considéré comme un agent thérapeutique, à propriétés fixes et produisant à peu près dans tous les cas des effets uniformes. Il est, d’ailleurs, bon de remarquer que cette manière de voir et d’agir résultait moins d’une observation fausse que d’une observation incomplète. On a découvert depuis que, loin d’être les mêmes dans tous les cas, les propriétés du fluide magnétique varient jusqu’à l’infini, non-seulement avec la constitution et l’état de santé des magnétiseurs, mais encore avec les conditions morales dans lesquelles ils sont en opérant. Or, à l’époque où MM. de Puységur, Deleuze, etc., se livraient à la pratique du magnétisme, la théorie qui leur était commune établissait entre eux nécessairement une certaine uniformité de pensées et d’intentions qui, sans rien impliquer de contradictoire aux préceptes actuellement admis, devient à nos yeux la raison de l’identité des résultats qu’on obtenait alors. Dès le principe, néanmoins, on fut dans la nécessité d’admettre que non-seulement tous les hommes ne possédaient pas au même degré la puissance magnétique, mais encore qu’il y avait entre eux, sous le rapport de la qualité de leur action, des différences notables. Ceci, 1 Deleuze, Instruction pratique,p. Si. 4-11 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. en résumé, n’était pas de nature à surprendre personne; les partisans de la théorie de Mesmer n’y voyaient qu’un corollaire très-simple de la proposition que je vous ai citée les courants conservent une partie du ton acquis dans le milieu qu’ils quittent. Mais aucun d’entre eux assurément ne prévoyait encore l’extension prodigieuse que donneraient le temps et l’expérience à cette proposition. Je dois suivre l’ordre et l’enchaînement naturel des faits dans ce que j’ai à vous dire à cet égard. Toute la physiologie, toute la métaphysique, la médecine et le magnétisme lui-même tel qu’il fut compris d’abord, me paraissent bouleversés de fond en comble par les expériences suivantes Première expérience. En 1842, je magnétisais quelquefois une jeune dame qui, somnambule très-lucide, voulait bien se prêter à des expériences qui ne la fatiguaient pas et qui étaient pour moi d’un grand intérêt. Un jour, je venais de l’éveiller lorsqu’elle se prend à me regarder avec un air d’inexprimable anxiété; elle se frotte les yeux, me regarde encore et finit par s’écrier d’un ton qui exprimait à la fois la surprise et l’horreur — Votre bras! votre bras gauche! mon Dieu! qu’en avez-vous fait? vous n’avez plus qu’un bras! Il y avait tant de naturel dans la voix de cette dame, tant de vérité dans sa physionomie que je ne doutai pas un instant de la sincérité de son trouble. Evidemment, elle était dupe d’une hallucination. Un de mes M 2 DIXIÈME LEÇON, bras était devenu invisible pour elle. Mais pourquoi le gauche plutôt que le droit? pourquoi une partie de mon corps plutôt que toute autre? cela me paraissait inexplicable, et depuis quatre ans que je magnétisais je n’avais rien vu de plus bizarre. — Calmez-vous, madame, lui disais-je, reprenez vos sens et regardez-moi. Grâce à Dieu, j’ai tous mes membres, et vous voyez bien que je vous présente ma main gauche. — Non, vous ne l’avez plus, répétait-elle avec hébétude. — Eh! touchez-la, madame. Et en même temps ma main gauche prit la sienne. Alors son trouble augmenta. — Je sens, mais je ne vois pas.... Oh ! laissez-moi.,.. j’ai peur! j’ai peur! j’ai très-peur!... Sa voix s’éteignait en répétant indéfiniment ces mots, et, la minute d’après, elle dormait de nouveau paisiblement sur son fauteuil. — Eh bien, madame, pouvez-vous maintenant m’expliquer..,. — Oui. A l’instant où vous m’avez éveillée, par un mouvement spasmodique, et sans le vouloir, je vous ai serré la main gauche. — Et cela a suffi pour la rendre invisible à vos yeux? Que s’était-il donc passé? — Je ne voyais qu’un léger nuage blanc c’était une atmosphère de fluide dont mon effort involontaire avait enveloppé votre main. Emerveillé de l’expérience et très-satisfait de l’explication , j’éveillai la somnambule, qui, pour le coup, 413 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME , ETC. me vit tout entier, ce qui parut la surprendre presque autant que l’avait effrayée mon apparente mutilation. Deuxieme expérience. Le hasard seul m’avait rendu témoin de l’expérience qui précède; mais, d’après l’explication qui m’en était donnée, il me paraissait probable que cet étrange phénomène d’invisibilité d’un corps involontairement magnétisé était de nature à se reproduire sous l’influence d’un effort volontaire. Je m’empressai donc de vérifier ce fait, en prenant soin de l’entourer de circonstances qui lui donnassent toute la certitude désirable. Dix bougies neuves de même fabrique, et par conséquent semblables entre elles, sont placées sur des flambeaux, tandis que, dans une pièce voisine, madame X... est endormie. Je prie cette dame de magnétiser une des bougies qu’on lui apporte et qu’elle serre dans sa main pendant une ou deux minutes. Lorsqu’elle est éveillée, les assistants lui présentent successivement chacun des dix flambeaux. Toutes les fois que vient le tour de la bougie qu’elle a touchée, madame X.... prétend ne pas la voir, et persiste même à se croire l’objet d’une mystification. Troisième expérience. Toutes les bougies sont allumées il est onze heures du soir. Les choses se passent exactement de la même manière que précédemment, avec cette particularité remarquable que la flamme de la bougie magnétisée est elle-même invisible. 414 DIXIÈME LEÇON. Quatrième expérience. Madame X...., endormie de nouveau, magnétise, à ma prière, quatre bougies au lieu d’une, qui restent seules allumées daus l’appartement. La somnambule, que j’éveille alors, s’écrie, en ouvrant les yeux, qu’elle est dans l’obscurité, et l’incertitude de ses regards, qui nous cherchent vainement quoique nous soyons près d’elle, prouve qu’en effet elle n’y voit pas. Enfin , la lumière ne revient, pour elle, qu’à l’instant où l’on allume inopinément derrière elle, une des bougie» quelle n’a pas touchées. Après avoir observé ces faits dans l’ordre où je viens de les énoncer, je me demandai naturellement s’il était indispensable que l’objet destiné à devenir invisible fût magnétisé par le somnambule , et s’il n’était pas possible que l’action du magnétiseur suppléât à la sienne. Quelques essais, qui d’abord ne réussirent pas j’ignore par quelle raison, finirent par me donner la preuve du contraire. Cinquième expérience. Un soir de janvier 1 843, une jeune malade, madame G...., est endormie, rue de la Victoire, n° ...., par M. ***, magistrat distingué de ina connaissance, dont je suis parvenu à faire un magnétiseur passionné d’incrédule qu’il était. Les choses se passent en présence de cinq ou six curieux de notre intimité, mais dont pas un n’est instruit de ce que nous nous proposons de faire. Ces personnes étant assises autour de la somnambule, M, *** dirige tour à tour sur chacune 415 EFFETS DIVERS Dü MAGNÉTISME, ETC. d’elles deux ou trois grandes passes longitudinales. Madame G...., qu’il éveille ensuite, n’aperçoit plus que lui et moi. Tout le reste de la chambre, où elle paraît persuadée d’être seule avec nous deux, lui semble rempli, dit-elle, d’un nuage blanchâtre qui l’oppresse, l’incommode, lui fait cligner les paupières et l’endort. Quelques-uns des témoins que ce nuage dérobe à ses regards lui adressent la parole madame G.... est stupéfaite; ces voix fantastiques la confondent. Elle regarde encore et ne distingue toujours rien. — C’est prodigieux! dit-elle, je connais toutes ces voix, il me semble qu’elles vibrent à mes oreilles, et pourtant je ne vois que vous deux, qui ne me parlez pas. Où sont donc ces messieurs? Et madame ***, qu’est-elle devenue? Les voix lui répondaient Nous voici, etc. Il est certain que je les entends. Dites-leur donc de se montrer, je vous en prie; cela me fait peur. M. ***, en bon magicien qu’il est sans le savoir, rompt le charme pour la rassurer. A chacun de ses gestes, un des assistants reparaît c’est, pour la malade et pour nous-mêmes, une véritable fantasmagorie. Les expériences que je viens de décrire ne prouvent toutes qu’un seul fait, mais elles le prouvent, à mon avis, d’une manière péremptoire c’est que, positivement, il existe un fluide; c’est que ce fluide est une substance matérielle se présentant habituellement sous la forme d’une vapeur blanchâtre et opaque. A la vérité, nous ne pouvons le voir dans notre état ordinaire ; mais il est parfaitement distinct pour les somnambules et, qui plus est, pour les somnambules éveillés, à l’in- 416 DIXIÈME LEÇON. stant où leur sensibilité vient d’être exaltée par le magnétisme 4 . Je dois, au reste, vous faire observer que ces sortes d’expériences ne réussissent pas constamment ; la préoccupation des sujets qui sont prévenus de ce qu’on attend d’eux les fait souvent manquer rien n’est plus facile à concevoir. Sans qu’ils s’en aperçoivent, leur volonté réagit autour d’eux, et magnétise ainsi des objets qui, l’instant d’après, leur deviennent invisibles, contre l’intention du magnétiseur. Ceci, et nous y reviendrons dans la suite, renferme à peu près tout le secret des méprises, quelquefois très-bizarres et jusqu’à présent inexpliquées, que commettent les somnambules. Les expériences dont il me reste à vous entretenir vont singulièrement modifier l’idée générale que je viens de vous donner du fluide. Cette vapeur inerte, opaque et blanchâtre, séjournant comme un brouillard où la main la dépose, se transformera dans un moment en un agent merveilleux, joignant à diverses propriétés métaphysiques celle de revêtir toutes les formes, tous les aspects, toutes les couleurs, et de réaliser en quelque sorte la pensée qu’il réfléchit. Peu vous importe, au reste, que des somnambules ou des personnes éveillées servent désormais à nos démonstrations. Entre celles-ci et ceux-là il n’y a d’autre différence en faveur des derniers qu’une sensibilité plus vive et qui rend capable d’impressions plus déli- J’ai répété avec succès toutes les expériences précédemment décrites, sur une jeune fdle que je magnétisais fréquemment, mais qui n’avait pas besoin préalablement d’être endormie pour apercevoir le fluide et pour cesser de voir les corps qu’il masquait. EFFETS DIVERS Dü MAGNÉTISME, ETC. 417 Le somnambulisme, en un mot, sera pour nous, quand nous y aurons recours, une sorte de verre grossissant dont nous nous servirons pour apprécier des phénomènes délicats dont les causes nous échapperaient sans son intervention. On sait déjà, depuis assez longtemps, qu’il est possible de donneraux somnambules magnétiques des hallucinations de tous les sens, c’est-à-dire qu’à la volonté du magnétiseur ils trouvent à des substances des propriétés qu’elles sont loin d’avoir. L’un croit savourer de l’orgeat en buvant un verre d’eau, ou, qui plus est, Seau-de- vie ; l’autre mange gravement une glace qu’on lui présente dans une tasse vide. Celui-ci est brûlé par une main tiède, ou glacé par la neige imaginaire dont le couvre un geste du magnétiseur. Dans tous ces cas, la sensation éprouvée est complète l’orgeat est suave, onctueux, parfumé; la glace saisit le palais, agace les dents et remplit la bouche d’un frais arôme de citron ou d’ananas. La main changée en feu cause une douleur atroce, et la neige enfin fait frissonner. Presque tous les somnambules sont susceptibles d’éprouver ces sensations factices, et plusieurs d’entre eux conservent même cette faculté pendant la veille voilà pourquoi la malveillance a tant de prise sur eux dans les expériences publiques et donne lieu si souvent à des méprises surprenantes qui corroborent l’incrédulité et déconcertent la confiance des hommes les plus convaincus. Aujourd’hui ce fait est connu des magnétiseurs éclairés; mais aucun d’eux, peut-être, jusqu’à présent, ne s’est posé cette question 27 418 DIXIÈME LEÇON. Les sensations factices des somnambules émanent- cllcs directement de la pensée du magnétiseur, ou peuvent-elles être aussi déterminées par les objets intermédiaires qui garderaient, pour ainsi dire, l’empreinte de cette pensée? Un exemple me fera mieux comprendre Un somnambule demandant à boire, vous lui présentez un verre d’eau ; il le porte à ses lèvres, mais aussitôt le repousse avec horreur en s’écriant C.’est du vinaigre !... En effet, vous avez voulu qu’il trouvât à l’eau la saveur de cet acide. Mais que s’est-il passe? avez-vous dénaturé par votre volonté les perceptions du sujet, ou l’eau a-t-elle réellement contracté des propriétés qui, relativement à lui, la font ressembler à du vinaigre? en d’autres termes, est-ce sur le somnambule ou sur l’eau que vous avez agi? Ces deux hypothèses sont également admissibles. La première assimilerait les sensations factices à la pénétration de la pensée; rapprochement de phénomènes qui, dans certains cas, semble logique; mais la seconde implique un ordre de faits à part dont la démonstration me paraît une des plus belles acquisitions que la science du magnétisme ait faites depuis Mesmer. Cette démonstration est d’ailleurs d’une extrême simplicité Vous magnétisez votre verre d’eau avec l’intention délai donner la saveur du vinaigre; cette petite opération terminée, vous laissez écouler un temps plus ou moins long, un quart d’heure par exemple, pendant lequel vous vous occupez de toute autre chose, vous et votre somnambule; enfin, vous lui présentez le verre, EFFETS DIVERS Dü MAGNÉTISME, ETC. 419 ou, mieux encore, on le lui offre à votre insu. Il ne pense pas plus à vous que vous ne pensez à lui; il ignore ce que vous avez fait, et prend le verre, dans la ferme persuasion qu’il ne contient que de l’eau, ce qui ne l’empêche pas de s’écrier encore, dès que ses lèvres y ont touché Vous me trompez; c’est du vinaigre ! Un jour, je magnétisai de l’eau avec l’intention de lui donner la saveur du jus de citron. Interrompu par une visite, j’éveille ma somnambule et je passe dans une autre pièce. Lorsque je rentrai le verre était vide. — Pour qui donc aviez-vous fait apporter cette limonade ? me dit madame ***, qui avait bu l’eau magnétisée. — Pour vous, lui répondis-je en riant. — Vous voyez que je m’en suis douté, mais elle était sans sucre et beaucoup trop acide. Je me rappelai qu’en effet j’avais oublié le sucre. Comme ici ma pensée n’avait eu d’autre confident que moi-même; comme en outre je n’avais pu agir directement sur l’esprit de la somnambule, puisqu’à l’instant où elle buvait j’étais occupé loin d’elle, cette expérience me parut décisive, et m’aurait beaucoup surpris, si déjà je n’eusse été témoin de faits de même nature et bien plus étonnants encore. La volonté peut modifier de la même manière, relativement à certaines personnes, les différentes propriétés des corps qui se rapportent à chacun de nos sens. Ainsi, je donnerai par la pensée, à tels ou tels objets, une couleur, une saveur ou une odeur autres que celles qu’ils ont; je leur donnerai même, ce qui est 420 DIXIÈME LEÇON. plus incompréhensible, une pesanteur qu’ils n’ont pas. Enfin , je fais plus encore non-seulement je modifie, mais je crée de toutes pièces un monde imaginaire qui s’anime autour de moi. Les expériences suivantes résument à peu près ce que j’ai vu de plus extraordinaire dans ce genre. Septième expérience. Étant assis au milieu de mon salon, je me représente, le plus nettement qu’il m’est possible, une barrière en bois peint qui s’élèverait devant moi à un mètre de hauteur. Lorsque cette image est bien arrêtée dans mon cerveau, je la réalise mentalement au moyen de quelques gestes. Mademoiselle Henriette L., jeune somnambule d’une telle impressionnabilité que je l’endors en quelques secondes, est alors éveillée dans la chambre voisine. Je la prie de m’apporter un livre qui doit être auprès d’elle. Mademoiselle Henriette vient, en effet, ce livre à la main; mais, arrivée à l’endroit où s’est élevée ma barrière imaginaire, elle s’arrête subitement. Je lui demande ce qui l’empêche d’approcher davantage '' — Ne le voyez-vous pas? dit-ellej; vous êtes entouré d’une barrière. — Quelle folie! approchez donc. — Je ne le peux pas, vous dis-je. — Comment donc la voyez-vous, cette barrière? — Telle qu’elle est apparemment, ....en bois rouge.... je la touche. Quelle singulière idée d’avoir mis cela dans ce salon ! 421 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. J’essaie de persuader à mademoiselle Henriette qu’elle est dupe d’une illusion, et, pour l’en convaincre, je la saisis par les mains et l’attire à moi; mais ses pieds sont collés au parquet ; le haut du corps se porte seul en avant ; enfin elle s’écrie que je lui meurtris l’estomac contre l’obstacle qui l’arrête L Huitième expérience. Au commencement de février 1844? j e conduisis mademoiselle Henriette dans une réunion d’amis auxquels j’avais raconté l’expérience qui précède. Sous un prétexte convenu d’avance,une dame emmène la jeune fille hors de l’appartement. On décide alors, sans ma participation, des objets dont ma volonté doit lui offrir l’image à son retour. Celui-ci veut des cornes de cerf sur la tête, celui-là un bonnet de magicien; une daine me prie de la métamorphoser en sultan , une autre en léopard, etc., etc. Lorsque toutes mes dispositions sont prises, avec une gravité qui me ferait passer pour fou si l’expérience ne devait pas réussir, mademoiselle Henriette rentre au salon. A peine la porte lui est-elle ouverte, qu’elle recule de trois pas en s’écriant — Oh! quelles vilaines gens! — Que voyez-vous? lui dis-je. — Un Turc, un magicien, un cerf, un tigre.... toute une ménagerie. 1 Cette expérience a été faite publiquement à mon cours, telle qu 5 elle est ici décrite. 422 DIXIÈME LEÇON. Quelques passes avaient fait les frais de cette étrange mascarade. Lorsque j’ai rétabli les choses dans leur état naturel, ce qui est l’affaire de quelques secondes, on demande une nouvelle épreuve. Mademoiselle Henriette sort donc derechef, et je me remets à confectionner de nouveaux déguisements; mais, cette fois, rien ne réussit. Mademoiselle Henriette, qu’on vient de rappeler, voit des diables, des monstres, des objets hideux sans forme et sans nom, et je n’ai rien figuré de semblable. L’imagination de la jeune fille agit évidemment à la place de la mienne, et les êtres fantastiques qu’elle décrit sont sortis de son cerveau. — Mais quelle lumière jette le rapprochement de ces faits sur la cause et la nature des hallucinations ! Neuvième expérience. Madame G...., dont je vous ai parlé déjà, est endormie par M. ***, son magnétiseur habituel. Cette dame est assise sur un canapé, les deux pieds posés sur un tapis. Je dis aussi bas que possible à l’oreille de M. *** — Imaginez une marre d’eau devant elle; nous y ferons nager des cygnes—Le magnétiseur se met en devoir de creuser son étang. Mais ce que nous n’avions prévu ni lui ni moi, c’est que madame G...., qui se voit envahie par l’eau, retire ses pieds, qui, dit- elle, sont déjà mouillés tous les deux, et reste, pour les maintenir en l’air, dans une position fatigante et si grotesque que nous ne pouvons nous empêcher d’en rire. 423 EFFETS DIVERS Dü MAGNÉTISME, ETC. Après que nous nous sommes un instant divertis des perplexités de notre intéressante somnambule, M. *** se dispose à l’éveiller; mais, auparavant, il m’attire à l’écart et me dit à l’oreille — Que faut-il lui faire voir en s’éveillant? — Tout ce qu’il vous plaira; je m’en rapporte à vous. — Un précipice ? — Non ; avec son affection du cœur, cela pourrait l’effrayer et lui faire mal. — Un beau jardin? — A la bonne heure; le paradis terrestre. M. *** se met à rire. — Pourquoi pas? lui dis-je; je suis curieux de savoir l’idée que vous vous en faites. — Voulez-vous être Adam? — Je serai le serpent, si cela vous plaît. — Bon lie grand fauteuil sera l’arbre du fruit défendu. Je me demande à présent par quelle singulière disposition d’esprit nous traitions avec cette légèreté la plus magnifique découverte peut-être qui ait agrandi depuis deux mille ans le domaine de la physiologie; car le fait dont il est question me semble évidemment destiné à devenir un jour la véritable pierre d’assise do la psychologie, et peut-être même de toute la métaphysique. Cependant, M. ***, après quelques minutes de recueillement, se met en devoir de réaliser l’Edeu qu’il a conçu. — Quelle bouffonnerie! si nous sommes dans l’erreur, pensais-je en le regardant se livrer avec une 424 DIXIÈME LEÇON. imperturbable gravité à cette œuvre de magie. Assurément, l'homme est perfectible; car, il y a trois siècles, on nous eût brûlés vifs, tandis qu’aujourd’hui l’on se contenterait de se moquer de nous c’est là, du moins, un progrès dans les mœurs; mais dans la raison?...Les préjugés se remplacent, et voilà tout. Oui, les savants de notre siècle de lumière nous prendraient pour deux fous s’ils nous voyaient, et nous seuls peut-être nous approchons de la vérité suprême. —La vérité, hélas! Le puits que l’apologue lui a donné pour demeure est plus profond qu’on ne le pense. Je crois sincèrement que les hommes n’y descendent qu’à l’instant où ils quittent ce monde. M. *** interrompit ces réflexions désespérantes, auxquelles j’ai eu bien des fois depuis l’occasion de revenir. — L’affaire est faite, me dit-il; mais je n’y songe plus, je n’y veux plus songer. Si l’expérience réussit, ce sera dans le vide, dans l’air, dans l’espace enfin, que madame G.... verra l’image qui, tout à l'heure, se formait dans ma tête, où je vous jure qu’elle n’est plus. — Tant mieux! nous n’en serons que plus sûrs d’avoir découvert le daguerréotype de la pensée.,.. Eveillez la somnambule, et si cela ne réussit pas.... — Eli bien!.... nous serons discrets, voilà tout. M. *** éveille donc notre jeune malade, qui commençait à s’impatienter. Je n’ose faire un pas, dans la crainte de renverser un arbre, de fouler une plate- bande ou de mettre le pied sur le. serpent. — Il me semble que le réveil se fait attendre plus longtemps 425 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. que de coutume. Enfin, madame G.... ouvre les yeux.... mais elle ne dit rien pas la moindre expression de surprise sur sa figure!—-Allons, l’expérience est manquée, ou plutôt elle était impossible!.... Comment avons-nous eu l’extravagance de supposer le contraire?....— M. *** et moi, l’un et l’autre un peu confus, nous nous regardons comme eussent fait jadis deux augures.... en souriant. Cependant nous espérons encore. A un mouvement de madame G...., nos yeux se reportent vivement sur elle. Elle s’est levée! Il me semble que sa physionomie exprime l’étonnement et l’admiration.... Enfin elle s’écrie Quels beaux arbres! quels beaux arbres!.... Et dans un ravissement que j’essaierais vainement de décrire, M. *** et moi nous battons des mains comme deux insensés. — C’est inconcevable! c’est inouï! c’est prodigieux, etc. Il n’y a pas d’adjectifs, de superlatifs, capables de rendre ce que nous éprouvons. Mais ce n’est pas tout encore mes exclamations attirent sur moi les regards de madame G....; elle paraît d’abord douter de ce qu’elle voit; elle se pançhc et se fait un garde-vue de sa main pour mieux s’en assurer. — Quelle horreur! dit-elle enfin.... un homme nu! — M. *** avait réalisé sa plaisanterie jusqu’au bout, et je me trouvais, sans m’en douter, dans le déshabillé naïf de notre premier père.— Alors, de rire tous deux d’un rire homérique auquel la somnambule ne fait nulle attention. — Chose étrange! lorsque je lui parle, elle paraît m’entendre, et en même temps ne pas comprendre le sens de mes paroles. — Jamais 426 DIXIÈME LEÇON. expérience ne fit sur moi une impression plus vive. Lorsque M. ***, un peu calmé, eut enfin détruit son ouvrage et fait passer Madame G.... du paradis terrestre dans la chambre où nous étions, nous prîmes congé de cette dame. — Eh bien! me dit-il en me reconduisant, qu’en pensez-vous? après ce que vous venez de voir, êtes- vous matérialiste ou spiritualiste? — Je n’en sais rien encore ; voilà dix ans que je me fais celte question,... toujours avec l’espérance de mourir chrétien. — Mais , enfin, que dites-vous de cette merveilleuse expérience? — Ce que j’en disais tout à l’heure daguerréotype de la pensée. D’après une communication que me fitM. le vicomte Duponceau, en 1842 , j’ai consigné dans mes Transactions, et depuis dans la seconde édition de mon Manuel 1 , un assez grand nombre de faits analogues à ceux que je viens de décrire. Parmi ces faits, deux surtout ont un caractère tellement extraordinaire que je crois devoir vous les rapporter. Dixiéme expérience. Rosalie dort paisiblement, dans un fauteuil, du sommeil magnétique; son magnétiseur lui soulève les pieds, puis passe sa main entre eux et le plancher. Ce signe, d’après la demande qui lui en a été adressée, * P. a58 et suiv. 427 EFFETS DIVERS RU MAGNÉTISME, ETC. doit placer un tabouret sous les pieds de la somnambule. Effectivement, à partir de ce moment, les deux pieds de Rosalie restent en l’air comme s’ils étaient réellement supportés par un objet placé aurdessous d’eux. Lorsqu’on leur imprime une forte pression, ils sont contraints d’y céder, mais alors tout le corps suit le mouvement, et aussitôt que l’action cesse, les deux pieds se relèvent ensemble dans la position qui leur a été imposée par le magnétiseur. C’est à peu près l’effet qu’éprouve une personne cahotée dans une voiture le point d’appui sur lequel repose les pieds s’exhausse et s’abaisse, sans que pour cela les rapports de position des différentes parties du corps entre elles en soient sensiblement altérées. Après être restée longtemps ainsi, sans témoigner aucune fatigue, Rosalie, à qui on demande pourquoi elle tient ses pieds élevés, répond C’est, parce que je les ai placés sur un tabouret. » Lorsque je lus pour la première fois le récit de cette expérience, je me demandai tout d’abord si la volonté du magnétiseur avait agi directement sur la somnambule, ou si, dans l’espace qui séparait ses pieds du sol, il avait véritablement déposé Fimage d’un tabouret qui, en se réalisant dans l’esprit de Rosalie, avait décidé consécutivement de la position bizarre qu’elle gardait sans en éprouver de fatigue. Onzième expérience. Après avoir magnétisé Rosalie dans le salon de madame ***, je demande ce qu’on désire que je lui 428 DIXIÈME LEÇON. fasse voir. — Une petite fille, me répond l’un des assistants. — Je m’approche donc d’une chaise, et cherche en quelques passes à y fixer mon idée. Rosalie, que j’amène en face de mon œuvre, après un moment d’hésitation , finit par me dire — Je vois très-bien ; c’est la petite Hortense. Rosalie étant renvoyée dans une autre pièce, je change la chaise de place pour qu’elle ne puisse la reconnaître; mais j’hésite et la pose dans plusieurs endroits différents avant de la fixer. Je vais ensuite réveiller la somnambule dans la chambre de madame ***, puis je rentre avec elle dans le salon. Qu’aperçoit-elle bien éveillée? non pas une petite fille, mais six, à mon grand étonnement. Vainement je cherche par des passes transversales à anéantir ma création multiple; impossible. Curieux d’avoir l’explication de tout ceci, je rendors Rosalie et lui demande le mot de l’énigme Pardi, monsieur, répond la jeune fille, il ne fallait pas changer la chaise de place, je n’aurais vu qu’un enfant, mais partout où vous l’avez déposée, le fluide a passé à travers et a formé un enfant tout pareil à celui qui est au- dessus. » Que dire, messieurs, de cette pensée, qui une fois échappée du cerveau où elle a pris naissance, va se multipliant d’elle-même, se reproduisant mécaniquement comme un dessin stéréotypé?—Tel est le fait; j’y crois sincèrement, mais quelles en sont les conséquences ?.... De toutes les expériences que je viens de rapporter, il me paraît résulter clairement i° qu’il existe dans l’homme un fluide nerveux ou magnétique peu iin- 429 EFFETS DIVERS DD MAGNÉTISME, ETC. porte le nom qu’on lui donne, mais agissant comme cause ou se manifestant comme effet dans tous nos actes volontaires, et probablement involontaires ; 2 ° que ce fluide se meut dans l’espace d’après l’impulsion que la volonté ou l’imagination lui donne; 3° qu’après s’être séparé de nous, il conserve, indépendamment de nos voûtions ultérieures, l’image fidèle des pensées qui ont présidé à son émission; 4° que cette image peut à son tour se réfléchir à notre insu dans l’espace et s’y multiplier indéfiniment. Peut-être enfin devrais-je ajouter abstraction faite de tout effort volitif, de toute impression éventuelle, en un mot de toute pensée, ce fluide, en se répandant incessamment autour de nous, y laisse en quelque sorte une contre-épreuve de notre organisation, c’est-à-dire l’empreinte de toutes nos facultés physiques et morales. 11 suit de laque, s’il était possible d’éliminer subitement de l’univers tout ce que nous appelons matière, il resterait à la place du monde sensible un monde invisible pour nous, mais qui, pour l’âme du somnambule, serait semblable au premier. Telles sont donc, autant que nous pouvons en juger par des observations médiates, les principales propriétés du fluide. Mais, indépendamment de ces propriétés, il est présumable qu’il y en a d’autres dont nous ne nous faisons aucune idée. N’est-il qu’un intermédiaire entre la matière et l’âme, ou bien est-il l’âme elle-même? C’est ce que Dieu seul pourrait dire. Quant à moi, je crois sincèrement qu’il est, non-seulement comme je l’ai avancé déjà, le moyen de nos impressions, mais la substance de toutes nos pensées. Je crois en outre qu’il 430 DIXIÈME LEÇON. a a, par rapport à la durée, certaines propriétés corrélatives à celles que nous lui soupçonnons par rapport à l’espace, et voilà comment je n’hésite pas à lui attribuer un rôle capital dans le mécanisme des souvenirs et des pressentiments. Agent conservateur de nos impressions et de nos intuitions, le fluide serait ainsi pour chacun de nous une portion de ce monde archétype, où le présent existe en germe longtemps avant de se réaliser, où les effets du passé se transforment en causes de l’avenir. Les philosophes, j’en suis certain, ont généralement delà liberté morale de l’homme et de la spontanéité de ses voûtions, une idée trop explicite. Ce n’est pas que je veuille me mettre en contradiction avec moi-même, en niant aujourd’hui le libre arbitre que je vous ai présenté, dans ma première leçon, comme le critérium de l’humanité. Seulement, je présume qu’il est de nombreuses circonstances dans lesquelles nous ne croyons agir volontairement que parce que la raison qui nous détermine, ne tombant pas sous nos sens, se dérobe ainsi à nos réflexions. Cela tient surtout à ce que, dans la succession de nos actes moraux, il existe souvent, entre la cause et l’effet, une longue période d’inertie, pendant laquelle nous échappe le lien qui les unit. Le magnétisme seul, jusqu’à présent, a jeté quelque lumière sur ce point obscur d’anthropologie. Un somnambule reçoit de son magnétiseur l’injonction de faire telle chose, et par conséquent d’avoir telle pensée à une heure plus ou moins éloignée qu’on lui assigne; on le réveille; il ne sait rien ni de ce qu’il a fait ni de ce qui lui reste à faire; mais l’impression de 431 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. l’ordre qu’on lui a donné n’en reste pas moins latente au fond de lui-même, et à l’heure indiquée, un instinct fatal, irrésistible, se réveille en lui, et le détermine quelquefois malgré lui, et en dépit même du sens commun. Un jour, par exemple, je dis à une somnambule Demain, à midi, vous allumerez un grand feu dans votre chambre c’était au mois de juillet, deux bougies sur votre guéridon, et vous m’attendrez ainsi, en brodant, jusqu’à une heure. J’arrivai chez elle à midi et demi. Elle brodait gravement au coin d’un feu clair, avec les deux bougies allumées sur la table. —Du feu! lui dis-je en entrant; vous avez froid en juillet ! — Mais non. — Pourquoi donc vous chauffez-vous? — Je ne sais pas. — Et pourquoi ces bougies? Elle me regarde avec hébétude, et ne répond que par un mouvement d’épaules qui signifie encore je ne sais pas. — Lorsque une heure sonna, elle éteignit son feu et ses bougies, et jeta son ouvrage de l’air d’une personne qui a fini sa tâche. — Eh bien ! lui dis-je, vous ne travaillez plus? — Non ; il est une heure. — C’est qu’ordinairement vous cessez de broder à une heure? —Pas ordinairement.... — Pourquoi donc aujourd’hui?.... Je ne sais pas , était toujours son unique réponse. Tous les magnétiseurs répètent journellement des 432 DIXIÈME LEÇON. expériences de cette nature, dont je vous abandonne le commentaire. Mais je pense, quant à moi, que si cet empire fatal, que la volonté d’un individu conserve sur les somnambules pendant les actions de leur veille, doit infailliblement donner lieu aux abus les plus déplorables, la philanthropie peut, de son côté, tirer parti de cette circonstance, en l’employant comme moyen hygiénique à RÉGULARISER LA VIE MORALE ET PHYSIQUE des Sujets qu’on endort; mais ceci rentre dans les applications du magnétisme, et c’est par là que nous allons terminer. Le principal objet de mes leçons étant de vous faire envisager le magnétisme d’un point de vue philosophique, c’est-à-dire général, je ne vous parlerai que très-brièvement de ses applications. Le fluide magnétique, suivant Mesmer, était l’agent thérapeutique par excellence, ou plutôt le seul agent qu’on dût employer au traitement des maladies. On reconnaîtra par les faits, dit-il dans ses Propositions , que ce principe peut guérir immédiatement les maladies des nerfs et médiatement les autres. » L’expérience, en effet, a justifié cet aphorisme; mais, en même temps, elle a prouvé que Mesmer allait trop loin. S’il peut être vrai en théorie qu’il n’y ait qu 'une santé, qu 'une maladie, qu "un remède, cette proposition est certainement un non sens en pratique. D’ailleurs, tout en admettant avec Mesmer une unité morbide, ce que nous savons aujourd’hui du fluide ne nous permet pas de le considérer comme unité thérapeutique, puisque les propriétés de ce principe varient, non-seulement d’homme à homme, mais d’instant en instant, dans un même individu. Mais ces faits, au temps de 433 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. de Mesmer, étant encore inconnus, il était rationnel de supposer la vie de tous les hommes assujettie aux lois immuables d’un agent commun, dont l’existence était au reste matériellement démontrée. Quoi qu’il en soit, on se servait de cet agent comme on eût fait d’un ingrédient pharmaceutique, avec l’espoir d’en obtenir des résultats généraux, dont les symptômes étaient déterminés à l’avance crises, et auxquels devait succéder en dernier lieu, sans qu’on sût bien au juste ni comment ni pourquoi, le rétablissement de la santé. Ce qu’il est bon d’observer, c’est que, nonobstant ces données vicieuses, le magnétisme, pratiqué d’après la méthode de Mesmer, produisait très-souvent les plus heureux effets. Appliqué sans doute par des hommes de bonne constitution, il agissait alors comme tonique, ainsi que le remarque de Jussieu, et guérissait rapidement les maladies qui consistent dans la diminution de l’activité vitale, c’est-à-dire dans le défaut d’innervation. Aussi voyons-nous les paralytiques, les scrofuleux et les personnes débilitées ou atteintes de subinjlamma- tions, comme on dit aujourd’hui, figurer en première ligne parmi les malades guéris dans les traitements publics '. J’ajoute enfin que l’ébranlement réitéré du système nerveux, qu’on désignait sous le nom de crise, constituait une sorte de méthode perturbatrice, qui, 'Certaines amauroses paralysies des nerfs optiques et les surdités qui consistent dans la paralysie du nerf acoustique, cèdent comme par enchantement à l’emploi du magnétisme. J’en ai rapporté plusieurs observations dans la 2 e édition de mon Manuel pra - tique du magnétisme animal. 28 434 DIXIÈME LEÇON, aujourd’hui encore, compte parmi les magnétiseurs un assez grand nombre de partisans, et dont l’usage, motns dangereux qu’on ne le croirait d’abord, est fréquemment salutaire Cependant on ne tarda pas à s’apercevoir que tout le monde n’était pas indifféremment appelé à pratiquer le magnétisme; car, sans parler de l’extrême fatigue que les personnes faibles ou mal portantes éprouvaient en l’administrant, on reconnut qu’au lieu de soulager les malades, et bien loin d’être salutaires, les soins donnés par ces personnes ne faisaient souvent qu’aggraver le mal. De là, il fallut donc conclure que le fluide avait, dans chaque individu, des qualités particulières, dépendant de l’âge, du sexe, du tempérament, de la constitution, et surtout de la santé de ces individus. Cette proposition est aujourd’hui si clairement démontrée que je n’hésite pas à regarder le fluide comme le véhicule de toutes les maladies épidémiques; ce qui nous expliquerait comment la plupart des affections non réputées contagieuses peuvent cependant le devenir, et par une autre voie que le contact immédiat. PI us tard, enfin, on découvrit que non-seulement le fluide réfléchissait dans ses propriétés toutes les conditions physiques des personnes qui magnétisaient, mais encore qu’il recevait d’une intention spèciale de ces personnes, des propriétés particulières. La bienveillance et les sentiments affectueux étant dès lors considérés chez les magnétiseurs comme des ' Les médecins ont comme les magnétiseurs leur méthode perturbatrice elle consiste à administrer au hasard un vomitif ou un drastique violents.— La Providence faille reste. 435 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. facultés aussi indispensables qu’une bonne santé, on comprit que le magnétisme devait être une médecine de famille, à l’usage seulement des gens honnêtes et charitables. — Pratiqué dans ces conditions, le magnétisme agit souvent, même dans les cas les plus graves, avec une puissance qui, plus d’une fois, a semblé miraculeuse. Il est d’ailleurs évident qu’ainsi conçu, il est indistinctement applicable à toutes les maladies guérissant immédiatement, comme le disait Mesmer, les affections nerveuses et médiatement les autres. Remarquez, en effet, que toutes les fonctions de la vie organique sont essentiellement subordonnées à l’appareil nerveux. C’est lui qui dispense dans l’économie le mouvement et la sensibilité. Suivant le degré d’activité dont la nature l’a doué dans chacun de nous, il accélère ou ralentit le cours de nos humeurs. Il est donc, dans l’état normal, le régulateur de la santé, et, dans l’état de maladie, l’élément sur lequel il importe par-dessus tout au médecin de diriger son action. Or, il me paraît évident que le magnétisme est le modificateur par excellence de l’appareil nerveux. Mais si les effets salutaires qu’il détermine dans l’organisme sont à la fois démontrés par l’expérience et par la théorie, son influence sur l’esprit est encore plus incontestable. 11 est donc permis de se demander s’il n’y aurait pas quelque moyen de l’utiliser à l’amélioration morale, sinon de l’espèce, du moins des individus qui ressentent le mieux son action. Puisque la volonté d’un magriéliseur agit encore sur l’organisation morale d’un somnambule longtemps 436 DIXIÈME LEÇON. après que celui-ci est rentré clans la vie réelle ; puisque cette volonté peut lui inculquer des idées qu’il n’eût pas eues de lui-même, n’est-il pas vrai qu’elle doit avoir aussi la puissance de modifier ses idées habituelles, et au besoin d’en changer le cours?C’est, en effet,ce qui a lieu. Et remarquez que je n’entends pas seulement ici par idées les conceptions intellectuelles, mais les instincts, les sentiments, toutes les volitions de l’âme. Quelques faits intéressants ont été déjà consignés dans les annales de la science pour encourager les efforts des magnétiseurs intelligents qui voudraient s’engager dans cette voie philanthropique. Un jeune ouvrier des environs d’Amiens, honnête garçon d’ailleurs, avait contracté depuis assez longtemps la déplorable habitude de s’enivrer. Cet homme était le premier à condamner ses excès, dont il rougissait le lendemain; chaque fois, il jurait de ne plus y retomber; mais, comme tous les buveurs, il oubliait ses serments. Or, un jour qu’il souffrait beaucoup d’une névralgie dentaire, il vint se confier aux soins charitables de M. Azeronde, d’Amiens, qui le magnétisa et le mit en somnambulisme. Pendant son sommeil il avoua ses débauches et son désir de se corriger, et M. Azeronde conçut alors l’idée de le guérir de son ivrognerie en même temps que de sa douleur. Le succès fût complet. Le somnambule, en s’éveillant, avait horreur du vin, et dix expériences consécutives consolidèrent si bien celte heureuse aversion que depuis deux ans cet ouvrier ne boit que de l’eau pure. — J’avoue qu’à la place de M. Azeronde, je me serais montré moins rigoureux et j’aurais permis l’eau rougie. Mais peut-être 437 EFFETS DIVERS DU MAGNÉTISME, ETC. le magnétiseur, ne présumant pas assez de son art et de ses forces, n’avait exigé le plus que dans l’espérance d’obtenir le moins. A la suite de cette belle observation, j’ai rapporté moi-même, dans mes Transactions, le fait assez curieux d’un peintre hambourgeois, dont je parvins en trois séances à rectifier l’accent allemand. Circonstance assez étrange! ce jeune homme fut le dernier à s’apercevoir du changement complet survenu en quelques jours dans sa manière de prononcer. En résumé, il est pour moi hors de doute que le magnétisme, même lorsqu’il ne produit pas le somnambulisme, peut devenir entre des mains habiles un puissant moyen d’éducation. Les idées et les sentiments s’infiltrent, pour ainsi dire, avec le principe de la vie, et se communiquent à la longue par le simple contact presque aussi sûrement que par leurs voies habituelles de transmission L—Platon rapporte qu’Aristide avançait dans l’étude de la sagesse par cela seul qu’il était dans la même maison que Socrate, mais qu’il avançait encore plus quand il pouvait être dans la même chambre; et toutes les fois que Socrate lui parlait, Aristide sentait qu’il profitait davantage de ses leçons lorsque ce philosophe avait les yeux sur lui que lorsqu’il regardait ailleurs; mais le progrès était bien plus grand encore lorsqu’Aristide était assis auprès de lui et qu’il le touchait. 1 Voy. dans l 'Exposé des cures opérées par le magnétisme, t. I, p. 416, les observations curieuses rapportées par M. Mialleàce suje ONZIÈME LEÇON. THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. Messieurs , Le magnétisme est une des grandes forces de la nature s’il n’en est la force unique j’ai l’espoir de vous l’avoir fait comprendre. Après vous avoir présenté la systématisation de cette puissance, considérée comme principe de la vie universelle, il nous reste à en rechercher l’essence et les lois; en d’autres termes, après avoir établi le système, nous allons essayer d’en déduire la théorie. Si le mot système, d’après la définition que j’en ai donnée dans ma première leçon, désigne dans le langage scientifique une série de rapports déterminés entre des êtres ou des faits, il faut entendre par théorie une explication toujours hypothétique et purement conventionnelle de la manière dont s’établissent ces rapports et de la cause qui les entretient. Ainsi, pour le magnétisme Une certaine réciprocité d’action perpétuelle entre tous les êtres de l’univers, et subordonnée à la double faculté d’agir et de sentir inégalement répartie dans chacun d’eux, entretient entre ces êtres des relations 439 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, plus ou moins évidentes, lointaines ou cachées; voilà le système. Mais un agent unique est le moyen de ces relations. Quelle est la nature intime, quelles sont les lois de cet aU MAGNÉTISME. 445 2 ° Tous ces corps ont une forme, dont la raison est absolument inconnue. 3° Tous paraissent être pénétrés d’une substance, ordinairement invisible, toujours impondérable, mais distincte et séparable de leur propre substance c’est le fluide électrique. — Le calorique et la lumière ne sont peut-être que des manifestations particulières de ce fluide; mais cela n’est pas démontré, et aucune spéculation scientifique ne peut encore être assise sur cette supposition. 4° Le fluide électrique, répandu certainement dans l’atmosphère, et probablement dans l’espace, a pour réservoirs spéciaux le globe terrestre et les êtres qui vivent, végètent ou gravitent à sa surface. 5° Les physiciens le considèrent comme un composé de deux éléments doués de propriétés contraires, susceptibles d’être isolés, se séparant, même quelquefois naturellement, mais tendant continuellement à se réunir. 6° Combinés entre eux dans les corps, les deux éléments électriques ne deviennent manifestes que dans le cas où, par suite sans doute de la prédominance eu quantité de l’un d’eux, relativement à l’autre, il n’-y a pas neutralisation complète de leurs propriétés respectives.— L’élément prédominant, ou plutôt le corps qui le recèle, exerce alors autour de lui une action particulière, dont la tendance paraît être de rompre à son profit les combinaisons analogues, en s’emparant d’une portion de l’élément contraire. 7° Il résulte de là que les corps dans lesquels prédominent des éléments électriques opposés s’attirent, tan- 446 ONZIÈME LEÇON. dis qu’un effet inverse a lieu dans le cas contraire il y a répulsion entre ces derniers. 8° Les corps simples ou composés qui présentent soit habituellement, soit éventuellement, cette prédominance d’un des deux éléments électriques sont dits corps électriques ou électrisés. — 11 n’en est qu’un petit nombre dans lesquels l’état neutre paraît exister ordinairement. 9 ° L’état électrique des corps se caractérise ou plutôt se manifeste d’autant plus vivement qu’ils sont mis en contact médiat avec d’autres corps électrisés en sens contraire—c’est sur ce principe qu’est fondée la théorie de la pile voltaïque. — Mais je dis en contact médiat , car un contact très-intime entraîne une combinaison de substance, et par suite une neutralisation plus ou moins absolue. — Telle est la cause infiniment probable de toutes les combinaisons chimiques. io° L’affinité entre deux corps est d’autant plus grande que leur état électrique est plus prononcé toujours en sens contraire. —Il en est qui ne peuvent être mis en contact sans s’unir immédiatement tels sont par exemple le potassium et Voxjgéne. ii° Certaines substances paraissant neutres, c’est- à-dire insensibles à toute espèce d’électromètre, s’électrisent pourtant au contact d’autres substances également neutres en apparence. ! 2 ° I/état électrique de la plupart des corps se modifie et change de nature lorsqu’ils sont rapprochés d’autres corps ; je m’explique telle substance qui est électro-positive relativement à telle autre, pourra devenir électro-négative relativement à une troisième. THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. 447 — Il est à présumer que, dans ces sortes de rapprochement, il y a échange d’une partie des éléments électriques et, par suite, modification de leur quantité relative dans chacun des agrégats mis en présence. — Les chimistes ont déterminé expérimentalement au moyen de la pile ces propriétés relatives des cinquante-quatre éléments connus, qu’ils ont classés d’après cette loi. i 3° La distance fait cesser rapidement les manifestations de Y affinité dont la cause est déterminée dans les propositions précédentes; mais il est peu probable qu’elle l’anéantisse entièrement. Je crois, au contraire, que l’affinité subsiste, comme l’atlraction planétaire, à toutes les distances imaginables le fluide neutre qui remplit l’espace serait, dans cette hypothèse, le véhicule de son influence.—Tous les êtres de la nature seraient donc continuellement entre eux en rapport d’affinité ou de répulsion. i4° Toute combinaison chimique qui a pour résultat la condensation des matières combinées met en liberté une certaine quantité de fluide électrique. — Ce phénomène s’accompagne quelquefois d’un dégagement de chaleur et de lumière d’autant plus apparent que la combinaison est plus rapide, s’effectue sur des niasses plus considérables et donne lieu à des produits d’une plus grande densité. i5° Il est à présumer que le fluide électrique, soit à l’état neutre, soit avec prédominance d’un de ses éléments constituants, est modifié par la substance propre des corps dont il remplit les interstices. — On comprend ainsi comment, par suite d’une sorte d’assimila- 448 ONZIÈME LEÇON. tion dont le mystère est impénétrable, le fluide électrique devient dans l’homme le fluide magnétique. Telles sont, messieurs, les quinze propositions au moyen desquelles je vais essayer d’expliquer la plupart des phénomènes dont la description a fait l’objet de mes leçons précédentes. Formation et développement des êtres organisés, et de l’homme en particulier. Tout être organisé provient d’un germe qui porte en soi les conditions de formes arrêtées; ce germe est peut-être, dans l’origine, une de ces images que nous avons vues, dans ma précédente leçon, créées par la pensée. Cette image ici serait formée indépendamment de la volonté de l’être producteur et par les seules forces de la nature. Une vapeur invisible, in- saissable, constituerait donc la première ébauche de tout être organique. Mais cette vapeur, ou plutôt ce fluide, résultat d’une combinaison consommée pendant l’acte générateur, et déposé dans un milieu convenable, ne tarde pas à fixer dans son réseau des molécules de matières, et l’être réel est commencé. Quoique cette théorie nous explique à la fois la reproduction des végétaux, la fécondation des œufs dans les animaux ovipares aussi bien que la fécondation directe dans les espèces supérieures, j’avoue quelle repose sur des données tellement conjecturales et si peu susceptibles de vérification que j’y attache peu d’importance. Remarquez, néanmoins, que cette THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. théorie satisfait infiniment plus l’esprit que ne le font les spéculations incohérentes et purement imaginaires des physiologistes, Y aura séminales, les animalcules spermatiques, etc., etc. Remarquez, enfin, qu’elle fait rentrer dans l’ordre des phénomènes naturels le miracle de certaines fécondations réputées impossibles par les médecins, qui se trompent probablement eu regardant comme indispensable à la production d’un germe l’introduction dans la matrice d’une liqueur fécondante. Quoi qu’il en soit, je le répète, j’abandonne mes rêveries sur ce point au ridicule dont messieurs des facultés nous accablent si volontiers. Mais,quelque idée qu’on se fasse du mystér ieux mécanisme de la conception, je soutiens qu’une fois l’embryon formé, les lois chimiques sont suffisantes pour rendre compte de ses développements ultérieurs. Je pense, au reste, qu’envisagée dans son ensemble, la vie intra-utérine ne diffère en rien de celle qui commence à la naissance; je n’ai donc à établir entre elles aucune distinction. La vie même des végétaux, pour l’observateur qui possède l’art de généraliser ses idées, ne diffère pas essentiellement de celle des animaux. Pour que le germe d’une plante ou l’embryon d’un animal se développent convenablement, il faut qu’in- dépendamment de l’intégrité de leur propre organisation, ils soient placés l’un et l’autre dans des milieux appropriés à leur destination respective. Mais relativement à tous les êtres organiques, ces milieux doivent, avant tout, présenter certaines conditions générales qui consistent premièrement dans une température plus ou moins élevée, secondement dans l’humidité nécessaire 29 450 ONZIÈME LEÇON, à la dissolution préalable des substances inorganiques propres à être assimilées. —Ces deux conditions sont à peu près indispensables à la combinaison chimique de tous les corps solides. — Je n’ai, d’ailleurs , pas besoin de faire observer combien ici l’expérience concorde avec la théorie. Chacun sait que le soleil et la pluie font germer les graines, et que la nature a pourvu d’une manière plus efficace encore aux besoins des animaux en les plongeant dans le liquide nutritif que contient l’œuf où ils sont conçus '. A mesure que se dissolvent les substances environnantes, les molécules du germe végétal, en raison de l’état électrique qui leur est dévolu, attirent à elles celles de ces substances qui sont électrisées en sens contraire, et se combinent avec ces dernières. De là résultent des molécules de nouvelle formation plus composées que les molécules primitives, mais qui, ainsi qu’elles, ont aussi leurs tendances électriques ou leurs affinités. D’autres combinaisons succèdent donc aux premières, d’autres encore à celles-là, et ainsi indéfiniment. La même chose, exactement, a lieu pour les germes des animaux.—Tout auimal, l’homme, par exemple, peut être considéré comme un agrégat régulier de molécules électrisées et se combinant sans cesse avec les molécules des corps assimilables que la digestion et la respiration déposent continuellement dans Je torrent des humeurs. 1 On sait que tontes les espèces animales, y compris l’homme, se reproduisent par des œufs. 451 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. De ces diverses considérations découlent plusieurs conséquences qu’il importe d’énoncer i° Des combinaisons incessantes qui ont lieu dans les corps organiques résulte dans ces corps un dégagement perpétuel des fluides impondérables; 2 ° Ce dégagement sera d’autant plus prononcé que les substances combinées seront plus abondantes et plus nombreuses ; enfin, qu’en se combinant elles se condenseront davantage; 3° Tout être organique peut être envisagé comme un corps mou qui se solidifie et dont un certain degré de solidification est le terme nécessaire. — La chaleur animale, la coloration des tissus et la formation des centres nerveux ont leur raison dans ces derniers principes; c’est ce que je vais tâcher de vous faire comprendre. Formation des centres nerveux. L’activité de la vie dépend évidemment i°De la rapidité avec laquelle s’opèrent les combinaisons de la substance propre de l’être avec les substances assimilables; a 0 De la multiplicité des éléments combinés; 3° De la différence de densité que présentent ces éléments avant et après leur union chimique ou physiologique ; ce qui pour nous est la même chose. D’un autre côté, la longévité est proportionnelle 1° A la lenteur des mêmes combinaisons; 2 ° Au degré de densité que les êtres peuvent acquérir saus cesser de vivre. 452 ONZIÈME IEÇON. Ainsi, les plantes herbacc'es ne vivent ordinairement qu’une année, tandis que les plantes ligneuses et très-dures, telles que le buis, ou bien les grands arbres à bois compacLe, comme le chêne, résistent pendant plusieurs siècles. Si quelques animaux à sang blanc et à corps mou passent pour être susceptibles d’une certaine longévité, c’est que leurs combinaisons intestines ne s’effectuent qu’avec une lenteur extrême. J’ai dit que le degré de la chaleur animale et la coloration des tissus étaient subordonnés aux divers degrés de l’activité vitale. Un raisonnement aussi simple que spécieux me semble justifier cette assertion , fondée d’ailleurs sur l’expérience. Toute combinaison donnant lieu à un composé binaire, ternaire, etc., plus dense que chacun des éléments combinés, s’accompagnant d’un dégagement de calorique et de lumière, il est clair que ces deux impondérables abonderont surtout, à l’état libre, dans les corps où se condensent incessamment de grandes masses de matière. Voilà donc comment, dans les animaux, la chaleur naturelle varie de o à 34 degrés, et la couleur du blanc diaphane au rouge noir. De même que la chaleur et la lumière, l’abondance, et par suite la centralisation du fluide électrique , paraît se proportionner à l’activité vitale. Mais le développement des centres nerveux est-il la cause ou la conséquence de cette centralisation ? c’est ce qu’il n’est pas aisé de décider. Toujours est- il qu’entre les deux choses la concordance est évidente, et l’on est, pour ainsi dire, forcé d’admettre THÉORIE GÉNÉRALE Dü MAGNÉTISME, 453 que si l’action des centres nerveux sur l’économie est la cause excitante de l’activité vitale, ils sont eux-mêmes alimentés par le produit de cette excitation. L’embryogénie nous apprend, au reste,que l’homme et les autres mammifères commencent à se former par le cerveau et la moelle épinière. Aussi l’analyse chimique de ces organes y fait-elle découvrir les premiers éléments qui ont dû entrer dans leur composition le soufre et le phosphore , qu’on retrouve également dans les œufs des oiseaux, et qui vraisemblablement font partie de l’œuf humain. Aussitôt organisés, les centres nerveux deviennent les récipients du fluide dégagé pendant le cours des combinaisons fluide s’y accumule, s’y modifie peut-être, y contracte des attributs nouveaux, et, suivant la portion de l’appareil où il séjourne ou circule, il concourt à des fonctions d’un ordre d’autant plus élevé que la source qui le fournit est plus abondante et que les organes où il se concentre sont mieux appropriés à leur destination. Après la naissance, les centres nerveux sont en communication, au moyen des sens, avec le monde extérieur. Tous les ordres de perception y convergent. A l’aboutissant de chacun d’eux résident les facultés mentales qu'ils ont pour objet d’alimenter au front, l’intelligence; à la base du cerveau, les instincts; à l’occiput, les affections; enfin, au-dessus de tout cela, la justice, l’espérance, la vénération et la charité, dernières mais trop rares manifestations de la puissance créatrice et conservatrice de l’homme. 454 LEÇON. Des instincts, des sympathies et de l'amour. Il y a dans la nature telles choses qui nous plaisent et telles autres qui nous déplaisent — pourquoi? Nous mangeons avec plaisir de tels mets,nous buvons avec plaisir de telles boissons, tandis que d’autres mets, d’autres boissons, quoique généralement estimés, nous répugnent invinciblement — pourquoi? Parmi les personnes que nous voyons pour la première fois, il y en a qui nous inspirent de la sympathie, d’autres de l’antipathie — pourquoi ? Un amour violent, comme une aversion insurmontable, se développent, dans certains cas, instantanément, sans être motivés, le premier par la beauté, la seconde par la laideur des objets qui les inspirent — pourquoi ? Enfin , le magnétisme corrobore ces sentiments, qui d’ordinaire s’atténuent dans une longue et entière cohabitation. — Toutes ces questions peuvent être résolues à la fois. L’homme est, aussi bien que le minéral, électro- positif ou électro-négatif, relativement à tous les êtres de la nature, parce que, avant tout, l'homme est un corps, un composé chimique. — Cela est rigoureusement , mathématiquement vrai. Mais je vais plus loin l’homme a , comme tout corps minéral, simple ou composé, ses affinités et ses répulsions relatives, c’est-à-dire qu’il est èlectro-po- silif par rapporta telle substance ou à tel individu, et électro-négatif par rapport à telle autre substance 455 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, ou à tel autre individu. Ces affinités ou ces répulsions sont plus ou moins vives, plus ou moins constantes, parce que le corps humain se modifie avec les maladies et les années. Mais il en est de si prononcées qu’elles sont presque irrésistibles sans l’intervention de la morale, des lois et de la volonté, tel homme serait peut- être à telle femme ce que l 'oxygène est au potassium y mais si les lois et la morale sont faites pour réprimer ces attractions fatales, on ne les voit pas s’opposer à ces unions monstrueuses que de prétendues convenances font contracter en dépit d’une aversion con- géniale, et dont je n’ai pas besoin de vous dire la raison. De ce que deux êtres ont l’un pour l’autre une extrême affinité, il doit y avoir entre eux complète opposition dans leurs goûts particuliers. En effet, la prédominance en chacun d’eux d’un des éléments électriques les porte instinctivement vers les choses où prédomine l’élément contraire. Or, l’expérience de tous les jours est d’accord avec ces principes l’amour, dit-on, vit de contrastes qui de nous n’a vérifié la justesse de cet adage vulgaire? L’habitude est le correctif de tous les goûts extrêmes; mais elle naît de la satiété et n’engendre l’indifférence qu’a près la satisfaction fréquemment réitérée des désirs auxquels elle succède. L’habitude, en effet, résulte de la neutralisation des contraires par les contraires, mis en rapports intimes en un mot, c’est l’équilibre. — Aussi le mariage est-il aux hommes, la plupart du temps, ce que la combinaison est aux substances inorganiques. Dans les deux cas, l’affinité cesse 458 ONZIÈME LEÇON. à l’instant où se forme l’union qu’elle provoque; et, dans les deux cas également, elle renaît à la séparation des éléments combinés. — Soyez certains, messieurs, qu’on pourrait suivre jusqu’à l’infini ces sortes de rapprochements qui ne sont pas seulement des comparaisons, mais qui impliquent à mes yeux, nonobstant la bizarrerie qu’ils ont sans doute aux vôtres, la double manifestation d’un fait identique *. 3e ne peux terminer cette analyse des sentiments affectueux sans vous dire un mot d’une circonstance qui m’a longtemps embarrassé, parce qu’elle me semblait en contradiction avec les lois générales de l’affinité. Lorsque deux corps inorganiques s’attirent et tendent à se combiner, nous présumons qu’ils prennent tous deux une part égale à cette attraction. Or, il n’est que trop prouvé que les lois intimes de l’organisation humaine excluent souvent cette réciprocité. Comment donc expliquerons-nous par des rapports électro-magnétiques l’amour non partagé? En vérité, rien n’est plus simple une organisation puissante ne saurait être captivée par les aspirations d’un être faible qui donne cent fois moins qu’il ne reçoit. Voilà pourquoi, dans les rapports magnétiques, le rôle passif est toujours dangereux, parce que le magnétiseur ne partage pas les impressions qu’il fait éprouver. Remarquez, d’ailleurs, que je n’entends pas ici par organisation puissante celle de l’homme musculeux qui résiste au travail * A combien de ménages les chimistes qui adopteront nos idées, ne seront-ils pas en droit d’appliquer la loi des doubles décompositions. THÉORIE GÉNÉRALE Dü MAGNÉTISME. *57 et porte de lourds fardeaux. Toute la force, en magné- tisme,est dans le système nerveux. Ses manifestations sont l’ampleur du cerveau, la vivacité des impressions, l’énergie de la volonté, de l’intelligence et des sentiments. Voltaire, Byron, Napoléon, etc., inspirèrent autour deux tous les genres d’affections, sans en partager sérieusement aucune. Des perceptions. — De la pensée. — Des hallucinations. Le fluide, qui pénètre tous les corps de la nature et qui en émane continuellement, est modifié, comme je vous l’ai dit, par la substance propre de ces corps, de telle façon qu’il en représente les types aux sens délicats des somnambules et des crisiaques. Or, ce qui se passe dans ces derniers avec conscience du fait se passe en nous à notre iusu. Par suite des rapports électro-magnétiques qui existent entre les images formées par le fluide ambiant et le double élément du fluide cérébral, celui-ci se met en mouvement et forme avec prédominance de l’élément contraire des images semblables aux premières telle est la nature de la sensation. Les images cérébrales s’accumulant et se conservant indéfiniment, ne tardent pas à réagir les unes sur les autres, et de cette réaction résulte une sensation nouvelle c’est la pensée. Enfin, une surexcitation éventuelle, faisant jaillir hors du cerveau une des images conservées, celle-ci 458 ONZIÈME LEÇON. O réimpressionne les sens exactement comme ferait l’objet réel qu’elle représente c’est l’hallucination. Remarquez, au reste, que, d’après ce qui a été dit dans la précédente leçon, le fluide cérébral conservant aussi bien l’empreinte des propriétés métaphysiques des corps que celle de leurs propriétées physiques, il en faudrait conclure que tous nos actes moraux sont les fruits de ses rapports ou de ses combinaisons soit avec le fluide extérieur, soit avec les portions de lui-même dont il est isolé. * Lorsque nous dirigeons notre attention sur un objet, une partie de notre fluide cérébral entre en action et se met en rapport avec celui de l’objet qui nous impressionne. Plus l’objet est considérable ou plus l’attention est vive, et plus est grande la quantité de fluide absorbé par l’acte cérébral auquel nous nous livrons. Une attention extrême absorbe donc, pour ainsi dire, tout ce qu’il y a en nous de principe vital, et, comme il en est de même évidemment à legard de la réflexion, rien n’est plus facile que de concevoir comment de grands efforts intellectuels peuvent entraîner après eux l’insensibilité physique, et en dernier lieu l’extase. On conçoit également que la multiplication des idées, la puissance d’attention et de réflexion étant nécessairement subordonnées à l’abondance du fluide cérébral, toutes nos facultés morales se proportionnent i° au volume relatif des centres nerveux, a 0 à la rapidité des combinaisons qui fournissent le fluide. Enfin, on comprend sans peine, et l’expérience ici vient au-devant du raisonnement, comment toutes les émotions vives, les excès, l’abus des rapports 459 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME, sexuels, etc., portent préjudice à l’intelligence et aux sentiments en même temps qu’à la sauté. Du sommeil. Le sommeil, vous ai-je dit dans ma septième leçon *, est un phénomène d ’excitation cérébrale. Il est impossible de rien imaginer de plus paradoxal en apparence que cette proposition. Aussi ai-je pu m’apercevoir de l’étonnement qu’elle vous causa. Néanmoins, quelque étrange qu’elle vous paraisse, je vais entreprendre de la justifier. Si les impressions réitérées de la veille n’épuisent pas, à proprement parler, le fluide cérébral, elles ne laissent pas que d’en absorber une certaine quantité. Il est d’ailleurs indubitable que ce fluide se dissipe continuellement dans l’atmosphère, surtout chez les personnes nerveuses et par les temps humides l’homme, en un mot, peut être comparé à une bouteille de Leyde qui se décharge à la longue si on l’abandonne à elle-même. Le fluide nerveux a donc besoin d’être fréquemment renouvelé. Je ne sais si cette dernière expression est ici d’une grande justesse et s’il n’est pas certaines portions de l’agent nerveux qui ne se renouvellent jamais. Quoi qu’il en soit, la digestion, l’action de l’air et l’exercice réparent journellement les pertes qu’en subit la masse totale. Or, remarquez ce point d’une importance extrême c’est précisément à l’instant où l’exercice et la digestion ont saturé l'économie d’une quantité notable de fluide nouveau que la tête s’appesantit, que les idées * Voyez p. 29a. 460 ONZIÈME LEÇON. deviennent confuses et que le besoin du sommeil se fait sentir. C’est qu’en effet ce fluide, récemment dégagé., afflue vers le cerveau. Il y pénètre sans être encore approprié, assimilé pour ainsi dire à la substance animale c’est du fluide électrique tel que le recèlent les minéraux. Le premier effet qu’il produit est une sorte de neutralisation des idées et de tous les actes nerveux. Bientôt le corps s’affaisse, la sensibilité s’amortit et le sommeil commence. Il est à remarquer que le corps humain est organisé de telle façon que les moindres variations dans les causes déterminent dans les effets des différences très- grandes, ou du moins très-apparentes. Si, par exemple, le travail de la digestion ou de l’assimilation s’opère sur des aliments trop copieux ou trop chargés d’électricité, comme le sont vraisemblablement les alcooliques et les essences, si, en un mot, il y a surabondance dans la production du fluide, le sommeil n’a plus lieu et se trouve remplacé par une exaltation désordonnée et maladive, à laquelle il finit néanmoins par succéder lorsque le dégagement du fluide excédant a ramené l’état normal. Lorsque les causes d’excitation que je viens de mentionner se développent assez lentement pour ne pas déterminer un trouble subit, le sommeil se manifeste; mais il est à la fois agité et profond, et c’est alors surtout que surviennent les rêves, la somniloquie, puis enfin le somnambulisme. Dans des cas assez rares, une véritable explosion électrique fait cesser tout à coup l’exaltation qui entre- 461 THÉORIE GÉNÉRALE DU MAGNÉTISME. tient l’insomnie, en neutralisant par la combinaison de ses éléments une partie du fluide cérébral ; c’est certainement un phénomène de ce genre qu'éprouve M. Emile G.... * lorsqu’il croit entendre chaque soir, avant de s’endormir, la détonation d’une arme à feu. Il est donc démontré qu’un certain degré d 'excitation cérébrale est indispensable au sommeil. Cela est si vrai que, chez les sujets maigres, nerveux, épuisés par des veilles, par des études forcées, un exercice violent, des excès ou l’abstinence, des excitants provoquent cet état. Le café, par exemple, qui ordinairement est pour moi un véritable poison tant il m’agite et m’énerve, pris à doses modérées, me fait dormir par les temps humides. Les personnes robustes, et surtout douées d’embonpoint, ont d’habitude le sommeil facile, et leur santé est beaucoup moins que celle des autres hommes altérée par les vicissitudes atmosphériques. Cela tient à ce que la graisse étant mauvais conducteur de tous les impondérables, ces personnes perdent moins que ne le font les autres par la périphérie. L’excitation des sens ou de la pensée, considérée comme cause d’insomnie, n’a pas besoin d’être expliquée. L’instant le plus favorable aux travaux intellectuels est évidemment celui qui succède immédiatement au réveil, puisque c’est durant le sommeil que s’élaborent ou se réparent les instruments de la pensée. Voyez septième leçon, p. 28 t. 462 ONZIÈME LEÇON. Du mode d’action présumable de certains médicaments, etc. L’état physiologique ou pathologique que les médecins désignent sous le nom d 'agitation consiste probablement dans une prédominance extrême d’un des deux éléments électriques. Or, ne pourrait-il pas se faire que les médicaments réputés antispasmodiques, médicaments excitants pour l’homme à l’état normal, ne produisissent le calme dans le cerveau qu’en y développant une certaine quantité de l’élément contraire? Y aurait-il des médicaments essentiellement électropositifs, et d’autres, essentiellement électro-négatifs? Enfin, les toxiques violents, tels que l’acide prussique qui lue comme la foudre , ne produiraient-ils leurs effets terribles qu’en développant instantanément une très-grande quantité de l’un ou de l’autre d’un des deux éléments? Ces questions n’ont jamais été posées, et sont probablement très-loin encore d’être résolues. , Du magnétisme pratique. L’application du magnétisme constitue réellement la transfusion du principe vital, mais avec des circonstances accessoires très-variables, suivant les cas. Lorsque l’opération commence, le rapport s’établit. Si les états électro-magnétiques des deux individus se trouvent essentiellement contraires; si en même temps ces individus sont forts et nerveux l’un et l’autre, l’effet est très-marqué. 11 y a d’abord attraction, puis neutralisation du principe dominant du magnétisé par l’élé- THÉORIE GÉNÉRALE DO MAGNÉTISME. 463 ment contraire du magnétiseur d’où résulte chez le premier un calme délicieux qui, dans certains cas, est partagé par le second. Mais bientôt les deux éléments de celui-ci passent à la fois dans l'autre, qui, tout en conservant son calme, sent ses forces augmenter et toutes ses fonctions vitales prendre une activité nouvelle. Il perçoit aussi quelquefois les pensées de son magnétiseur; ce qui n’a pas besoin d’explication. Lorsque, au contraire, il y a dans chacun des deux individus prédominance du même élément magnétique, la répulsion est la conséquence de leur premier rapport. Si pourtant la puissance relative du magnétiseur est considérable, il finit par inonder en quelque sorte le magnétisé du double élément de son principe vital; le calme alors se rétablit un peu, et les choses se passent à peu près comme précédemment, à cela près toutefois qu’il n’y a jamais de ces sensations agréables dont j’ai parlé, et qu’à l’instant où l’on démagnétise, la répulsion et le malaise renaissent avec le rétablissement des rapports naturels. Le sommeil, lorsqu’il a lieu, se produit, dans les deux cas, de la même manière la cause qui le détermine est, comme à la suite de l’exercice ou de la digestion, l’afflux vers le cerveau d’une grande quantité de fluide nerveux. — Le somnambule ne doit sa lucidité et toutes ses facultés merveilleuses qu’à la surabondance du fluide dont il est saturé c’est une forte pile voltaïque. Je n’ai pas besoin de dire quelle charité, quel dévouement , quelle abnégation exige la pratique du nia- 464 ONZIÈME LEÇON. gnétisme. Magnétiser, c’est donner ses forces, sa santé, sa vie. Un de mes honorables confrères, M. Chapelain , à la suite d’un traitement qui avait exigé de sa part de longs et pénibles efforts, se trouva, dit-on, dans un tel état d’épuisement, qu’il fut plusieurs mois à se rétablir. Ce qu’on éprouve en pareil cas consiste dans un abattement général, accompagné d’insomnie, de bourdonnements dans les oreilles et d’un affaiblissement considérable des facultés intellectuelles. En même temps les tissus se décolorent, la chaleur du sang diminue, et tous les symptômes d’une véritable consomption finiraient par se déclarer si l’on n’y portait remède, et surtout si l’on continuait à pratiquer le magnétisme \ ' Toutes les émotions réitérées ont exactement les mêmes effets; voilà pourquoi l’onanisme est si fatal à la santé et aux progrès intellectuels des malheureux enfants qui s’y livrent. ÏIN. RELATION d’un CAS HEUREUX D’AMPUTATION DE LA CUISSE, PENDANT l’État DE MESMERISME, CHEZ UN MALADE QUI n’eUT PAS CONSCIENCE DE CE QUI s’ÉTAIT PASSÉ. PAU W. TOPIIAM. Lue le 22 novembre 1842 à la Société royale médicale et chirurgicale de Londres. Messieurs, En faisant le détail des circonstances relatives au cas important que j’ai l’honneur de communiquer à cette savante Société, je m’abstiendrai entièrement de remarques préliminaires quelconques sur la cause supposée des effets que j’ai produits. Je donnerai encore à cet état le nom de mesmérisme, parce que ce terme n’implique aucun principe, et touche seulement aux phénomènes et non à leur cause spécifique. Il ne m’appartient pas de rechercher quel peut être l’agent au moyen duquel le mesmérisme exerce son influence sur le patient; si c’est par quelque moyen qui nous soit déjà familièrement connu sous un autre nom, ou par un moyen totalement nouveau pour notre expérience. La plupart des hommes, en entendant parler de quelque phénomène nouveau, s’efforcent, à l’aide de leurs 30 466 RELATION I’üN CAS HEUREUX propres raisonnements, d’en connaître la cause, au lieu d’en constater la vérité par l’expérience seule; de là une croyance ou une négation. Les phénomènes étonnants du magnétisme ont souvent aussi justifié cette observation. C’est pourquoi je me bornerai aux faits, et seulement à ceux que je pourrai personnellement affirmer. James Wombell, âgé de quarante-deux ans, homme laborieux, d’un caractère calme et tranquille, souffrait depuis six ans environ d’une affection douloureuse du genou gauche. Le 21 juin dernier, il fut admis à District-hospital, à Wellow, près Allerton Nolhs, n’étant plus capable de travailler et souffrant beaucoup. On reconnut bientôt que l’amputation de la cuisse, au-dessus de l’articulation du genou, était inévitable; et on proposa par hasard de la faire, si cela était possible, pendant le sommeil magnétique. Je vis Wombell le g septembre pour la première fois. Il était à l’hôpital, assis sur son lit, seule position qu’il pût tenir. Il se plaignait d’une grande douleur au genou, et d’une grande excitabilité et d’une perte de force provenant d’une inquiétude permanente et cîe la privation de sommeil; en effet, il n’avait pas dormi, pendant les trois semaines précédentes, plus de deux heures sur soixante-dix. Au premier essai de mesmérisme, qui m’occupa trente- cinq minutes, le seul effet produit fut l’occlusion des paupières, avec animation du visage et sommeil magnétique; et, quoique parlant et éveillé, Wombell n’aurait pu ouvrir les paupières avant une minute et demie. Mon essai du lendemain fut plus heureux, et en DAMPUTATION DE LA CUISSE. 467 vingt minutes il s’endormit. Je continuai à le magnétiser chaque jour, le 18 excepté, jusqu’au 24 septembre, sou impressionnabilité augmentant chaque jour, de telle sorte que, le 23 , le sommeil fut produit en quatre minutes et demie. La durée du sommeil était variable il se prolongeait généralement pendant une demi-heure, quelquefois pendant une heure, et rarement pendant une heure et demie. Mais, à deux exceptions près essai de converser avec lui, il fut invariablement éveillé, quoique sans surprise, par la douleur violente de son genou, laquelle revenait subitement à certains intervalles. La troisième fois que je le vis, il était dans une grande angoisse, et en était réduit aux larmes. Je commençai à faire des passes longitudinales sur le genou malade; en cinq minutes il se sentit, par comparaison, à l’aise, et, en continuant à le magnétiser, il était, dix minutes après, endormi comme un enfant. Non-seulement ses bras, mais la jambe malade elle-même, pouvaient être pincés avec violence, sans produire une sensation quelconque; et cependant cette jambe était si sensible à la douleur dans son état ordinaire, qu’elle ne pouvait supporter dans le reste de son étendue la couverture la plus légère. Il dormit, cette nuit, sept heures sans interruption. Après l’avoir magnétisé pendant dix à douze jours, on aperçut un grand changement dans son extérieur. Le teint de la santé reparut, il devint frais, se sentit beaucoup plus fort, était dispos de corps et d’esprit, donnait bien, et recouvra son appétit. Le 22 septembre, il apprit pour la première fois la nécessité d’une amputation prochaine. La communi- 468 RELATION DÜN CAS HEUREUX cation lui parut tout à fait inattendue, et l’affecta considérablement. Ce jour-là, j’essayai, contre sa volonté, l’expérience du mesmérisme, procédant par contact avec la main, le chargeant d’appliquer spécialement son esprit à prévenir mon influence. Pendant l’action, il regardait de temps en temps autour lui, agitant ses yeux lorsqu’il les sentait s’appesantir, et en douze minutes et demie il passa au sommeil magnétique. Les deux ou trois jours précédents, il avait reçu l’influence en six minutes. Il m’apprit plus tard qu’il avait, à plusieurs reprises, essayé de suivre l’avis qu’il venait de recevoir, et la grande souffrance qu’il avait éprouvée; mais il avait bientôt senti une influence irrésistible, et alors il avait perdu toute conscience. Cependant la préoccupation de la perte de sa jambe, troubla, cette nuit, son sommeil naturel. Le jour suivant, il fut encore endormi en quatre minutes et demie, sous l’influence de mon toucher, quoique je le trouvasse inquiet, tourmenté, et par conséquent malade. Je m’absentai à cette époque, et ne pus voir Wom- bell jusqu’au 28. Il paraissait en bonne santé et de bonne humeur; son sommeil naturel était profond et régulier; et sa douleur mitigée et amoindrie. Il était alors convaincu que l’opération pouvait être convenablement essayée pendant le sommeil magnétique, et, avec son consentement positif, elle fut fixée au samedi suivant. Le samedi matin, i el octobre, je magnétisai encore Wombell, comme les deux jours précédents. Cela se fit en présence de MM. William Ward, Sq. de Wel- low l’opérateur, et de deux autres chirurgiens; c’était, 469 d’asiputation de cuisse. comme je croyais que cela arriverait, afin qu’une première magnétisation tendît à rendre le sommeil plus profond quand on magnétiserait de nouveau pour l’opération, et aussi pour le jeter dans l’état dans lequel il devrait être quand le temps en serait venu. Il dormit une heure, et fut éveillé par un essai de conversation avec lui. Je fis voir alors le pouvoir que j’avais d’agir sur l’un de ses membres, alors même qu’il était tout à fait éveillé. A ma demande, il étendit alternativement ses deux bras. En faisant deux ou trois passes sur chacun d’eux, mais sans contact, je les fixai tellement, que, des épaules jusqu’au bout des doigts, ils devinrent aussi roules et aussi inflexibles que des barres de fer, ne pouvant être fléchis que par une force mécanique assez puissante pour léser le membre; et cependant, se relâchant instantanément et tombant sur les côtés, par le seul effet de mon souffle. Sa jambe droite était également affectée, et on apportait souvent un soulagement immédiat à sa douleur, en faisant de semblables passes sur le côté malade. Quoique la sensibilité à la douleur fût diminuée pendant la veille dans les membres affectés, je ne la trouvais totalement disparue que dans le sommeil magnétique. A une heure et demie, nous nous rendîmes à la chambre de Wombell pour faire les préparatifs nécessaires. D’après les douleurs qu’il éprouvait par le mouvement, on regarda comme impossible, sans des tortures inutiles, de le placer sur une table. En conséquence, on plaça sur une plate-forme temporaire le le lit très-bas sur lequel il reposait. Dix minutes après avoir été magnétisé, on le porta vers la partie 470 RELATION DÜN CAS HEUREUX inferieure du lit, à l’aide des draps qui étaient sous lui. Le mouvement excita néanmoins cette douleur qui l’avait si souvent empêché de dormir antérieurement, ce qui avait encore lieu en ce moment. Il y avait quelque chose d’horrible dans la douleur produite par l’état dû genou; car je l’avais vu pincer à peu de distance, dans d’autres parties de la jambe malade, pendant le sommeil magnétique, sans qu’il en fût troublé, ou qu’il en eût la conscience. Pour éviter désormais un mouvement nécessaire quelconque, on plaça la jambe dans la position la plus convenable qu’il pût supporter. Bientôt après il déclara que la douleur avait cessé; puis je le magnétisai de nouveau pendant quatre minutes. Un quart d’heure après, je dis à M. Ward qu’il pouvait commencer l’opération. Je mis alors doucement deux doigts de chaque main sur les paupières fermées de Wombell, et les tins de la sorte jusqu’à ce qu’il fût profondément endormi. M. Ward, après avoir jeté un coup d’œil attentif sur le malade, plongea profondément son couteau au centre du côté externe de la cuisse, jusqu’à l’os alors il fit une large incision autour de l’os, jusqu’au point opposé à la partie interne de la cuisse. Le silence, en ce moment, était terrible on n’entendait que la respiration calme d’un homme endormi; car celle de tous paraissait comme suspendue. La position de la jambe fut plus incommode quelle ne paraissait, pour faire la seconde incision ; et l’opérateur n’aurait pu la faire avec la même facilité que la première. Peu après la seconde incision, on entendit un gémissement du malade, qui continua par intervalle jusqu’à la fin. Cela me donna l’idée d’un rêve 4-71 d’amputation de ta cuisse. agité, car le sommeil continua aussi profond qu’aupa- ravant. Le calme de son visage ne changea pas un instant; toute l’économie resta sans contrainte dans un repos et une tranquillité parfaite; on ne vit pas un muscle ou un nerf se contracter. Vers la fin de l’opération, comprenant le sciement de l’os, la ligature des artères, et l’application des bandages, — ce qui dura un peu plus de vingt minutes, — il resta comme une statue. Bientôt après l’ablation de la jambe, le pouls, devenant petit à cause de la perte de sang, on lui versa dans la bouche un peu d’eau-de-vie et d’eau qu’il avala sans le savoir. Pendant qu’on appliquait le dernier bandage, je fis remarquer à l’un des chirurgiens et à un autre gentleman présent, le tremblement particulier des paupières fermées dont il a déjà été parlé. Finalement, quand tout fut achevé, et que Woinbell était sur le point d’être enlevé, son pouls se trouvant encore très- petit, on lui administra un peu de sel volatil et d’eau; cela étant trop piquant et âcre, le malade s’éveilla graduellement et avec calme. D’abord il ne prononça pas un mot, et, pendant quelques instants, il parut tout troublé et hors de lui-même ; mais, après avoir jeté les yeux autour de lui, il s’écria Je bénis Dieu de trouver tout cela fini ! » On l’emporta alors dans une autre chambre ; et, le suivant immédiatement, je lui demandai, en présence de l’assemblée, de nous dire ce qu’il avait senti ou su après avoir été magnétisé. Sa réponse fut Je ne sais rien de plus, et je n'ai ressenti aucune douleur du tout. Une fois j’ai éprouvé comme si j’entendais une sorte de craquement. Je demandai si cela était douloureux? Il répli- 472 RELATION DCN CAS HEUREUX qua Pas du tout, je n'ai senti aucune douleur, et n ai rien su jusqu’à ce que j’ai été éveillé par cette liqueur forte le sel volatil . Le craquement était sans cloute le sciement de l’os de la cuisse. On le laissa tranquille et à l’aise, et à neuf heures du soir on le trouva dans le même état je le magnétisai de nouveau à cette heure en une minute trois quarts, et il dormit une heure et demie. Je puis ajouter de plus que le lundi suivant, le premier pansement de la plaie fut fait pendant le sommeil magnétique. A ce pansement, ordinairement accompagné de beaucoup de douleur et de cuisson, le malade ne sentit rien; il dormit longtemps après son accomplissement; il ne connaissait pas l’intention de M. Ward; et, après avoir été éveillé, il n’avait pas la conscience de ce qui avait été fait. Le récit de M. W. Ward, important à cause de son observation personnelle et des soins qu’il a donnés avant et après l’opération , a pu heureusement être ajouté au mien , afin de rendre complète de la sorte la narration de ce cas; je le donne sans une syllabe de commentaires. W. Toi>ham. Middle-Temple, 25 octobre 1842. Après la communication précédente, M. W. Ward, Sq. prit la parole en ces termes Messieurs, me trouvant partie intéressée dans la présentation du Mémoire qui vient d’être lu devant votre savante Société, j’ai senti qu’en ma qualité de membre de votre profession et d’opérateur dont il a été 473 d’aMPDTATION DE LA CUISSE. parlé, quelques observations de ma part devaient nécessairement être ajoutées à celles qui viennent de vous être présentées par mon ami, M. Topham. Les circonstances au milieu desquelles l’opération a été faite sont si neuves qu’elles devront fournir un large champ à la discussion; si les membres de notre profession auxquels j’ai l’honneur d’adresser ces observations veulent délibérer avec calme, et, sans prévention, examiner le sujet, qui si l’expérience ultérieure confirme les prévisions auxquelles on est raisonnablement autorisé d’après le résultat heureux du présent essai mérite l’attention bienveillante des chirurgiens, lesquels ont pour objet, de tout temps, de s’appliquer à l’étude d’adoucir les douleurs poignantes qui sont l’héritage de l’humanité. » I! s’agissait, dans le cas sur lequel on vient d’appeler déjà l’attention de la Société, d’une ulcération très-étendue des cartilages du genou existant depuis quatre ans et demi cette ulcération était la conséquence d’une inflammation négligée de la membrane synoviale, inflammation produite par une lésion et dans le principe traitée par un charlatan, mais qui a été connue de moi trois ans seulement environ avant l’admission du malade à l’hôpital du district à Wellow. Supposant alors que l’ulcération avait commencé par les cartilages, j’ordonnai le repos absolu et le traitement ordinaire, auquel le malade se soumit seulement pendant dix jours. A celte époque, et malgré toutes les remontrances de ma part, il retourna, encore estropié, à ses occupations habituelles agriculture. 11 tomba alors entre les mains d’autres chirurgiens 474 RELATION D’UN CAS HEUREUX dont le traitement était moins sévère et le pronostic moins grave que le mien. Je le vis fréquemment, et lui parlai quelquefois de la perte éventuelle de sa jambe s’il continuait à s’en servir. Sa dernière espérance se fondait sur une promesse de guérison par les ventouses, ce qui ne produisit aucun soulagement. Il de» manda alors à être admis à l’hôpital. A cette époque, la maladie avait fait beaucoup de progrès, le moindre mouvement de l’articulation s’accompagnait de la plus cruelle douleur; ses nuits étaient presque entièrement sans sommeil, à cause des soubresauts douloureux de la jambe; son pouls était vif et rapide; sa face constamment marquée de la rougeur du phthisique ; sa langue était sale, et son appétit nul. Il était actuellement retenu dans son lit, sans pouvoir supporter une position horizontale. L’articulation était soutenue par un appareil léger; des cataplasmes, des fomentations, etc., étaient appliqués; on surveillait sa santé générale; on lui ordonna des opiats, de la quinine, du vin, etc., pour le mettre dans un état convenable pour l’opération qui paraissait inévitable, quoique sans aucun avantage apparent. Mais ayant entendu dire que M. Topham allait venir dans le voisinage, je pris la résolution de le prier d’essayer les effets du magnétisme sur le malade; dans l’intention, non-seulement de calmer le système nerveux, mais, si cela était possible, de lui procurer un tel degré d’insensibilité à la douleur qu’il n’eût pas la conscience de l’opération elle-même, désirant, depuis longtemps, voir l’accomplissement de ce résultat, comme le summum bonum du magnétisme. Cependant je fus, à cette époque, obligé de rentrer d’amputation de la cuisse. 475 chez moi à cause d’une indisposition; mais je recevais chaque jour un rapport des progrès faits sur mon malade. Lors de mon rétablissement, 27 septembre, trois semaines environ après le commencement de la magnétisation , je fus autant étonné que satisfait de voir l’amélioration de l’état de cet homme. Il avait alors le teint de la santé beaucoup plus qu’auparavant; ses nuits étaient plus calmes et plus tranquilles ; son appétit était revenu; et, en fait, son état était tel que, si je 11’avais pas su l’histoire antérieure, beaucoup de doutes se seraient élevés dans mon esprit sur la convenance de faire une amputation immédiate de la jambe. II est vrai qu’il y avait encore de la douleur au plus léger mouvement de l’articulation, et de plus quelques soubresauts pendant la nuit, mais il ne paraissait plus souffrir dans sa santé générale, qui se trouvait, au contraire, singulièrement améliorée; néanmoins, je restai convaincu i nonobstant tous ces avantages en sa faveur, qu’il y avait encore une maladie trop grave pour penser à une guérison finale. Comme j’étais tout à fait déterminé à ne pas mettre de retard à l’ablation de la cuisse, pendant que le malade était sous l’influence magnétique, à moins que je ne fusse convaincu de sa guérison, et comme il y avait avantage à le voir dans cet état, qui toutefois n’était pas sous l’influence de la pleine volonté du malade, le 29 septembre je priai M. Tophatn de le magnétiser, et fus enchanté de trouver si grande l’impressionnabilité du malade. Quand il dormait si je peux employer ce terme, sa respiration était normale; son pouls tranquille, à 80 environ; son réveil était lent et 476 RELATION D’üN CAS HEUREUX graduel et saus le moiudre soubresaut; enfin, je le trouvai insensible à la piqûre d’une épingle. En de telles circonstances, je ne vis aucun sujet de crainte ou d’hésitation; ayant obtenu le consentement du patient, ou plutôt à sa propre demande, faite avec instance, je fixai le samedi suivant, i' r octobre, pour le jour de l’opération. Le malade comme cela a déjà été dit fut placé avec son lit sur une plate-forme, et, bien qu’il fût considérablement excité parce qu’il entendait les cris d’un autre patient sur lequel j’avais pratiqué une opération longue et douloureuse, dans une chambre contiguë, il fut promptement mis en état de sommeil magnétique; mais, comme je désirais le placer dans la position ordinaire, les jambes étendues à l’extrémité du lit, on essaya de l’entraîner avec ses draps, ce qui lui occasionna tellement de douleur qu’il fut éveillé. Je me trouvai alors quelque peu embarrassé, parce que son membre, se trouvant en contact avec le lit, était dans une position très-défavorable pour l’opérateur; mais étant arrivé à ce point, je ne voulais pas troubler ce premier essai de diminuer l’horreur et la douleur d’une opération capitale, quoique, je dois le confesser, je n’eusse pas de confiance dans le succès. Le malade fut de nouveau endormi auparavant, un chirurgien qui se trouvait là éleva la jambe de deux pouces environ au-dessus du matelas, en appuyant le talon sur son épaule et soutenant l’articulation avec sa main, promettant, en outre, si le malade s’éveillait, de l’entraîner aussitôt en bas, de manière à permettre à la jambe de s’étendre au delà de l’extrémité du lit. 477 d'amputation de la cuisse. Quelques minutes après, M. Topliam dit qu’il était prêt ayant alors appliqué le tourniquet la position défavorable du malade enlevant la possibilité de comprimer l’artère, je procédai à l’accomplissement de l’opération, comme cela a été décrit. Après avoir fait le lambeau antérieur sans que le malade donnât le moindre signe de connaissance, je me trouvai dans la nécessité de faire le postérieur en trois temps. Le premier en divisant une portion du lambeau sur le côté, puis une portion semblable du côté opposé. Ce procédé qui étaiL plus long et douloureux que le procédé ordinaire était devenu nécessaire pour pouvoir passer le couteau sous l’os et achever ainsi le lambeau, parce que je n’aurais pas pu en abaisser suffisamment le manche, sans les deux incisions latérales. Après ce qui a déjà été si bien décrit par M. Tophain , j’ai à peine besoin d’ajouter que le tremblement extrême ou l’action rapide des fibres musculaires divisées fut moindre que de coutume, et qu’il n’y eut pas beaucoup de contraction des muscles eux-mêmes; je dois dire aussi qu’à deux ou trois reprises, je touchai l'extrémité divisée du nerf sciatique sans augmenter en quoi que ce soit ce léger gémissement plaintif décrit par M. Topham, et qui donna à toutes les personnes présentes l’idée d’un sommeil troublé. Le malade se trouve remarquablement bien, et depuis samedi dernier il s’est mis sur son séant pour prendre son repas. — H y a trois semaines qu’il est opéré; il n’a pas éprouvé un seul symptôme fâcheux, ni même cette excitation nerveuse que l’on observe si fréquemment chez les malades qui ont subi des opéra- 478 RELATION D’UN CAS HEUREUX tions douloureuses et qui préalablement ont éprouvé des chagrins intérieurs. En disséquant l’articulation, les lésions confirmèrent pleinement mon diagnostic. Les cartilages du fémur, du tibia, de la rotule, avaient été entièrement absorbés, excepté dans un point extrêmement rétréci, couvrant une partie de la rotule. Il y avait une ulcération profonde avec carie des extrémités des os, et spécialement du condyle interne du fémur, qui avait entièrement perdu sa forme peu de lymphe coagulée se trouvait épanchée en plusieurs points à la surface de la membraue synoviale, et l’articulation contenait une certaine quantité de pus noirâtre. Mon intention n’est pas d’abuser du temps précieux delà Société pour me poser devant elle comme le champion du. magnétisme en général c’est une tâche pour laquelle je me sens complètement incapable. Depuis longtemps j’étais sceptique, et depuis longtemps j’étais à la recherche d’un cui bono, quand, il y a quelques mois, je trouvai, grâce à M. Elliotson, l’occasion de voir par moi-même la possibilité, avec cet agent, de produire le coma, de rendre les muscles rigides, et de causer jusqu’à un certain point l’insensibilité à la douleur. Je vis, et je fus convaincu que mon opposition était mal fondée le résultat de cette conviction a été cet essai flatteur et heureux, réponse suffisante pour ceux qui ne croient pas seulement qu’on puisse retirer le moindre avantage du magnétisme, car on trouvera désormais peu d’opposants, même des plus passionnés, qui oseront lui refuser la faculté de produire le coma. De plus, ce fait fut observé dans un tempérament très- 479 D’AMPUTATION DE IA CUISSE. câline, non pas seulement, comme on le suppose souvent, chez une femme jeune et très-nerveuse, mais même chez un laboureur de quarante-deux ans et de la plus grande insensibilité. Je n’ai certes pas besoin d’ajouter que l’excitabilité nerveuse, dans l’acception commune de ce mot, est presque entièrement étrangère à cette classe d’hommes. Il faut faire observer aussi que l’impressionnabilité était si grande que le coma se développait promptement dans les circonstances les plus défavorables par exemple, au milieu des douleurs de sa maladie, lorsqu’il employait sa volonté pour empêcher autant que possible ce coma, et quand il fut sur la table, la crainte de l’opération devant les yeux. Quoique cette seule expérience dont nous venons de faire l’histoire devant la Société soit à peine suffisante pour laisser complètement la question dans le silence, n’est-elle pas d’une nature suffisamment encourageante pour en demander une répétition immédiate par ceux de noi confrères à qui les institutions splendides de la métropole offrent si souvent de pareilles occasions? 29 octobre 1842. W. Ward, Sq. TABLE DES MATIERES. PREMIÈRE LEÇON. o Aperçu général. — Nature et définition du magnétisme. . 1 DEUXIÈME LEÇON. Histoire du magnétisme... 25 TROISIÈME LEÇON. Suite du même sujet. — Opinions des anciens sur le fluide. — Premières théories magnétiques. — Renaissance de ces théories au x\ siècle... 82 QUATRIÈME LEÇON. Mesmer et ses démêlés avec les corps savants. 128 CINQUIÈME LEÇON. Rapports de 1784. 175 SIXIÈME LEÇON. Théorie de Mesmer. 217 SEPTIÈME LEÇON. Effets produits par le magnétisme. 251 HUITIÈME LEÇON. Du somnambulisme. 293 NEUVIÈME LEÇON. Histoire du somnambulisme. 353 DIXIÈME LEÇON. Effets divers du magnétisme. — De ses applications.... 403 ONZIÈME LEÇON. Théorie générale du magnétisme. 438 Relation d’un cas heureux d’amputation delà cuissepen-» dant l’état de mesmérisme. . 465 - $\ ?} ••• - • / t, -, r *; v *, r ’ - - - » ' 1 " ' = 4? * j v ' 1 ^ ' ** jjp " ^ K x* A *, \ i ' Wt, ^ • - ' , .;k?> •w? ••?'*- •;!» •VÜ '• £E fV* ;^g[ïr^ tir,* '-A'"-r^'' î .*"*; ^V*/ - mW^] iSWStf^*ÿi?* &L%*n S*- ^ia** r Skr~.'. î.!5fcrV ,,.£• a 1 ; '- v ÎJrtL,^ Vv.^ .îWWrf^ Mfc îtsTi^ 5 •.- SnW; Y?* r-û 1 . W £4. VÇ VP 4 • *v ÎV4Kg ;rfw '-£» - ' x ,. ^ a =k J& mmmm JV'O & -. üSisg, $• î*'-v . X? ’ •>»•-’ v iS\. r. A .A 4 ' tîï [> *1, s**;,- s !» J g! H*?> mm mm mm msx y»»J7W. • -S à* >• 1 ' **•» t rMtr y SK iiÀm ? ^~ *»& ¥^7; & - •»; '^4 J l-fi " S&s^a*. *>. .’Sz+ifr r . •%»?. vsMà ; * O y» 1 » £ *y >..a '1 =fel4f vas A 4 } £ v» 0 .L, ***. s
TLFi Académie9e édition Académie8e édition Académie4e édition BDLPFrancophonie BHVFattestations DMF1330 - 1500 PREMIER, -IÈRE, adj. et − Adj. et subst. [Adj. le plus souvent antéposé; subst. Ce qui est au début, avant les autres dans un ordre spatio-temporel, une − Ce qui est le plus ancien dans une Premier + subst. désignant une unité de bonheur était vieux comme le premier printemps de ce monde Janin, Âne mort, 1829, divin de l'homme aux premiers jours du monde, Dans l'ivresse du ciel, de la terre, et des eaux Samain, Chariot, 1900, [Dans un système de mesure du temps] Le premier dimanche du mois; la première semaine, la première quinzaine de chaque mois; les dix premières minutes; le premier décan d'un signe astrologique. Chaque premier jour du mois, il pose le paquet sur la table, sans un mot, retire de sa poche une main énorme, pleine de monnaie Bernanos, M. Ouine, 1943, Empl. subst. masc. Le premier du mois; le premier de l'an*; le premier janvier; le premier mai*. L'examen du registre du principal inspecteur des farines a prouvé que du premier au 16 octobre, il en a été envoyé chaque jour à la halle 60 sacs [de farine] Marat, Pamphlets, Nouv. dénonc. Necker, 1790, [Dans le déroulement d'une durée] Le premier jour de la saison sèche, du printemps; les premiers jours, les premiers mois de la vie; la première année de mariage. Je ne pourrais pas vous donner grand'chose la première année, parce qu'il y aurait à remettre les lieux en état Ramuz, Gde peur mont., 1926, premières semaines du conflit armé Nizan, Conspir., 1938, indifférents aux petites brimades dont les Allemands entouraient leur vie, les réfractaires traversèrent les douze ou quinze premiers mois de la captivité Ambrière, Gdes vac., 1946, LocutionsDès, à la première heure du jour. Très tôt, à l'aube. Il fut réveillé, dès les premières heures du jour, par un roulier qui faisait claquer fort son grand fouet et conduisait un attelage bruyant Boylesve, Leçon d'amour, 1902, ils traversaient le café pour sortir, Olivier dit à son compagnon qu'il avait un mot à écrire. −En le mettant à la poste ce soir, il arrivera demain à la première heure Gide, Faux-monn., 1925, la première heure au fig.. Du tout début. J'imagine que dans son esprit, comme dans l'esprit de beaucoup de socialistes de la première heure, il y avait lutte entre les formules intransigeantes du début et les nécessités nouvelles du parti agrandi Jaurès, Ét. soc., 1901, [Dans le déroulement de la vie hum.]− Synon. de qu'il y a de sûr, c'est que, dans la première enfance, le goût est avide sans être éclairé, ou délicat Cabanis, Rapp. phys. et mor., 1808, n'est pas, du reste, dans la première jeunesse, toute donnée à l'action, que j'aurais pu me demander s'il n'y avait pas des pays modernes où l'homme de la guerre fût le même que l'homme de la paix Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, Premier âge. Enfance, petite enfance1. ... le freudisme a cru trouver dans l'ambivalence affective de l'enfant, et notamment dans son ambivalence sexuelle au premier âge, la racine de toutes les ambivalences postérieures, la psychologie la fait lever de tous côtés. Mounier, Traité caract., 1946, [Dans la chronol. événementielle qui marque la vie hum.] Sa femme, jusqu'alors froide et réservée, se livra à tout le délire d'une première passion Sue, Atar-Gull, 1831, l'ancien appartement de mon frère Laurent? Il l'a quitté parce qu'il le trouvait trop petit, quand ils ont eu leur premier enfant Duhamel, Suzanne, 1941, as dû les admirer avec leurs premières cigarettes, leurs premiers pantalons longs et puis ils ont commencé à sortir le soir, à sentir l'homme, et ils ne t'ont plus regardée du tout Anouilh, Antig., 1946, Premier amour, baiser, bal, chagrin; premiers cheveux blancs; première communion*; premier communiant, première communiante; pousser le premier cri; faire sa première dent; premier mariage, rendez-vous; premier succès; première rencontre, victoire; première robe longue; premières rides.♦ Loc. et expr.Faire son/ses, les premiers pas. Commencer à marcher. Un an, c'est l'âge fier; croître, c'est conquérir; Paul fait son premier pas, il veut en faire d'autres Hugo, Légende, 1877, petite Édith Heurgon commence à marcher. Jamais encore il ne m'avait été donné d'assister à cette chose merveilleuse les premiers pas d'un petit enfant Gide, Journal, 1943, anal. Débuter dans une activité. Je ne fais qu'essayer foiblement mes premiers pas à l'entrée de la carrière que je voulois parcourir Senancour, Rêveries, 1799, sont des Méditerranéens qui ont fait les premiers pas certains dans la voie de la précision des méthodes, dans la recherche de la nécessité des phénomènes par l'usage délibéré des puissances de l'esprit, et qui ont engagé le genre humain dans cette manière d'aventure extraordinaire que nous vivons Valéry, Variété III, 1936, le/les premiers pas au fig.. Prendre l'initiative en vue d'un rapprochement. Quand la dispute en venait à ce point, la malédiction paternelle était en route, et Honoré jurait qu'il allait quitter la baraque le lendemain. Il l'eût fait comme il le disait, si le vieux n'avait fait les premiers pas Aymé, Jument, 1933, du/d'un premier lit. Enfant du/d'un premier mariage. Monsieur et Madame Thirion, huissier du cabinet du roi, les amis des Ragon, et leur fille qui va, dit-on, épouser l'un des fils du premier lit de Monsieur Camusot Balzac, C. Birotteau, 1837, moquer comme de sa première culotte, sa première chemise fam.. Ne pas s'en soucier. V. chemise I A 2 c ex. de Courteline.− [Dans le déroulement de la vie prof., la carrière d'une pers.] Premier emploi, poste, salaire; défendre sa première affaire; écrire son premier livre; jouer son premier rôle. Au contraire de Vitet, Ledieu −un employé qui travaillait à côté de moi dans ma première place, chez Moûtier −Ledieu n'est pas désagréable avec régularité il a des crises Duhamel, Confess. min., 1920, que ça signifie, l'argent? Il pensa même avec une espèce d'ironie cynique que c'était le premier argent qu'il gagnait de sa vie Aragon, Beaux quart., 1936, le succès de son premier roman un éditeur lui allouait une pension qui lui permettait de vivre Beauvoir, Mandarins, 1954, Faire ses premières armes. Débuter dans la carrière militaire. Mehmed Djaleddin pacha, maréchal et tout-puissant favori de Sa Majesté, a jadis fait ses premières armes sous le commandement d'Atik Ali, déjà chef d'escadron Farrère, Homme qui assass., 1907, ext. Débuter dans une carrière, une profession, dans la société. Au milieu de quelques grands seigneurs muets et des intrigants ... qui, ce soir-là, abordaient successivement dans le salon de M. de La Mole on parlait de lui pour un ministère, le petit Tanbeau faisait ses premières armes Stendhal, Rouge et Noir, 1830, Première manière, première époque. Pour un artiste, une école artistique, début d'un style, d'une période. Que représentent-ils? On peut le deviner. Ils sont de la première époque, et de la meilleure de François Ier c'est la force de la Renaissance Michelet, Journal, 1857, appos. Il n'est pas une pièce de Dumas ou d'Augier qui ne soit cent fois plus naturaliste que ce drame, ressemblant à du Becque première manière Goncourt, Journal, 1887, HISTOIRE− [Dans la chronol. de l'hist. de la terre] Les premières plantes, montagnes; les premiers hommes; les premiers âges2. ... errans dans les bois et aux bords des fleuves, à la poursuite des fauves et des poissons, les premiers humains, chasseurs et pêcheurs, investis de dangers, assaillis d'ennemis, tourmentés par la faim, par les reptiles, par les bêtes féroces, sentirent leur faiblesse individuelle... Volney, Ruines, 1791, [Dans la chronol. de l'hist. judéo-chrét.] Le premier couple; le premier homme; la première mère. Je vous le dis en vérité, depuis la séduction de la première femme par le serpent, il n'y a point eu de séduction plus effrayante que celle-là Lamennais, Paroles croyant, 1834, paradis de ce monde s'est refermé sur les pas de nos premiers parents; voilà quarante-cinq mille ans qu'on se contente ici-bas de demi-perfections, de demi-bonheurs et de demi-moyens Fromentin, Dominique, 1863, [Dans la chronol. de l'hist. des nations] Les premiers Romains; la première dynastie chinoise; la première croisade. M. de Grouchy, descendant de celui du Premier Empire duquel on a dit faussement que son absence au début de Waterloo avait été la cause principale de la défaite de Napoléon Proust, Guermantes 2, 1921, révolution russe a encore compliqué les choses. Politiquement, elle est la première révolution du XXesiècle Malraux, Espoir, 1937, ce souci majeur qui présida à l'organisation des kommandos, sous une forme infiniment plus stricte qu'au cours de la première guerre mondiale Ambrière, Gdes vac., 1946, [Dans la chronol. de l'hist. des arts, des sc., des techn.] Les premiers philosophes; la première peinture surréaliste; la première automobile; le premier vaccin. Les premières armes durent être des branches d'arbres, et plus tard on eut des arcs et des flèches Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, compléter ce sujet et montrer l'étendue des rapprochements faits par les premiers alchimistes, il convient de citer une liste des corps associés à chaque métal Berthelot, Orig. alchim., 1885, seule a discipliné les sons; et la première écriture fut sculpture et dessin Alain, Beaux-arts, 1920, [Dans le déroulement d'un phénomène évolutif]− [Dans l'ordre de la nature] Premiers bourgeons; premières fleurs; premières neiges; premiers froids; premières chaleurs; premier quartier de la lune. Au début de l'après-midi une des premières mouches de la saison parut et se mit à tourner Jouve, Scène capit., 1935, la suite des premières pluies, l'orge a germé sous les oliviers Gide, Journal, 1943, [En parlant de fruits ou de légumes] Primeur, de primeur. Qui dira, dans l'ombre du bois, l'odeur des fraises premières Toulet, Vers inéd., 1920, [Dans le domaine physiol. ou méd.] Première atteinte, premiers symptômes d'une maladie; premier effet d'un médicament. Julien était encore dans le premier sommeil, quand il fut réveillé en sursaut par la voix de deux personnes qui parlaient dans sa chambre Stendhal, Rouge et Noir, 1830, fut assez sot pour se laisser reprendre par son mal ancien, un réveil de la vieille pneumonie, dont la première attaque remontait à l'époque de la foire sur la place Rolland, Nouv. journée, 1912, [Dans un processus marqué d'étapes successives] Premiers secours; premières recherches. N'oubliez pas qu'une première enquête a relevé les traces d'une assez longue station du meurtrier au fond du placard Bernanos, Crime, 1935, doit permettre de donner les premiers soins à des blessés ou à des malades en cours de travail Brunerie, Industr. alim., 1949, [Dans l'élaboration, l'acquisition d'un savoir] Premières notions; premiers rudiments; première éducation. Il avait de l'esprit, mais on le sentait gêné par le manque d'instruction première Gyp, Souv. pte fille, 1928, premiers efforts de sa réflexion technique trouvent cette matière et s'exercent sur elle Nizan, Chiens garde, 1932, ENSEIGN. Premier degré*; premier cycle*; première année de droit, de subst. fém. Classe de première et, première. Avant-dernière classe du second cycle de l'enseignement secondaire. L'inscription du psaume flamboya au-dessus de la porte tibi soli peccavi, et il la comprit à contresens ce n'était qu'un élève de première Montherl., Bestiaires, 1926, de première supérieure. Classe spécialisée qui assure la préparation aux concours de certaines grandes écoles. Les classes de première supérieure préparent aux diverses options des concours philosophie, lettres classiques ou modernes, histoire et géographie, langues modernes, etc. [Dans l'élaboration, la réalisation d'un projet, d'une oeuvre] Première ébauche, esquisse, version. Cette première étude, de face, que j'avais peinte rapidement, lui déplut autant qu'elle me satisfaisait peu Blanche, Modèles, 1928, Premier jet. C'est un premier jet. J'installe ces couleurs de préface sur un large écran Fargue, Piéton Paris, 1939, Poser la première pierre. Marquer officiellement l'emplacement d'un ouvrage d'art. Je me suis arrêté en face de Nesle, pour y voir poser la première pierre d'un pont qu'on appellera le pont Neuf Dumas père, Henri III, 1829, ii, 1, DACTYL. Première frappe. V. frappe1.♦ Empl. subst. fém., TYPOGR. Première d'auteur, première typographique et, première. Première épreuve d'imprimerie sur laquelle sont faites les corrections. Lire en première. Je ne suis pas exigeant et je ne demanderais que ce qui est partout, ce me semble au défaut de l'auteur, un correcteur en première Sainte-Beuve, Nouv. lundis, 1864, première d'auteur» est la première épreuve de la composition corrigée en première typographique É. Leclerc, Nouv. manuel typogr., 1932, [Dans l'élaboration, la présentation d'une oeuvre littér. ou artist.] Première vision d'un film; première parution d'un livre, d'une revue. Notons d'abord que le titre de Liederkreis n'est pas de Beethoven. Il n'apparaîtra qu'en sous-titre, dans la première édition de Steiner, à Vienne Rolland, Beethoven, 1937, l'espoir de trouver non pas les cent mille francs qui manquent encore pour donner le premier tour de manivelle, non pas la star qui fera frémir d'aise les provinces, mais le hasard qui les dégoûtera du cinéma Fargue, Piéton Paris, 1939, Dans le domaine du représentation et, première. Notre Chronique de Paris, ainsi que le Programme et gazette de la quinzaine, vous renseigneront exactement sur toutes les premières représentations et la valeur de chaque pièce nouvelle Mallarmé, Dern. mode, 1874, tableau, en dépit de l'empoignement du public de la première, −un des plus dramatiques du théâtre de ce temps, −vous ne le trouvez qu'odieux, mal fait et sans invention aucune Goncourt, Journal, 1888, anal., empl. subst. fém. Ce qui est réalisé pour la première fois et est considéré comme un exploit technique, scientifique, sportif. Une première médicale; une première féminine. Si ce pronostic s'avère exact, l' inscrira une première» spectaculaire de plus à son palmarès de la course à l'Espace Auto-Journal, 20 avr. 1961, col. 6 ds Guilb. Astronaut. 1967.Le Professeur B. n'a jusqu'à ce jour −et c'est la première fois que les choses se passent ainsi pour une première chirurgicale» −rédigé aucune communication scientifique sur la réalisation de la première greffe du coeur humain Paris-Match, 20 janv. 1968ds Gilb. 1971.ALPIN. Ascension réalisée pour la première fois. Première hivernale, première en solitaire. Pourtant, certains alpinistes se sont glorifiés de premières qu'ils n'avaient jamais réalisées. Ainsi Cook passa pendant plusieurs années pour être le vainqueur du mont Mac Kinley en Alaska, jusqu'au jour où l'on s'aperçut qu'il n'était qu'un mystificateur Gautrat1970.− [Dans une succession d'épreuves, de tests] Première partie du baccalauréat*. En permettant au second tour la constitution d'une liste qui tienne compte des indications fournies par les électeurs lors du premier tour, on peut aboutir à la constitution d'un conseil municipal qui représente aussi largement que possible les différentes tendances de la population Fonteneau, Cons. munic., 1965, En partic. [Dans une manifestation sportive] Premier essai, match, test. Dans ce cas le changement sera effectué à la fin du premier jeu de la manche suivante. Les parties sont de trois sets et de cinq sets pour les messieurs, de trois sets seulement pour les dames Jeux et sports, 1967, manche. Premier affrontement de deux adversaires ou de deux équipes. Au fig. Voici trois ans que je suis entré à Bouville, solennellement. J'avais perdu la première manche. J'ai voulu jouer la seconde et j'ai perdu aussi j'ai perdu la partie. Du même coup, j'ai appris qu'on perd toujours. Il n'y a que les salauds qui croient gagner Sartre, Nausée, 1938, [Dans une succession d'événements, de manifestations de même nature]♦ Pour la première fois, la première fois que. C'est la première fois que l'on trouve un manuscrit égyptien contenant autre chose que des formules hiératiques Gautier, Rom. momie, 1858, quel âge M. Rezeau a-t-il couché pour la première fois avec une femme? H. Bazin, Vipère, 1948, Probablement ce qui fait défaut, la première fois, ce n'est pas la compréhension, mais la mémoire. Car la nôtre, relativement à la complexité des impressions auxquelles elle a à faire face pendant que nous écoutons, est infime, aussi brève que la mémoire d'un homme qui en dormant pense mille choses qu'il oublie aussitôt... Proust, J. filles en fleurs, 1918, En partic. [Dans une manifestation de violence] Premier choc; première attaque. En parlant du peu de fond que l'on peut faire sur les relations que l'on a de l'affaire de Nancy, qu'il était bien étonnant que l'on ne sût pas encore de quel côté les premiers coups de fusil étaient partis Marat, Pamphlets, Relation fid. affaires Nancy, 1790, la première pierre*.Se battre au premier sang. Se battre en duel en arrêtant celui-ci à la première blessure. Colcassé se battit hier avec Vestocourt Au premier sang pour Cou-de-Marbre Verlaine, Premiers vers, 1858-66, Loc. Qui intervient, qui se passe immédiatement, tout de suite.♦ Au premier abord*, à première vue, au premier aspect. Synon. prime* premier aspect, on s'étonne que le seul gouvernement populaire, au-delà du Rhin, soit presque le seul despotique dans sa forme Quinet, All. et Ital., 1836, maniait une tabatière d'or niellé dont les arabesques, insignifiantes à première vue, dissimulaient le dessin d'un aigle Adam, Enf. Aust., 1902, Dès le/au premier regard/coup d'oeil, du premier coup d'oeil. Au premier regard, elle comprit que je revenais à elle épuisé, affamé de la voir et le coeur intact Fromentin, Dominique, 1863, l'ouvris et, du premier coup d'oeil, je reconnus le papier à dentelle d'or de ma petite voisine de Béicos Farrère, Homme qui assass., 1907, Du premier coup. C'est bien commode, répond F. P. qui est trop droit, trop loyal pour admettre du premier coup ce point de vue auquel il finira par donner son assentiment J. Bousquet, Trad. du sil., 1935, À la première occasion. Tu me gratifies d'un rapide battement de tes cils trop courts, ce qui signifie petit crétin, je te rattraperai à la première occasion» H. Bazin, Vipère, 1948, À la première alerte, au premier signe/signal. Le 28, je donnai l'ordre à la 2earmée de retirer du front le 20ecorps d'armée, et de le constituer en réserve générale prêt à être enlevé au premier signal Joffre, Mém., 1931, moment de l'affaire Hercule, je dormais tout habillé, la fenêtre ouverte, en plein hiver, pour pouvoir, à la première alerte, foutre le camp par le toit, sans faire de bruit Vailland, Drôle de jeu, 1945, Au premier degré. Brûlure au premier degré. Brûlure légère qui n'atteint que la surface du derme. Les brûlures peuvent être plus ou moins graves, on les classe par degrés Les brûlures du premier degré la peau est seulement rouge. .... Les brûlures du second degré il y a des cloques à la surface de la peau C. Dolto, Comment ça va la santé?Paris, Hachette, 1984, fig. Niveau d'appréhension, de compréhension le plus évident, le plus immédiat. Histoire, plaisanterie, lecture au premier degré; filmer, rire au premier degré. L'analyse, étant réduite aux traits scientifiquement pertinents, ignore les petits détails, les petits riens, c'est-à-dire tous les arbres qui cachent la forêt à la curiosité indigène, tous les petits savoirs que l'on n'a que si l'on s'y intéresse au premier degré, si l'on éprouve une jouissance complice dans le fait de les accumuler, de les mémoriser, de les thésauriser P. Bourdieu, Choses dites, Paris, éd. de Minuit, 1987, Dès la/les premières minutes, à la/aux premières secondes. Dans ses rapports avec les êtres, elle se laissait toujours guider par son instinct et dès les premières minutes, elle s'était sentie en confiance auprès d'Antoine Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, Le premier/la première + subst. désignant un affect + passée. Il n'en fut rien autre chose, la première surprise passée, qu'un redoublement d'incurie Bourges, Crépusc. dieux, 1884, le premier saisissement, je m'efforçai de regagner quelque empire sur mes sens, et détachant mon regard des yeux troublants de la magicienne, je considérai avec attention l'ensemble de sa personne Milosz, Amour. init., 1910, En partic. [Marque l'étonnement, la surprise] Première nouvelle! C'est la première nouvelle v. nouvelle1. − Loc. adv., fam. En premier. D'abord, pour commencer. Et là, tu vois, c'est là qu'en premier, elle et moi, on s'est pris la main Giono, Gd troupeau, 1931, En premier lieu. V. lieu1.♦ Expr. pas le premier sou. Être démuni d'argent. Mais je ne peux pas partir comme ça, Blaise. Je te dis que j'ai une échéance dont je n'ai pas le premier sou Cendrars, Bourlinguer, 1948, pas savoir/ne pas comprendre le premier mot de. Ignorer totalement quelque chose, n'y rien comprendre. Tu me fais appel, mais je ne sais pas le premier mot de cette lugubre affaire Bradley Hugo, Corresp., 1866, ignorant est radicalement incapable de comprendre le premier mot de ce système de vie Renan, Avenir sc., 1890, [En parlant de pers.]− Être le premier, arriver le premier. Être quelque part avant les autres. Dès que Meaulnes se fut assis devant un des bols alignés sur la nappe, elle lui versa le café en disant −Vous êtes le premier, monsieur Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, soir, François arriva le premier au rendez-vous. Le chasseur lui fit part d'un coup de téléphone le comte d'Orgel regrettait de ne pouvoir venir après dîner Radiguet, Bal, 1923, lendemain, Rambert, premier au rendez-vous, lisait avec attention la liste des morts au champ d'honneur Camus, Peste, 1947, Être le premier à/qui. Innover, oser. Agnès Sorel est la première, en France, qui employa les diamans à ce genre de parure Jouy, Hermite, 1813, te rappelles, nous étions stupéfaits que le premier d'entre nous à franchir le pas fût justement celui qui paraissait le moins sûr, le plus ambigu Nizan, Conspir., 1938, Empl. subst. Premier amant, première maîtresse. Un jeune homme qui a longtemps vécu avec une femme, n'est pas aussi inexpérimenté que le puceau pour qui celle qu'il épouse est la première Proust, Fugit., 1922, quelqu'un venait me dire Maître Panisse, vous avez épousé une jeune fille que vous n'avez pas été le premier», je lui répondrais Eh bien, dites donc, et moi, est-ce que j'étais vierge?» Pagnol, Fanny, 1932, ii, 6, Premier occupant*. − De première main*. − Verbe d'action + le premier/la première. Faire une action précise avant les autres. Se lever, sortir le premier; s'avancer le premier; être debout, être prêt le premier. Il bâfre, enfournant des bouchées énormes. Se servant toujours le premier, lorsque le plat est à sa convenance Gide, Journal, 1943, descendit l'escalier la première et je vis mon père venir à sa rencontre Sagan, Bonjour tristesse, 1954, Tirer les premiers. Commencer une attaque4. Il est malheureusement vrai que notre marche peut rencontrer des résistances de la part de nos camarades des troupes du Levant. Certains d'entre eux, mal éclairés, estiment à contre-coeur devoir nous opposer la force. Contre ceux-là, jamais nous ne tirerons les premiers. Mais, s'il se produit de leur fait quelques engagements, nous ferons notre devoir. De Gaulle, Mém. guerre, 1954, Le premier/la première + subst. + venue. Celui, celle qui se présente avant les autres, n'importe qui. Aujourd'hui quand on a vingt-cinq ans, les larmes deviennent une chose si rare qu'on ne peut les donner à la première venue Dumas fils, Dame Cam., 1848, n'est pas le premier venu. Il a déjà fait quelque chose pour la commune Renard, Journal, 1900, il ne faudrait quand même pas que le premier cornichon venu s'avisât de réclamer l'escalier quand nous avons des raisons de ne pas le faire intervenir Duhamel, Suzanne, 1941, P. anal., empl. adj. [En parlant d'une chose] Que joua-t-il, ou qu'essaya-t-il de jouer? Peu importe, le premier air venu Baudel., Paradis artif., 1860, le contraire pour vous autres, Français. Vous vous contentez de la première auberge venue, et vous couchez quelquefois dans des draps douteux, sans vous en apercevoir Farrère, Homme qui assass., 1907, Empl. subst. Le premier, tout le premier. Avant qui que ce soit. Assez de gens là-bas lui diront le contraire, nos députés tous les premiers, et sa cour lui répétera que plus nous payons, plus nous sommes sujets amoureux et fidèles Courier, Pamphlets pol., Disc. souscr. acquis. de Chambord, 1821, ans passés, à garder rancune à Zèphe de cette histoire de franc-tireur? Ce serait manquer de générosité et de bon sens, tu en conviendras le premier Aymé, Jument, 1933, [En fonction d'attribut] Avant, bien avant les autres, le reste. Je saute du train. La foule me pousse jusqu'au tourniquet. Je me retrouve glorieusement seul et bon premier de ma génération sur le pavé de la capitale H. Bazin, Vipère, 1948, fig. Vous arrivez première au charme Almanach du Hanneton, 1867ds Larch. 1872, P. anal. [En parlant d'un animal] Puis Tom-Pouce [un cheval] parut en tête; mais Clubstick, en arrière depuis le départ, les rejoignit et arriva premier, battant Sir-Charles de deux longueurs Flaub., Éduc. sent., 1869, P. anal. [En parlant d'un objet animé] À l'ouverture du papillon des gaz, l'air s'engouffre immédiatement, aspiré par les pistons, et ainsi arrive bon premier Chapelain, Techn. automob., 1956, − Ce qui se présente avant les autres, d'autres dans un [Dans un ordre temp.]a [À plus ou moins long terme] Première démarche; première analyse, expérience; premier mot, point, objet; première parole. C'était une espèce de manie, car ce fut aussi une des premières choses dont il s'entretint avec Goethe Chênedollé, Journal, 1822, la première recherche est une découverte, la seconde n'est qu'une observation Amiel, Journal, 1866, Loc. adv. Au premier chef. Au plus haut point, tout particulièrement. Votre bonheur, votre intérêt, votre égoïsme, vos passions, sont intéressés au premier chef dans cette question générale P. Leroux, Humanité, 1840, [Dans l'ordre de la journée] Premier métro, train; première fournée; première distribution du courrier. Le long des sentiers creux, dans la nuit verte, nous rencontrions des femmes qui allaient à Toulven entendre la première messe du matin Loti, Mon frère Yves, 1883, à l'heure, réveillés par les premiers tramways, ils [les vendeurs de journaux] se répandront dans toute la ville, tendant à bout de bras les feuilles où éclate le mot peste» Camus, Peste, 1947, HIPP. Première course et, première. Le jockey jaune fournit la carrière en 4 minutes 48 secondes; il devança son concurrent de 12 secondes, et fut proclamé vainqueur de la première course Jouy, Hermite, 1813, qui avait touché un placé dans la première, l'avait emmené à la cascade, où tout à l'heure, à Longchamp, le jeune Gilson-Quesnel lui avait dit qu'il serait Aragon, Beaux quart., 1936, [Dans une série conventionnellement définie]a [Dans l'ordre d'un itinéraire] Premier relais; première étape. Et il m'avait expliqué que ses sacs, à lui, étaient chargés de sable qui allait s'écouler dans le fossé à la première halte Vercel, Cap. Conan, 1934, trois cents mètres ils furent arrêtés par le premier poste de contrôle Malraux, Espoir, 1937, En partic.♦ Première vitesse et, première. Régime de démarrage d'un moteur. Démarrer en première. C'était le passage de première en deuxième vitesse que le chauffeur venait de réussir d'un seul coup Romains, Hommes bonne vol., 1932, Première position et, première. Position particulière des jambes et des bras en escrime synon. prime1 et en danse classique. Se mettre en première. Première position les deux pieds placés sur la même ligne, −les talons se touchant −les deux pointes parallèles aux épaules, les genoux bien tendus Meunier, Danse class., 1931, Spécialement− Dans le domaine jur. ou chambre correctionnelle. Remarquez de plus que si cette première chambre n'est pas héréditaire, il faudra déterminer un mode d'en renouveler les éléments Constant, Princ. pol., 1815, Alfred, Hyacinthe Legruyère, huissier près le tribunal de première instance séant à Paris, été requis par la Société des Transports électriques de l'Exposition de 1900 Courteline, Article 330, 1900, Dans le domaine corps d'armée; première brigade; premier régiment d'infanterie; premier peloton. Sa soeur, reprit le colonel, a épousé un cousin de Graham, qui était major dans notre premier bataillon au début de la guerre et qui est maintenant brigadier général Maurois, Sil. Bramble, 1918, première division de cavalerie, à laquelle cette brigade appartenait, s'embarqua donc pour la frontière avec deux brigades seulement Joffre, Mém., 1931, GRAMM. Verbe du premier groupe; première personne du singulier, du pluriel. P. anal. À la première personne. En s'impliquant soi-même dans une action, un récit. Tout fait psychologique est, au contraire, un événement à la première personne et ne peut être formulé qu'à la première personne. Il est inséparable d'une histoire, d'une affirmation, d'une signification et d'une valorisation personnelles Mounier, Traité caract., 1946, ALPIN., empl. subst. masc. Premier de cordée. Grimpeur expérimenté qui prend la responsabilité de découvrir et d'assurer les prises pour ceux qui le suivent dans une escalade. Le premier de cordée assure la responsabilité principale de la course. Grimpant le premier, c'est à lui de découvrir les surprises de l'itinéraire et de franchir les passages Gautrat1970.3. [Dans un cont. fini]− [Dans une oeuvre littér., artist., dans un exposé oral ou écrit] Premier chapitre, mot, volume, accord; première scène, ligne. Cette première partie comprend deux chapitres l'un, relatif à l'occupation, fondement de notre droit; l'autre, relatif au travail et au talent Proudhon, Propriété, 1840, Don Giovanni rapide, bondissant, où chaque note exprime un sentiment, une passion, ... que la douleur envahit dès les premières mesures Mauriac, Journal 2, 1937, Mais Miss Foote, plus femme, plus expérimentée dans la vie, a mieux fait sentir toutes les nuances des passages qu'elle avait à dire. On peut dire qu'elle a été fort bonne dans les deux scènes des premiers actes, celle de l'entrevue au balcon et celle des adieux au lever de l'aurore. Delécluze, Journal, 1827, Subst. masc. Élément initial d'une charade. Une charade en trois parties, dont j'ai malheureusement oublié le premier et le tout A. France, Vie fleur, 1922, Du premier + subst. au dernier, de la première + subst. à la dernière. Du début à la fin. J'ai pris, du premier au dernier jour, Nadja pour un génie libre, quelque chose comme un de ces esprits de l'air que certaines pratiques de magie permettent momentanément de s'attacher Breton, Nadja, 1928, à moi le journal de Bouville et puis je le repousse tout à l'heure, à la bibliothèque je l'ai lu, de la première ligne à la dernière Sartre, Nausée, 1938, Premier est aussi un adj. numéral ordinal. Il se note 1er. Dans la dénom. de papes, de souverains ou le classement des éléments d'un ouvrage, il est postposé. Tome premier; article, chapitre premier; scène première; François Ier; Jean-Paul Ier; Napoléon Ier. Vous recevrez avec cette lettre le livre premier de la cinquième partie, La guerre entre quatre murs Hugo, Corresp., 1862, Dans la troisième année de mon âge, dix-huitième et dernière du règne de Louis-Philippe premier, roi des Français, mon plus grand plaisir était la promenade France, Pt Pierre, 1918, Dans certains empl., en parlant d'une série numérotée, on peut lui substituer l'adj. cardinal tome un, chapitre un, acte un, scène [Dans un ordre spatial] Ce qui est spatialement plus proche que d'autres objets ou éléments, d'un point de repère, d'un observateur. Première porte à droite; première fenêtre à gauche; première rue; premier virage à droite. Tire-toi du milieu de cette armée en déroute; jette-toi de côté, prends la première route un peu frayée que tu trouveras là sur ta droite Stendhal, Chartreuse, 1839, Le premier étage, le premier. Étage qui est au-dessus du rez-de-chaussée ou de l'entresol. On descendit au premier. Albert introduisit son hôte dans le salon Dumas père, Monte-Cristo, 1846, croisées du premier étage, les rideaux s'étaient soulevés, et de vieilles impotentes, en camisoles, s'installaient derrière les vitres Martin du G., Thib., Épil., 1940, Dans le domaine ligne. Lieu tenu militairement le plus près de l'ennemi. Être, envoyer, monter en première ligne. C'est vrai qu'on monte demain, dit Paradis, et que, le soir, on file en première ligne Barbusse, Feu, 1916, [Dans la disposition d'un lieu de spectacle, d'exposition] Premières places; première rangée, tribune. La plupart des athlètes, rangés autour de la balustrade, et les amateurs assis au premier rang, soutinrent bien, à l'envi les uns des autres, qu'il avait été tombé selon toutes les règles énumérées dans la charte Cladel, Ompdrailles, 1879, Premières loges*. ♦ Premier plan. Espace d'un lieu scénique, d'une image photographique ou cinématographique, d'un tableau qui se trouve le plus près de l'observateur. M. Coignard a fait un grand paysage d'une assez belle tournure, et qui a fort attiré les yeux du public; −au premier plan, les vaches nombreuses, et, dans le fond, la lisière d'une forêt Baudel., Salon, 1846, sont tous groupés au premier plan. Pendant qu'ils parlent, Michel entre sans être entendu, par la porte de droite Cocteau, Parents, 1938, i, 3, fig. Mettre au premier plan, de premier plan. V. Verbe de mouvement + subst. partie du corps + le premier/la première. Partie du corps en n'est pas douteux que, sans M. de Saint-Amans, je me précipitais dans le lac, la tête la première. Dieu sait ce que j'y serais devenu! Dusaulx, Voy. Barège, 1796, s'emparèrent des vaincus, qu'ils transportèrent chez eux les pieds les premiers, suivant la règle Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, En partic. Semelle, doublure d'une chaussure qui est directement en contact avec le pied. L'Intendance militaire, et peut-être quelques bottiers, continuent de dire semelle première. Autrement l'usage industriel courant dit toujours la première, et la semelle. Quand on veut préciser, on dit première de montage, pour bien distinguer de la première de propreté Rama1973.C. − Ce qui vient en tête dans un classement de qualité, un jugement de valeur, qui est mieux ou meilleur que d' [En parlant de pers.] Avoir le premier prix, le premier accessit; être le premier de la classe, de sa promotion; premier prix de violon; être le premier en français, en mathématique, en gymnastique. Elle n'est bonne à rien, coquette, sale, et prétentieuse, parce qu'elle a été reçue la première au certificat» Renard, Journal, 1901, était doux, affable, sensible; avec cela, premier partout Sartre, Mots, 1964, Au bout d'un an, on le fit passer de la huitième classe dans la sixième et, dans cette nouvelle classe, pour la première composition de l'année, il fut le premier. Dès lors, il s'entêta, résolu à garder toujours le premier rang. Larbaud, F. Marquez, 1911, Être dans les n premiers [n numéral cardinal], le tout premier. Être parmi les meilleurs. Les autres s'attendaient à me voir arriver dans les dix premiers. Et de fait, c'eût été ainsi, si mes notes d'oral avaient été celles que nous attendions Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1907, De premier ordre, du premier talent, du premier mérite supra Cpremier planet première classe, classe II A.Très qualifié, parmi les meilleurs dans une fonction, une activité, un domaine. L'empereur en faisait le plus grand cas. Il [le duc de Montebello] n'avait été longtemps qu'un sabreur, disait-il; mais il était devenu du premier talent» Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, 1823, la chute de Napoléon, certains personnages puissants à Milan firent assommer dans les rues le comte Prina, ancien ministre du roi d'Italie, et homme du premier mérite Stendhal, Chartreuse, 1839, médecin qui ne peut pas s'appuyer sur un pharmacien de premier ordre est un général qui va à la bataille sans artillerie Romains, Knock, 1923, ii, 3, Arg., pop. De première bourre. V. bourre rem. 1.− De première force. D'une très grande habileté. Où est ça, le Borysthènes, dit Malvina qui n'était pas de première force sur la géographie Reybaud, J. Paturot, 1842, dois être devenue de première force au tennis?» demanda-t-il évasivement, parce qu'il venait d'apercevoir une raquette sur le haut de l'armoire Martin du G., Thib., Mort père, 1929, Pop., loc. adj. De première. De première force. Milot, c'est un rouspéteur de première Bruant1901, donc au Concert Mayol, il y a un comique genre Polin ... qui est, paraît-il, de première» Trignol, Pantruche, 1946, [En parlant de choses abstr. ou concr.]− De premier choix, de premier ordre, de première qualité v. première classe, classe II A, de première catégorie. De la meilleure qualité, ce qui est le mieux, le plus apprécié. Hôtel de première catégorie; viande de premier choix; c'est du premier choix. Mes mémoires secrets assurent qu'il tressaillit de joie en pensant qu'une citation à si longs jours indiquait une séance solennelle et une festivité de premier ordre Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, distribuent, quoi?... du pain, ma chère demoiselle. Et pas même du pain blanc, du pain de première qualité... non... du pain d'ouvrier... Est-ce pas honteux... des personnes si riches? Mirbeau, Journal femme ch., 1900, beau bois ferme, au grain compact, un morceau de premier choix qui ne s'était pas même fendu en tombant de deux étages Duhamel, Suzanne, 1941, Pop. De première♦ Loc. adj. De première qualité. Je vous prie de croire que la chambre à coucher et le cabinet de toilette sont de première Bourget, Némésis, 1918, capitaine] faisait mettre Opphopf au garde-à-vous, l'asticotait et lui passait un savon de première Cendrars, Main coupée, 1946, Loc. adv. Beaucoup, fortement. Toto ... n'avait eu que le temps d'aller chercher son chargement avant que la vieille s'aperçoive de son absence et l'engueule de première Les Panadeux, Paris, Gallimard, 1971, Tenir, occuper le premier rang, la première place. Être le mieux placé dans le domaine économique, politique ou culturel. Parmi les événements extérieurs qui se font le mieux apprécier comme possibles, une entreprise de la Russie sur l'Inde occupe assurément la première place Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1855, me demande si les qualités de vive intuition qui la lancèrent [la France] au premier rang des nations civilisées suffiront à l'y maintenir, dans la compétition des peuples de conception plus lente accumulateurs des forces de durée Clemenceau, Vers réparation, 1899, cafés enfin, grâce aux stocks considérables accumulés dans une ville où le commerce des vins et des alcools tient la première place, purent également alimenter leurs clients Camus, Peste, 1947, Spécialement♦ BOUCH. Côte, côtelette première. Côte appartenant aux plus basses du mouton ou de l'agneau, les plus appréciées pour leur qualité gustative. [Le forgeron] a pauvrement fait cuire la viande à même la braise où sont restées des traces de graisse. Alors qu'avec le morceau qu'on lui a donné trois côtelettes premières et un peu de rognonnade il pouvait, en prenant un petit plat de terre et un oignon se faire un petit fricot Giono, Triomphe vie, 1941, SPORTS. Première division. Division qui regroupe les meilleures équipes, les clubs les plus performants. Nous donnons l'exemple d'une semaine d'entraînement dans un club de première division professionnelle ... et dans un club amateur de division d'honneur J. Mercier, Footb., 1966, [En parlant d'un service] Première classe et, première. Qui offre le meilleur confort, la meilleure qualité et, en partic., pour un service liturgique, qui a le plus de faste, de pompes. Wagon, cabine de première classe; voyager en première; se marier en première classe. La paroisse n'avait que de vieilles tentures trop courtes; on avait envoyé chercher tout le matériel des enterrements de première classe de Corbigny Blé, 1907, la petite-fille de Neptune dans un compartiment de première classe, sur une ligne d'intérêt local? Benoit, Atlant., 1919, Billet de première et, première. Billet donnant accès à la première classe. La cloche du guichet que l'on venait d'ouvrir, l'appelait. Il y courut, et prit son rang dans la longue file. −Deux premières pour Marseille, demanda-t-il A. Daudet, Fromont jeune, 1874, − Ce qui est le plus important, ce qui est avant les autres dans un ordre [En parlant de fonctionnaires, d'agents de l'État, de responsables locaux ou gouvernementaux, de leur titre] Premier adjoint au maire; premier consul; premier substitut; premier secrétaire d'ambassade, de cabinet, du parti. Son mari, qui montra du dévouement dans une circonstance politique, devint président de chambre, et enfin premier président au bout de quelques années Balzac, E. Grandet, 1834, nouveau, le 19 février 1942, j'ai adressé une lettre au Premier Ministre pour lui souligner l'importance et l'urgence de l'affaire De Gaulle, Mém. guerre, 1954, subst. Le Premier. Premier ministre de Grande-Bretagne. Je leur dénonce donc sans retard le silence que vous gardez touchant le projet d'une autre visite d'Eisenhower à De Gaulle précisément, après celle qu'il fera au Premier britannique Mauriac, Nouv. Bloc-Notes, 1958-60, ds Rob. 1985.♦ De première classe. De la division administrative la plus élevée dans un grade. Avant qu'il ouvrît la bouche Vous êtes préfet de première classe? lui dit l'Empereur...» Goncourt, Journal, 1864, Dans le domaine du ténor; première chanteuse synon. prima* donna; premier hautbois; première ballerine; premier danseur. Deux ou trois collégiens de treize ans se disputaient d'être premiers violons dans un bal Michelet, Journal, 1834, premières danseuses dansent seules au milieu de toutes les autres et doivent être aptes à remplacer les étoiles Meunier, Danse class., 1931, J'admire ces sentiments lorsqu'ils sont sans mélange, comme chez la concierge du Théâtre français, qui a l'honneur d'assister à l'arrivée et au départ des grands premiers rôles de l'établissement et de les voir déposer leur clef dans le casier, ou leur perruque sur la table... Fargue, Piéton Paris, 1939, En partic., empl. subst. Jeune-premier, jeune-première. Comédien, comédienne qui joue les premiers rôles d'amoureux, d'amoureuse. La mère Cardinal, qui, pour régaler une commère, l'avait menée au théâtre de Bobino, venait de trouver dans la jeune première sa fille, que le premier comique tenait sous sa domination depuis trois ans Balzac, Pts bourg., 1850, m'étais fait l'ami de ce brave homme, ancien Dorante des comédies de Marivaux, longtemps jeune premier de drame, et dont le dernier succès avait été le rôle d'amoureux dans la pièce imitée de Schiller, où mon binocle me l'avait montré si ridé Nerval, Filles feu, Sylvie, 1854, P. ext., souvent péj. Personne qui joue les séducteurs, les vedettes. Ce soir chez l'insipide Païva. Quelle société! ... Des jeunes gens avec barbe et sans barbe; des jeunes premiers de quarante-cinq ans, des barons et des ducs allemands Delacroi., Journal, 1855, avaient des voix d'ouvriers dans le monde, des voix crapuleuses et maniérées de jeune premier de barrière Goncourt, Journal, 1865, vieux mannequins, qui jouaient il y a vingt ans les jeunes premiers de l'art et de la politique, les jouent encore aujourd'hui, avec le même faux visage Rolland, Nouv. journée, 1912, Empl. adj. Qu'il soit taillé confortable» ou alors très jeune premier». Voici 4 chemises où il sera parfaitement à l'aise Catal. 3 Suisses, printemps-été 1980, Vieilli. [Dans une profession, un corps de métier] Premier assistant, berger, caissier, compagnon, maître d'hôtel, pilote, secrétaire, valet. Je lui ai dit qu'après avoir fait mon droit à Poitiers, j'étais devenu premier clerc de maître Olivet, et que j'espérais un jour ou l'autre traiter de cette charge Balzac, Illus. perdues, 1843, la place de ce butor, lui cria-t-il; je te nomme premier cocher. Hans! Va-t'en conduire aux bagages Bourges, Crépusc. dieux, 1884, du Surmulet restait à douze cents francs à la maison Lamiraud, représentée par son premier commis M. Lengagne Hamp, Marée, 1908, Premier, première, première de magasin. Chef de rayon, vendeur, vendeuse responsable d'autres employés dans un grand magasin. Chaque rayon, dans les maisons de nouveautés, a un premier, sous la direction duquel sont le deuxième, le troisième Avenel, Calicots, 1866, on est passé à Mmede Nittis, à laquelle on a reconnu une certaine distinction, mais une distinction de première de magasin Goncourt, Journal, 1888, On disait couramment la dynastie des Lhomme», depuis que madame Aurélie, la première des confections, après avoir poussé son mari au poste de premier caissier, était parvenue à obtenir une caisse de détail pour son fils... Zola, Bonh. dames, 1883, Première, première apprêteuse, première demoiselle. Ouvrière la plus qualifiée dans un atelier de couture, de modiste. Ce sont les apprêteuses, ainsi appelées parce que leur tâche est de préparer les éléments de travail pour la première demoiselle Français peints par eux-mêmes, La Modiste, 1841, Coupeau ne voulaient pas la changer [d'atelier] pour qu'elle restât sous la surveillance de Madame Lerat, qui était première dans l'atelier depuis dix ans Zola, Assommoir, 1877, [Dans la hiérarchie milit.] Qui est le plus élevé dans un grade. Le général Murat, premier aide de camp du général en chef, fut expédié pour Paris avec vingt et un drapeaux et la copie de l'armistice Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, 1823, possible maintenant de fermer les yeux sans voir, tout de suite dans son crâne, comme sur un écran la tête du premier lieutenant Peisson, Parti Liverpool, 1932, MAR. Premier maître. V. maître1II A 4 a ex. de 1859.− Première classe. Distinction accordée à un militaire sans grade. Soldat de première classe et, subst., un première classe. Il a assisté au combat, enterré nos morts sous le feu de l'ennemi et il a été nommé pour ce haut fait tirailleur de première classe Psichari, Voy. centur., 1914, Arg. Premier jus. Première classe. Tu les auras tes galons de premier jus, eh fayot! Fombeure, Soldat, 1935, Région. Suisse. Premier lieutenant. Second grade de la hiérarchie des officiers subalternes équivalent du lieutenant en France. Un homme est accouru, à bout de souffle, a pris position Mon premier-lieutenant Ramuz, Journal, 1914, ds Rob. 1985.− Loc. adj. En premier. Qui a la première classe de son grade. N'êtes-vous pas lieutenant en premier à bord de la Calypso? Dumas père, L. Bernard, 1843, iii, 7, − 1. Qui a le plus d'importance. Synon. primordial, a renfermé dans une seule action les premiers devoirs de la vie sociale, que les moralistes n'ont mis qu'en maximes isolées Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, Premiers besoins. Activité physiologique indispensable pour maintenir un être en vie. Les héros imaginaires de Daniel de Foé ou de Wyss ... ne furent jamais dans un dénuement aussi absolu. Ou ils tiraient des ressources abondantes de leur navire échoué ..., ou bien quelque épave arrivait à la côte qui leur permettait de subvenir aux premiers besoins de la vie Verne, Île myst., 1874, De première nécessité. Qui correspond à des besoins essentiels9. ... [l'éditeur] doit répondre au besoin de lecture du public −soif de lire qui persiste en dépit de tout ce qui fait aujourd'hui concurrence à la lecture −sans pourtant oublier que le livre, le livre de littérature surtout, n'est jamais un objet de première nécessité. Civilis. écr., 1939, Qui est le plus adapté, qui est essentiel. Synon. indispensable, première condition pour qu'un tout soit cohérent, c'est que les parties qui le composent ne se heurtent pas en des mouvements discordants Durkheim, Divis. trav., 1893, plaisir de lire est sans mesure, même de lire ce que l'on sait et c'est le premier remède à l'ennui, à toutes les passions Alain, Beaux-arts, 1920, − Adj. [Le plus souvent postposé] Qui est à l'origine d'un phénomène concret ou abstrait. Synon. originaire, − Dans le domaine des idées, des premier de la matière; source première de la pensée; conditions premières de la vie. Mais la libre pensée elle-même, sortie de l'âge héroïque, alourdie par un renfort immense de zélateurs, a perdu sa pureté première Bloch, Dest. du S., 1931, pouvez tout tenter pour revenir à l'innocence première. Il n'y en a pas le moyen. Vous portez avec vous, en vous, ces paysages, cette géographie, une expérience de replis cachés qui tour à tour s'éclaire, vous fascine, vous cerne Mauriac, Journal 2, 1937, L'idée universelle est le lieu indispensable à chaque chose pour se placer dans notre esprit. C'est comme une idée première qui nous vient de notre esprit, de la nature et de Dieu même notion mathématique, transcendante, qui précède toute instruction et même toute expérience. Joubert, Pensées, 1824, [En parlant d'objets concr.] Vous avez choisi la publication première sans le chapitre préliminaire. Je n'approuve ni ne désapprouve. Les deux partis me paraissent bons à prendre Hugo, Corresp., 1865, souffle traître prit son parapluie en dessous et le retourna brusquement. Monsieur Godet-Laterrasse rétablit la concavité première de cet appareil domestique A. France, Chat maigre, 1879, En partic. Matière première. Produit de base non transformé par l'industrie; matériau de base nécessaire à une activité. Quelque habile que soit l'ouvrier, sa liberté est toujours limitée par les propriétés de la matière première sur laquelle il opère H. Poincaré, Valeur sc., 1905, achats de toutes ces matières premières d'origine agricole constituent une fonction de toute première importance pour l'entreprise Brunerie, Industr. alim., 1949, semble plus difficile et osé de formuler des pronostics dans le domaine du bois, que pour la plupart des autres matières premières de base charbon, acier, ciment, par exemple Industr. fr. bois, 1955, − Spécialement1. LOG., PHILOS. Qui n'est pas déduit ou défini à partir d'un autre terme, d'une proposition, d'un autre fait; qui s'impose à l'esprit. Terme premier; proposition première. L'homme n'est donc ici qu'à l'état de transition, de passage. Peut-être doit-il avoir ailleurs la faculté de connaître la vérité première absolue; ici-bas, il ne peut connaître que la vérité relative et la cause prochaine des choses Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, ne parle plus de principes premiers; les lois ne sont plus que des instruments toujours perfectibles Valéry, Variété I, 1924, dit, l'animalité est non seulement la donnée première qui ne saurait être mise en question, mais aussi la matière sur laquelle il y a lieu que l'introspection s'exerce Du Bos, Journal, 1927, Qualité première. Qualité primaire. En tête de la liste des qualités premières ou fondamentales on a coutume de mettre l'étendue et l'impénétrabilité Cournot, Fond. connaiss., 1851, Cause première. Cause qui contient en soi l'explication au delà de laquelle on ne saurait remonter. Les hommes restent alors dans la contemplation de cette hypothèse générale et métaphysique qui les reporte à la cause première des phénomènes de la nature Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, de mon mieux cette pensée par ordre, comme Descartes nous le conseille, ma réflexion toute méthodique m'a fait remonter nécessairement vers la cause première du devoir que je m'efforce de remplir Valéry, Variété I, 1924, LING. Sens premier d'un mot. ,,Sens originel, celui qui est apparu d'abord`` Ling. 1972. 3. MATH. Nombre premier. Nombre entier qui n'est divisible que par lui-même et l'unité. Le train démarra, tandis que je faisais des efforts désespérés pour savoir si le numéro du wagon, AH 1 459 457, était un nombre premier H. Bazin, Vipère, 1948, Facteur, diviseur premier. [Kummer] crut un moment que, dans le corps ainsi créé, comme dans celui de Gauss, la théorie classique des facteurs premiers se généralisait totalement Hist. gén. sc., vol. 1, 1961, Nombres, facteurs premiers entre eux. Nombres, facteurs qui n'ont pour diviseur commun que l'unité. Par exemple, le nombre 1800 peut se partager de 18 manières en deux facteurs; mais il ne peut se partager que de quatre manières en deux facteurs premiers entre eux Legendre, Théorie nombres, 1830, prem, preu, adj. inv. et subst. inv.,arg. Premier. a [Dans le lang. des enfants, des collégiens] Il était le premier en dissertation, mon père n'était que le second, mais mon père redevenait le preu en vers latins Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, [Dans le lang. des adultes] Il n'y a pas de danger qu'on le renvoie, lui le preu des tourneurs de la capitale Poulot, Sublime, 1870, v'là l'bijoutier du no10 qui n's'embête pas, lui; il vous a loué tout son preu [premier étage] H. Monnier, Scènes populairesds Rigaud, Dict. arg. mod., 1881, subst. fém.,hapax. Caractère de ce qui est premier. Dès la première fois qu'on entre en contact avec ce texte extraordinaire, ce Booz endormi, dès les plus anciennes années, dès les plus basses premières classes du lycée, et ensuite toutes les fois qu'on le relit, qui est toujours la première, la première fois qu'on le lit, précisément pour une part, pour une grande part, à cause de cette nouveauté que nous disions, à cause de cette premièreté Péguy, comte Hugo, 1910, -aine, adj. et subst. masc.,vx. a Adj. Premier, première. Partout une même langue se parlera, qu'on appelle poésie. Faite, sans lettres et sans paroles, de soupirs de l'eau qui baisse, de la dernière plainte de l'oiseau qui s'endort, et de la voix de la fleur primeraine dans sa cloche argentine Quinet, Ahasvérus, 1833, 4ejournée, Subst. masc. Chef. Et toi, Morbihannais, achève cet infirme! À cet outrage enfiellé, le primerain, ordinairement si débonnaire eut un hérissement de fauve, et ses bras s'appesantirent avec un bruit terrible sur les flancs du quidam en qui l'on osait déjà reconnaître son supérieur Cladel, Ompdrailles, 1879, et Orth. [pʀ əmje], fém. [-jεʀ]. Ac. 1694, 1718 -ier, -iere; dep. 1740 -ier, -ière. Étymol. et Hist. A. 1. a Fin xes. primers qui est le plus ancien» Passion, éd. d'Arco Silvio Avalle, 377; b déb. xiies. primers anz les premiers âges de l'histoire» St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1581; 1657-62 les premiers temps Pascal, Pensées, éd. Brunschvicg, XIV, 63; c 1561 le premier âge J. Grevin, Gelodacrye, éd. L. Pinvert, 330; id. la première enfance Id., L'Olympe, id. premières amours Id., La Trésorière, d 1487 faire quelque chose le premier Garbin, Voc. lat. fr.; 1538 tout le premier venu Est.; 1561 le premier venu J. Grevin, Les Esbahis, éd. L. Pinvert, 211; 1863 ne pas être le premier venu Fromentin, Dominique, e 1585 après un nom propre désigne le plus ancien d'une série de souverains portant le même nom N. du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, II, 55 roy François premier; f 1616 à la première occasion D'Aubigné, Tragiques, éd. C. Read, I, 2. a 1119 primier chapitle Philippe de Thaon, Comput, 2215 ds b 1842 élément qui vient en premier dans une charade» Ac. Compl.; 3. a 1567 qui était tel à l'origine» Amyot, Caton, 7 ds Littré; b 1690 matière première Fur.; 4. a ca 1100 qui se présente, que l'on peut voir d'abord» Roland, éd. J. Bédier, 3026; b 1508 la teste première E. D'Amerval, Le Livre de la Deablerie, éd. C. Ward, 1461; 1564 la tête la première Indice de la Bible, Sap. 4, 19, col. c; c 1726 subst. premier étage» Journ. d'un bourgeois de Paris sous le règne de Louis XV, mars, 87 ds Quem. DDL 5. a ca 1170 qui vient en tête quant à l'importance, la qualité» Chrétien de Troyes, Erec, 1692 ds 1790 de première distinction Le Moniteur, 1855 premier choix Nerval, Bohême gal., 1893 de première Martellière, Gloss. vendômois, b 1704 subst. la première classe de rhétorique» Trév.; 1838 id. première classe dans un moyen de transport» Stendhal, Mém. touriste, éd. J. J. Pauvert, 23 juin 1837, c 1606 premier président Nicot; 1694 premier ministre Ac.; 1909 subst. le premier premier ministre anglais» Dionne; d 1820 jeune premier C. Delavigne, Les Comédiens, I, 7 ds Littré; 1817 jeune première Stendhal, Hist. de la peinture en Italie, II, ds Quem. DDL 1866 subst. masc. chef de rayon» Avenel, loc. cit.; 1874 subst. fém. directrice de rayon dans une maison de couture» A. Daudet, Fromont jeune, 6. a 1585 philos. cause première N. Du Fail, op. cit., 1835 vérité première Ac., philosophie; b 1972 ling. sens premier Ling.. B. 1. 1remoit. xiies. adv. d'abord, premièrement» Psautier Oxford, 77, 56 ds 2. déb. xiies. en primers d'abord» St Brendan, 1675; 1793 en tête pour l'importance» lieutenant en premier Courier, Lettres Fr. et Ital., 3. 1377 premier que avant que» Gace de La Buigne, éd. Å. Blomqvist, 5270. Du lat. primarius le premier en rang», du premier rang», dér. de primus le plus avancé, le premier», le plus important, le principal». Fréq. abs. littér. 70922. Fréq. rel. littér. xixes. a 115564, b 93079; xxes. a 94011, b 96598. Bbg. Gall. 1955, 528. _ Grundt Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Tromsø, 1972, _ Pauli 1921, 90. _ Quem. DDL 10, 15, 16, 19, 25, 27.
premiere chose que je fais le matin 94